La situation est très sérieuse (info # 012202/8) [Analyse]
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Avec Michaël Béhé à Beyrouth et Fayçal H. à Amman.
La tension globale monte dans tout le Moyen-Orient, à l’initiative du régime iranien. Au niveau conjoncturel, cette montée en pression est motivée par trois événements attendus prochainement :
Les élections internes en Iran, sans grande importance, mais qui influent, dans une mesure limitée, sur les relations de force entre les composantes du pouvoir à la tête de la République islamique.
La remise d’un rapport établi par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) sur les activités, en Perse, dans le domaine du nucléaire.
A noter que ce rapport fait polémique avant même d’être rendu public. En particulier, Israël, mais également des organes officiels au sein des pays occidentaux ainsi que des membres de l’AIEA, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, soupçonnent son directeur général, l’Egyptien Mohamed ElBaradei, de fausser volontairement les conclusions du rapport.
ElBaradei, selon ces sources, s’efforcerait d’atténuer l’ampleur du programme de Téhéran, de minimiser l’état de son avancement et de négliger sa destination à des fins militaires.
Ce qui peut surprendre, c’est qu’avant la parution du compte-rendu, les dirigeants intégristes perses ont enjoint la communauté internationale à faire confiance aux conclusions qui vont incessamment être publiées par l’AIEA à Vienne.
L’imminence d’un troisième train de sanctions à l’égard de Téhéran, par le Conseil de Sécurité de l’ONU.
La nuit dernière (jeudi à vendredi), la France et la Grande-Bretagne ont présenté un brouillon de résolution, tiré à la suite de discussions entre les membres permanents du Conseil, qui devrait, à quelques virgules près, être adopté dans les heures ou dans les jours qui viennent.
L’exigence du Conseil de Sécurité demeure inchangée : l’abandon par le régime théocratique chiite de son programme d’enrichissement d’uranium.
On doit également s’étonner de l’apparente contradiction existant entre le Conseil de Sécurité et l’AIEA, une organisation affiliée à l’ONU et dépendant directement du Conseil de Sécurité.
Le rôle de l’AIEA, défini par ses statuts, consiste à "assurer un usage sûr et pacifique des technologies et des sciences liées au nucléaire". Or si l’Iran ne met pas en danger cet usage, comme cela se profile d’après les indiscrétions relatives au rapport en gestation avancée de l’organisation dirigée par le Dr. ElBaradei, il n’y aurait aucune raison de lui imposer des sanctions de plus en plus astreignantes.
Dans le même ordre d’idées, la Russie, et dans une moindre mesure la Chine et l’Allemagne, qui maintiennent des intérêts économiques avec la République islamique, devraient s’opposer à l’adoption du nouveau train de sanctions, au cas où il ne serait pas absolument justifié et absolument nécessaire à la paix du monde.
Voilà pour les raisons circonstancielles qui poussent les ayatollahs et leur porte-parole, le président Ahmadinejad, à faire monter les enchères verbales au point d’ébullition.
Mais la rhétorique génocidaire et négationniste, employée à l’égard d’Israël, par tout ce qu’elle a d’extrémiste et de délirant, en cache une autre. Une autre volubilité, non plus liée à des événements circonstanciels mais aux impératifs stratégiques poursuivis par Téhéran.
Pour les observateurs qui ont lu sans préjugés le discours d’Ahmadinejad, mercredi, dans la ville méridionale de Bandar Abbas, le doute n’est pas permis : l’Iran se détermine dans une dynamique de guerre globale contre ce qu’il nomme les "pouvoirs mondiaux". Il est à cet égard fabuleux d’observer les efforts de maquillage consentis par les confrères des media occidentaux afin de gommer le concept de guerre des mondes des interventions des leaders perses. Si, à la Ména, nous comprenons bien qu’il n’est pas encourageant pour l’avenir de l’humanité et qu’il crée de graves problèmes, au niveau des dispositions à prendre par les nations libres, il n’est pas suffisant d’omettre ses rappels, dans le discours iranien, pour qu’aussitôt il se volatilise. Ou pour que les Iraniens l’oublient et passent à une politique plus consensuelle.
