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Albert Memmi - 1

Envoyé par lapid 
Re: Albert Memmi - 6
10 mars 2009, 03:06
Entretien avec Albert Memmi - Par Par Dov Maimon - Pour l'hebdomadaire israélien (Centre) Makor Rishon - 21 Avril 2007

* DM: Pour commencer, pourriez vous restituer les articulations essentielles de votre biographie intellectuelle? Aujourd'hui, tandis que des romans tels que Agar ou la Statue de sel (tous deux disponibles en hébreu) ont accédé au statut fort enviable de "classiques", j'aimerai savoir quelle place occupe la création romanesque dans votre vie ?

AM: Mon travail a porté sur deux dimensions : la création romanesque et l'inventaire du réel par les essais.

L'inventaire du réel, des individus ou des groupes, m'a conduit à considérer deux domaines principaux, qui partagent notre vie et peut-être celle des animaux : la dominance et la dépendance.
1. La dominance est la tentative de maîtriser autrui pour en tirer quelque profit, réel ou fictionnel. C'est pourquoi le racisme ou l'hétéro phobie (concept que j'ai forgé) en serait une bonne illustration (voir surtout mon livre sur le racisme).
2. La colonisation, à laquelle j'ai consacré de nombreux textes est également une bonne illustration du phénomène collectif. La condition juive en est une autre (voir mon Portrait d'un juif où j'ai forgé la notion de judéité). Mais aussi la condition des femmes, celle des noirs. J'ai ainsi découvert des ressemblances entre toutes ces conditions et des spécificités pour chacune.
3. Après une trentaine d'années de recherches sur la dominance, j'ai découvert l'importance du « besoin que nous avons d'autrui ». Ainsi dans la relation amoureuse (notion de duo), la relation filiale parentale, la dépendance au travail, etc. mais aussi la dépendance à l'imaginaire, principalement à l'art ou à la religion : là encore les mécanismes qui régissent notre dépendance aux drogues, alcool et tabac et ceux qui régissent nos relations avec l'art ou la religion, sont sensiblement les mêmes : on en est prisonniers et ils nous procurent du plaisir.
4. Mais aucune analyse conceptuelle ne pouvant épuiser le réel, individuel ou collectif, lequel possède presque toujours une dimension imaginaire (on aime une femme pour ce qu'elle est et aussi pour la manière dont on l'imagine) ; idem pour sa communauté ou sa patrie, j'ai donc besoin de me livrer tantôt à l'analyse conceptuelle tantôt à la construction fictionnelle. La création romanesque reste pour moi inesquivable.

* DM: Le sionisme n'est pas, vous l'avez suffisamment démontré, un phénomène colonialiste mais bel et bien un mouvement de libération nationale. Cependant, comment expliquez-vous que la critique d'Israël singulièrement en Europe, semble s'abreuver de plus en plus à la source de l'idéologie anti-impérialiste telle que celle-ci s'incarne aujourd'hui à travers notamment le mouvement que certains, tels P. H. Taguief et A. Finkielkraut, trouvent juste de qualifier de néo-gauchisme ?

AM: Parce que la gauche européenne reste imprégnée du manichéisme stalinien et soviétique. Les arabes ayant étés dominés par l'occident, et n'étant pas encore sortis de l'emprise occidentale, semblent demeurer les victimes. Idem en Israël. On fait l'impasse sur les féodalités arabes (devenus par miracle progressistes) et surtout sur l'argent du pétrole qui pèsera de plus en plus sur la politique de l'Europe.

* DM: En tant que militant de la première heure de la décolonisation, quel regard posez-vous sur l'évolution des sociétés du Maghreb, notamment face à la menace fondamentaliste ?

AM: Je ne suis pas rassuré, non seulement pour le Maghreb mais aussi pour l'ensemble du monde arabe. En fait, le monde arabe passe par ce stade que j'ai nommé le retour du pendule. Tant que le souvenir de la colonisation et de ses séquelles, et du déclin socio-historique du monde arabo-musulman ne se sont pas suffisamment estompés, le balancier risque d'aller aussi loin que possible : d'où les tentations passéistes, nationalistes, les tentatives de captation du pouvoir, au service desquels la violence et le terrorisme paraîtront les outils les plus efficaces. Au lieu de s'atteler courageusement à la démocratisation et à l'adoption des savoirs contemporains.

* DM: Dans la configuration du judaïsme français, vous incarnez le pan non-religieux, culturel, progressiste et identitaire. Pensez-vous qu'un judaïsme purement séculier, non seulement dépouillé de sa praxis rituelle mais oublieux des grands questionnements éthiques et métaphysiques véhiculés par l'ancienne sagesse hébraïque, soit possible ou tout simplement souhaitable?

