|
|
Gabriel Kabla : Le médecin djerbo-parisien
Il s’appelle Gabriel Kabla. Il figure parmi ces Tunisiens émigrés en
France dans les années 70 pour poursuivre leurs études supérieures après
avoir décroché avec brio leur bachot au pays. De ces Tunisiens qui ont fait,
alors, la fierté des leurs et du pays et qui continuent, trente ans après,
à rendre fiers d’eux les compatriotes qui les croisent. Leur carnet
d’adresses comprend des personnalités de la médecine, de la politique, de
la religion, du cinéma, de la littérature. A l’étranger, ils sont connus
dans certains milieux. Chez eux, et notamment lorsqu’on est sur une île
comme Djerba, on les arrête toutes les cinq minutes pour les saluer. Gabriel
Kabla fait partie de ces gens-là avec qui on trouve beaucoup de plaisir à
discuter, à palabrer. Nous avons eu un long entretien avec lui et on a parlé
de politique (bien sûr), de société, de religion, d’athéisme et de
monothéisme, de philosophie, d’histoire et même de géographie. De quoi
alors a-t-on parlé ? On remplirait des pages et elles ne seront pas
lassantes. D’ailleurs, on ne se lasse pas de palabrer avec le Dr Kabla, le médecin
djerbo-parisien. Du départ des Juifs tunisiens de Djerba, il nous rappelle
qu’il y a eu des mouvements en 1948 avec la création de l’Etat d’Israël,
en 1967 avec la politique coopérative de Ben Salah ou encore dans les années
70 et 80 avec une certaine politique du gouvernement tunisien qui ne leur était
pas du tout favorable. “ Aujourd’hui, nous dit-il, il faut le dire et ce
n’est pas une démagogie, avec la politique du Changement du Président Ben
Ali, on voit des Juifs qui viennent ici, qui construisent, qui investissent.
C’est nouveau ça, moi le dernier chantier que j’ai vu ici remonte à
1965. Maintenant, on voit des Djerbiens de Paris qui construisent ici ”.
On commence à parler politique, et avant d’aborder la guerre qui vient de
s’achever en Irak, on parle du pays. C’est plus porteur, du reste. “ On
s’épanouit ici ”, nous dit Gabriel qui a troqué son costard cravate pour
jeans et baskets, sans oublier d’omettre de se raser la barbe pour bien
marquer qu’il est en vacances et qu’il fête bien la Pessah. On l’invite
à pousser son analyse politique sur la situation en Tunisie et, en fin
connaisseur, il nous parle des caractères du régime et de ces choix qui ont
fait de lui un exemple régional : “ Le respect de la dignité humaine des
dirigeants de ce pays, la justice, la réussite socio-économique et la liberté
de déplacement ”. En quatre phrases succinctes, il résume et dit tout.
Inévitablement, on parle du conflit palestinien. “ La Tunisie a toujours eu
une politique sage et lucide ”, répond Gabriel, et il rappelle l’appel au
dialogue et à la paix lancé par le Leader Habib Bourguiba en 1964 à Jéricho
et les grandes actions diplomatiques et les prises de position du Président
Zine El Abidine Ben Ali sur la scène internationale sur la question
palestinienne. Une position qui invite les deux communautés à vivre en paix
comme ici en Tunisie. Pourquoi cette politique ? “ On a beaucoup parlé de
raisons économiques, mais la raison est toute autre. Le gouvernement tunisien
reconnaît son histoire et donne à tous ses citoyens leurs droits, quelle que
soit leur religion, leur couleur ou leur race. L’aspect mosaïque de la société
tunisienne fait partie de notre culture et spécificité. La Tunisie ne donne
pas de leçons, mais il est indéniable qu’elle est un exemple à méditer
”.
On revient sur le conflit palestinien pour préciser qu’il ne s’agit
nullement d’un conflit de civilisations, ni de religions, mais d’un
conflit d’occupé et d’occupant, de territoires et de pays. “ Les Juifs
tunisiens, bien sûr, souhaitent la paix au Proche-Orient et sont contre ce
conflit. Cela va de soi, d’autant plus qu’ils savent que les deux
communautés peuvent vivre en paix puisque eux vivent en paix avec les
Musulmans de Djerba, avec des échanges intelligents où les deux parties sont
gagnantes ”. Quel impact sur les communautés juives tunisiennes ?
“ Tu sais, dit-il, il y a beaucoup plus de points qui nous rapprochent que
de points qui nous éloignent. Les derniers conflits (Intifadha, Irak, 11
avril) sont tous pensés, organisés et réalisés par des organismes étrangers
qui n’ont pas affecté le comportement des Juifs tunisiens envers leur pays,
ni la politique du pays envers ses Juifs. Et l’Etat a bien joué son rôle
dans ces conflits ”.
C’est comme si ces gens étaient en train de payer un loyer pour un
appartement qu’ils n’occupent pas. Et on sent parfois qu’il y a un
ras-le-bol de devoir répéter au reste du monde que les deux communautés
vivent en paix dans leur pays.
La discussion n’est pas finie. D’ailleurs, elle ne peut pas finir, car,
quand on rencontre un compatriote de cette trempe-là, on ne peut que
discuter, s’amuser, construire, travailler pour son pays et pour l’humanité.
De quelle trempe s’agit-il ? De la trempe humaine tout court, dans son sens
le plus noble. Et Gabriel Kabla est un noble ! S’il y en avait quelques-uns
comme lui en Israël ou en Palestine, le conflit israélo-palestinien actuel
n’aurait peut-être jamais atteint cette gravité. Seulement Gabriel est
Tunisien. Tant mieux !
Nizar Bahloul
|