Car, au-delà de traiter l’Etat hébreu de "sale microbe" ou de "bête de proie", et de prophétiser son extermination, c’est contre le monde impie que Téhéran développe ses plus graves menaces. Il suffit de lire les textes tels qu’ils sont, et non derrière une grille de lecture dalado-chamberlinienne, qui voudrait que les journalistes saisissent les discours guerriers mieux que leurs auteurs eux-mêmes. Qui voudrait, pour je ne sais quelle raison, que les menaces contenues dans leurs harangues dépassassent toujours leurs intentions réelles. Qui voudrait, encore, qu’en ne les relevant pas, qu’en choisissant de ne pas alerter les peuples de la laïcité, on apaise la fringale de domination des Iraniens.
Bien entendu, c’est tout faux, ces attitudes indulgentes ne font qu’encourager, au contraire, les visées expansionnistes des Iraniens. Ce, alors qu’avec une conduite ferme, sans même n’avoir à tirer un seul coup de feu, il serait encore temps – mais tout juste – de forcer les Mollahs à quitter leur rêve d’un empire musulman chiite dominant.
Car dans la logorrhée ahmadinejadienne, le "régime sioniste" n’est que la créature inventée par les pouvoirs impies pour se saisir, pour leur compte, des richesses des peuples de la région. Ce sont les mêmes "pouvoirs mondiaux", à en croire Ahmadinejad, qui "ont fabriqué Israël afin de créer un épouvantail, dont le but est d’effrayer et de dominer les autres nations de la région. Difficile d’être plus clair !
Ce qui précède, c’est le schéma de la confrontation, mais il n’implique pas encore l’Iran, il n’est pas encore le miroir de la "guerre des pouvoirs" – le pouvoir sacré contre les pouvoirs païens -. L’allégorie de la confrontation consommée survient à un autre passage du discours, lui aussi, dépourvu d’ambiguïtés : "Avec l’aide de Dieu, la nation iranienne dans son unité, sa foi et sa détermination s’est dressée, et elle a défait les pouvoir du monde et elle les a mis à genoux. ".
Ceux qui sont lents à la détente ou qui croient que les mots ne sont que des mots, et que le concept de la guerre des mondes est la création des néoconservateurs américains, des sionistes et des va-t-en-guerre, j’ai la tâche ingrate de les faire chuter du jardin d’Eden. Car Ahmadinejad ne fait pas allusion à une guerre à venir, il ne fait pas que s’armer et armer ses alliés, il a entamé la guerre. Celle-ci fait rage en Afghanistan, dans la zone tribale du Pakistan, autour de la "tête de pont" israélienne, - à Gaza, dans le Golan et au Liban Sud -, et contre le Dar el-Dhimmi [1] et les non chiites, en Somalie, au Darfour et au Liban-centre.
Et s’ils ne saisissent toujours pas, qu’ils ouvrent au moins les yeux : le Liban s’apprête à éclater, là, face à eux. Il est l’enjeu d’un triple conflit et n’a aucune chance de passer à travers son terrible destin : Front du refus arabe contre "tête de pont" sioniste, Occident laïc contre impérialisme iranien sacré, et chiisme contre sunnisme.
Les ennemis de Téhéran iront à la bataille en ordre séparé, ne poursuivant pas les mêmes objectifs, au-delà du plus petit dénominateur commun : arrêter la poussée iranienne. Ce plus petit dénominateur commun crée des synergies mais pas d’alliance. Pour s’allier, il faut un minimum de cordialité, et celle-ci n’existe pas ; même si Michaël Béhé a noté un rapprochement objectif du chef druze, Walid Jumblat, avec Israël. Ce dernier regorge désormais d’agressivité à l’égard de Damas, appelle Ahmadinejad "un fou dangereux" et ménage verbalement le voisin israélien. C’est que Jumblat sait que lorsque la bagarre éclatera, son destin et celui de la minorité dont ils commande aux destinées, pourraient dépendre d’une intervention de la brigade druze de Tsahal, Khérèv (le Sabre), qui aurait un mal fou à rester inactive, dans son Q.G à Zarit, sur la frontière libanaise, sachant que les frères risquent le massacre.