AM: Je ne condamne pas les rites, individuels et collectifs. Ils sont reposants en marquant les rythmes du temps ; il contribue à l'unité collective. Je condamne par contre leur sacralisation, la prétention des rabbins, et des prêtres en général, d'être les porte-parole de quelque divinité alors que ce sont des bricoleurs de l'histoire.

Je ne condamne pas davantage les questionnements éthiques ou même métaphysiques, si métaphysique il y a ; je dénonce les réponses cléricales et mythologiques à ces questions. Aucun dieu ne peut nous fournir un apaisement à nos inquiétudes, pour moi du moins. La bible, comme toutes les écritures dites saintes, est de la littérature, excellente d'ailleurs. J'ai proposé quelque part la formule : « La religion est de la littérature devenue folle ».

* DM: La solution longtemps prônée par la gauche intellectuelle israélienne, je veux dire le partage de la terre en "deux Etats pour deux peuples"et une Jérusalem capitale tant de l'Etat palestinien, à l'Est, que de l'Etat hébreu, à l'ouest – cette solution-là vous paraît-elle toujours opérante, au lendemain de l'échec patent des accords d'Oslo pourtant conçus sur cette base ?

AM: Tant que les hommes ne sont pas devenus plus raisonnables, je suis pour le partage de la Palestine en deux états et deux peuples. Mais je ne suis pas sûr que le rêve sioniste ait vraiment disparu, ni que les arabes se soient résignés à l'existence, parmi eux, d'une identité nationale.

* DM: Quelle relation portez-vous sur la relation qu'entretiennent les communautés de l'Exil à l'Etat d'Israël ?

AM : Décisive, dans les deux sens.

* DM: Pour terminer, pourriez-vous me dire ce que vous attendez des rencontres de Jérusalem dans le cadre desquels vous interviendrez ?

AM: Mieux connaître mes collègues et amis.
Re: Albert Memmi - 7
10 mars 2009, 13:53
Albert Memmi, Israel et le Sionisme

Albert Memmi[21] , qui a tant écrit sur la colonisation et milité contre, témoigne en 1974 :

« Les masses musulmanes ont été parmi les plus pauvres de la planète. Et les nôtres ? Qui a pu visiter l’un de nos ghettos sans effroi ?....Les arabes furent colonisés, c’est vrai. Mais nous donc ! Qu’avons-nous été, pendant des siècles , sinon dominés, humiliés, menacés et périodiquement massacrés ? Et par qui ? N’est-il pas temps que l’on nous entende là-dessus : par les Arabes musulmans ! Au point, le sait-on assez, que les colonisations françaises, anglaise et italienne, que la majorité des intellectuels juifs condamnent par morale politique, ont été ressenties par nos propres masses comme une garantie de survie. »

« Deuxième mythe à dissiper : ces exactions seraient les conséquences du sionisme, répondent les propagandistes arabes musulmans ; et répètent stupidement leurs ignares soutiens européens. C’est historiquement absurde : ce n’est pas le sionisme qui a été à l’origine de l’antisémitisme arabe, mais l’inverse, tout comme en Europe. Israel est une réplique à l’oppression subie par les juifs du monde entier, y compris notre oppression à nous, Juifs arabes. »

« Israel représente le résultat, encore fragile, de la libération du juif, tout comme la décolonisation représente la libération des peuples arabes et noirs d’Asie et d’Afrique. »

« La vérité est que pour la première fois depuis des siècles, les juifs, y compris les juifs arabes, essaient de parer aux coups, et cela s’appelle le sionisme. » « On ne peut pas sans hypocrisie, demander à un être, singulier ou collectif, de renoncer à se défendre s’il est menacé… Je ne peux réclamer moins que ce que je n’ai jamais cessé d’exiger pour les Arabes musulmans : .la libération et l’épanouissement national, pourquoi ne formerais-je pas les mêmes vœux pour les miens ? Si c’est cela être sioniste, alors je suis sioniste en effet. »

