Astérix est-il un héros juif ?

Astérix est-il un héros juif ?

 

René Goscinny avait perdu une partie de sa famille dans les camps nazis. Sa fille, Anne, a exhumé ce passé tragique. Elle témoigne.

Arnaud Gonzague Arnaud Gonzague

L'OBS. C'est vous qui avez proposé au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme (MahJ) une exposition sur votre père. Pourquoi ce musée plutôt qu'un établissement davantage lié à la BD?

Anne Goscinny. Parce que j'avais été frappée par la qualité et la justesse de l'exposition que le MahJ avait consacrée à Marcel Gotlib en 2014. J'ai pensé que ce serait le bon endroit pour rappeler, avec sobriété, les origines de mon père, son passé, les douleurs qui l'ont construit. Il ne s'agit évidemment pas de l'assigner à une identité, mais je trouve intéressant, par les temps qui courent, de rappeler qu'Astérix, l'un des emblèmes de notre pays, a été inventé par deux hommes: l'un, mon père, dont les parents ont été naturalisés français dix jours avant sa naissance; l'autre, Albert Uderzo, dont les parents étaient italiens!

Goscinny a très peu évoqué sa judéité et n'a jamais parlé de la Shoah. Ces questions le touchaient-elles profondément?

Soyons clair, je n'ai pas de texte où il affirmerait que les pogroms subis par sa mère ou la disparition d'une partie de sa famille dans les camps nazis ont été des traumatismes et ont influencé son travail. Mais j'avais 9 ans quand il est mort, et, de ce que j'ai pu retenir de lui, de son extrême sensibilité, je me suis forgé la certitude que ces douleurs l'avaient profondément marqué.

Vous savez, sa mère, Anna, évoquait régulièrement son shtetl natal d'Ukraine, où sa maison avait été brûlée en premier parce que son père était rabbin. Et j'ai retrouvé des lettres qu'elle recevait de sa famille restée en France sous l'Occupation [Goscinny et ses parents avaient quitté la France pour l'Argentine en 1928, NDLR]. Elles racontent les brimades quotidiennes, l'étoile jaune cousue…

Je sais que tout cela a été un drame pour mon père. Par ailleurs, je n'oublie pas que lorsqu'il a commencé à faire la cour à ma mère, Gilberte - qui n'était pas juive -, il s'est senti obligé de préciser: «Il faut que je vous dise quelque chose: je suis juif. Est-ce que cela vous pose un problème?»C'est dans cet état d'esprit qu'il se trouvait.

Il faut dire que Goscinny avait subi l'antisémitisme à plusieurs reprises…

Oui. Un de ses amis lui a dit un jour : «Moi, tu vois, René, les juifs, je les sens.» Mon père lui a répondu: «Eh bien, tu as le nez bouché !»

On sait que votre père ne pratiquait pas. Mais était-il croyant?

Je n'ai pas de certitude, juste un souvenir. En août 1977, mes parents et moi avons fait un voyage en Israël. A Jérusalem, mon père est allé se recueillir devant le Mur des lamentations. Ma mère était atteinte d'un cancer et, pour la première fois de ma vie, j'ai vu mon père porter la kippa et écrire un petit mot qu'il a glissé dans le Mur. Ce geste m'a semblé bien mystérieux. Il m'a simplement répondu: «J'ai demandé que maman et toi soyez toujours en bonne santé.» Il est mort d'un infarctus deux mois plus tard. Depuis, tous les jours en pensée, j'ajoute son nom sur ce papier…

Certains ont voulu voir, dans le village d'Astérix, un écho du «shtetl», ces villages ou quartiers juifs d'Europe centrale. Vous y croyez?

On lit aussi que les couleurs des braies d'Obélix, bleu et blanc, sont celles d'Israël! Restons prudent avec les excès d'interprétations. Bien sûr qu'il est intéressant de lire «Astérix» avec ce filtre-là, et pas totalement incongru de rapprocher la situation d'un village qui résiste à une armée puissante et hostile menée par Jules César à celle des juifs au siècle précédent. Mais il ne serait pas juste de cantonner «Astérix» à cela, ne serait-ce que parce qu'Albert Uderzo, son cocréateur, n'est pas juif. Une part de moi reste quand même persuadée que mon père, en imaginant ce village où chacun est indispensable et parfois insupportable à l'autre, a inconsciemment réécrit l'histoire de ses origines.

Propos recueillis par Arnaud Gonzague

René Goscinny. Au-delà du rire
à partir du 27 septembre 
au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme (MahJ), 
Paris-3e

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