Sinon, pour les Européens, il s’agit d’empêcher les ayatollahs de s’emparer du Liban, d’avoir accès à la Méditerranée et de déployer des missiles intercontinentaux face au Vieux continent. Pour Israël, c’est simplement assurer sa sécurité. Et pour les Etats sunnites, l’enjeu est d’endiguer la poussée hégémoniste des intégristes, qui mettent en danger les privilèges de leurs dirigeants et leur pétrole.
Par contraste avec nos confrères et leur couverture amortie du discours de Bandar Abbas, les Etats sunnites se mobilisent pleinement afin d’aider les sunnites libanais, les Druzes et les chrétiens des Forces Libanaises à résister au Hezbollah, surarmé par Téhéran. Quant au général Aoun – et c’est un scoop exclusif de la Ména – il a déclaré à notre correspondant libanais qu’il ne participerait, en aucun cas, à une guerre civile et qu’il comptait sur l’armée afin d’assurer la sécurité de ses partisans.
Dans l’entre-temps, des Boeing réquisitionnés de la compagnie nationale Saudi Airlines déversent des tonnes d’armes et d’explosifs sur l’aéroport de Beyrouth. De plus, Riad a envoyé des centaines de soldats, pour prêter main forte aux forces soutenant l’actuel gouvernement libanais. Les Jordaniens envoient des armes et des instructeurs, comme me le confirme notre ami Fayçal H. depuis la capitale jordanienne, en dépit des dénégations véhémentes des autorités hachémites.
Téhéran, qui n’est pas encore prêt à la confrontation totale, ordonnera à ses supplétifs du Hezbollah de provoquer Israël. Au dessus d’un seuil donné de destructions et de pertes humaines en Israël, Tsahal ripostera, au risque d’augmenter le capital de sympathie dont jouit l’Iran parmi la populace arabe.
Téhéran demandera également à son allié Béchar Al Assad d’ouvrir un second front contre Jérusalem, mais personne ne sait si le dictateur-opticien syrien obtempérera, car cela pourrait mener à l’effondrement de son régime et de sa dynastie. En cas de confrontation sur le Golan, la seconde ligne de défense du régime des Ayatollahs, les choses pourraient rapidement dégénérer en conflit régional entre Israël et l’Iran, ou en guerre mondiale, si les Européens et les Américains se décidaient à intervenir directement.
Derrière tous ces actes de guerre, derrière tous ces danger : l’Iran. L’Iran, en posture d’agresseur, à la recherche d’une situation d’inspirateur et de chef de file du monde arabo-musulman. L’Iran, nullement menacé par quiconque, s’il abandonne la fabrication de sa bombe atomique et s’il ne cherche pas à prendre le pouvoir par la force à Beyrouth.
Au lendemain du discours de Bandar Abbas, le commandant en chef de Tsahal, le général Gaby Ashkenazi, a déclaré, lors d’une cérémonie de nomination de nouveaux officiers de l’armée de terre : "Il y a des dangers pour notre survie à l’horizon et de grands défis pour la sécurité d’Israël. L’Armée de Défense d’Israël se doit d’assurer une victoire rapide lors de n’importe quel conflit, et je ne peux pas vous assurer que nous ne serons pas appelés à agir dans un proche avenir.".
Voici la réponse à la question : A quel degré faut-il prendre au sérieux les menaces iraniennes ? Et à ceux qui n’ont pas le courage, ou la clairvoyance, de regarder la situation stratégique telle qu’elle se présente.
Note :
[1] Dar el-Dhimmi : le peuple des non Dar el-Islam. Ceux qui n’appartiennent pas au peuple musulman, à la communauté des croyants.