« La fameuse vie idyllique des Juifs dans les pays arabes, c’est un mythe ! La vérité … est que nous étions d’abord une minorité dans un milieu hostile. ..Aussi loin que remontent mes souvenirs d’enfant, dans les récits de mon père, de mes grands-parents, de mes tantes et oncles, la cohabitation avec les Arabes n’était pas seulement malaisée, elle était pleine de menaces, périodiquement mises à exécution. Il faut tout de même rapport ce fait lourd de signification : la situation des juifs pendant la colonisation était plus sûre, parce que plus légalisée. » « Car sur la période qui a précédé la colonisation, la mémoire collective des juifs de Tunisie ne laisse aucun doute. Il suffit de reprendre les quelques récits, les quelques contes qui en restent : c'est une sombre histoire. Les communautés juives vivaient dans les ténèbres de l'histoire, l'arbitraire et la peur, sous des monarques tout-puissants, dont les décisions ne pouvaient être abolie ni même discutées. Tout le monde, direz vous, était soumis à ces monarques, sultans, beys ou deys. Oui, mais les juifs n'étaient pas seulement livrés au monarque, mais à l'homme de la rue. Mon grand-père portait encore des signes vestimentaires distinctifs, et il vivait à une époque où tout passant juif était susceptible de recevoir des coups sur la tête de tout musulman qu'il rencontrait. Cet aimable rituel avait même un nom : la chtaka, et comportait une formule sacramentelle, que j'ai oubliée. Un arabisant français m'a objecté, lors d'une réunion " En pays d'islam les chrétiens n'étaient pas mieux lotis". C'est vrai, et alors ? C'est un argument à double tranchant : il signifie en somme que personne, aucun minoritaire, ne vivait en paix et dans la dignité dans un pays à majorité arabe ! "

" Jamais, je dis bien jamais - à part peut-être deux ou trois époques très circonstancielles, comme la période andalouse et encore - les juifs n'ont vécu en pays arabes autrement que comme des gens diminués, exposés et périodiquement assommés, massacrés, pour qu'ils se souviennent bien de leur condition."

"Sous la colonisation donc, la vie des juifs acquiert un certain degré de sécurité, même pour les classes pauvres (...) Ceux là toutefois, restaient des citoyens de seconde zone, soumis de temps en temps à une explosion de colère populaire, que les colonisateurs (...) ne contenaient pas toujours à temps, par indifférence ou par tactique. J'ai vécu les alertes du ghetto, les portes et les fenêtres qui fermaient, mon père qui arrivait en courant après avoir verrouillé son magasin en hâte parce que des rumeurs sur l'imminence d'un pogrom s'étaient répandues."

" Après l'indépendance en tout cas (...) nous étions des citoyens tunisiens et nous avions décidé de "jouer le jeu". Mais qu'ont fait les Tunisiens ? Tout comme les Marocains et les Algériens, ils ont liquidé - avec intelligence et souplesse - leurs communautés juives. Ils ne se sont pas livrés à des brutalités ouvertes comme d'autres pays arabes, (...) mais ils ont étranglé économiquement la population juive. Pour les commerçants c'était facile, il suffisait de ne pas renouveler les patentes, de refuser les licences d'importation, en même temps on avantageat leurs concurrents musulmans. Dans l'administration, ce n'était pas plus compliqué : on n'engageait pas de juifs; ou on mettait les anciens agents dans des difficultés linguistiques insurmontables que l'on n'imposait guère aux musulmans. De temps en temps, on envoyait en prison un ingénieur, ou un grand commis, sur des accusations mystérieuses, kafkaiennes, qui affolaient tous les autres. Sans compter, évidemment, le rôle joué par la proximité relative du conflit israelo-arabe : à chaque crise, à chaque évènement un peu important, la populace déferlait, brûlait les magasins juifs. (...) il y avait toujours ce fameux "retard" qui faisait que la police n'arrivait que lorsque les magasins avaient été pillés et brûlés."

« Les Juifs arabes se méfient des musulmans plus encore et que les Européens, et rêvaient d’Eretz-Israël bient avant les Russes et les Polonais. »"L'état d'Israel n'est pas le résultat du seul malheur des juifs d'Europe."

" L'attitude des arabes à notre égard ne semble guère différente de ce qu'elle a toujours été. Les arabes n'ont jamais que toléré l'existence des minorités juives. Ils ne sont pas encore revenus de leur surprise de voir leurs anciens subalternes relever la tête et même vouloir conquérir leur indépendance nationale ! ...

Ils veulent la destruction d'Israel."

Albert Memmi égrène encore les pogroms récents. Au Maroc : 1907 Casablanca, 1912 Fez, 1948 Oujda et d'autres villes. En Algérie : 1934, Constantine. En Egypte, 1948. Aden, 1946. Irak, 1941. Libye : 1945 Tripoli, Zanzour etc.., 1967. Et il commente " On nous jette constamment à la figure l'erreur de Deir Yassine : ah ! Nous en avons subi cent, mille des Deir Yassine ! Et pas seulement en Russie, en Allemagne ou en Pologne, mais bel et bien de la part de populations arabes, sans que le monde s'en soit jamais ému ! ( Au moment où je corrige les épreuves de ce livre, nous parvient la nouvelle du massacre de Kyriat Schmoné : douleur et ironie de l'histoire, des malheureux mitraillés dans leur lits, ces enfants précipités des fenêtres, sont tous des réfugiés nord-africains ! Des "Juifs-arabes"!)


[21]Albert Memmi Juifs et arabes Editions gallimard 1974

Source : [www.c-e-r-f.org] Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté
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