Massacre de Newtown : Il est temps de dégainer
Par Leah Pisar, docteur en sciences politiques
Cette fois, il va falloir que ça change. Alors que Barack Obama vient d'effectuer la quatrième visite de son mandat dans une communauté brisée par une violente fusillade - celle de Newtown il y a quelques jours, la plus meurtrière de toutes ; celle du cinéma d'Aurora, dans le Colorado, qui a fait douze morts et plus de cinquante blessés en juillet dernier ; celle de Tucson dans l'Arizona, qui avait grièvement blessé la parlementaire Gabrielle Giffords et tué six personnes en 2011 ; et celle sur la base militaire de Fort Hood, dans le Texas, qui avait fait 13 morts en 2009 -- l'Amérique en deuil, sous le choc, attend.
Même dans le sillage sanglant du massacre de Newtown, tout n'est pas si simple. A travers ses larmes, l'Amérique vit une remise en question existentielle sur un sujet profondément complexe, sensible et bourré de contradictions.
Car il ne s'agit pas du simple droit à l'auto-défense, qui remonte à la période du Far West, quand les routes et les sentiers grouillaient de bandits - et que les supermarchés où l'on peut aujourd'hui acheter une arme à feu presque aussi facilement qu'un paquet de cigarettes n'existaient évidemment pas encore.
Le droit de porter une arme est ancré dans la Constitution américaine, protégé par le Deuxième Amendement, qui vient juste après le Premier Amendement, qui garantit, lui, la liberté d'expression. Pour une majorité d'Américains, c'est donc moins une question de pouvoir tirer sur un cambrioleur qui s'introduirait chez eux que de protéger un droit, une liberté fondamentale et sacro-sainte, dans la lignée des Pères Fondateurs.
En regardant les visages des parents qui ont perdu leurs enfants, on se dit que les Pères Fondateurs, s'ils voyaient ce qui se passe aujourd'hui, supplieraient Barack Obama de prendre de vraies mesures.
Mais que peut-il faire ? Pour agir, il a besoin du Congrès. Si le Sénat est aujourd'hui à majorité démocrate, la Chambre reste républicaine. Tout cela est évidemment amplifié par le lobby pro-armes, notamment la National Rifle Association (NRA). Cette NRA si puissante, qui a été longtemps dirigée par le légendaire acteur Charlton Heston, met énormément de pression sur la droite comme sur gauche, et bon nombre d'élus n'osent s'y opposer. Ce qui pose souvent un problème déontologique pour des candidats qui essaient de mettre de l'eau dans leur vin et se font photographier en tenue de chasse pour rassurer sotto voce leurs électeurs qu'ils ne toucheront pas au Deuxième Amendement.
Aujourd'hui, la NRA est quand même embêtée. Cette association a refusé d'émettre le moindre commentaire sur la tuerie de Newtown. Et le journaliste David Gregory, qui anime la grande émission du dimanche matin "Meet the Press" a annoncé qu'il avait invité chacun des 31 Sénateurs pro-NRA à participer à son émission, et que tous ont refusé. Ses collègues sur d'autres chaines confirment ce comportement.
David Gregory a donc reçu Dianne Feinstein, Sénateur de Californie, qui s'est engagée à proposer un nouveau projet de loi pour bannir les armes d'assaut dès le premier jour de session du Congrès en 2013. Ce projet reprendrait celui qui avait été adopté en 1994 et est resté en vigueur pendant 10 ans, mais que le Congrès républicain n'a pas renouvelé en 2004. Il s'agira donc d'en proposer une nouvelle version qui "bannira la vente, le transfert, l'importation et la possession d'armes - pas rétroactivement mais prospectivement", assure Dianne Feinstein. Il bannira aussi les ventes de chargeurs de plus de dix balles. "Le but est de retirer les armes de guerre... des rues."
Une telle initiative doit être initiée par la législature. Et il faut donc applaudir Madame Feinstein pour cette proposition. Dans le triste contexte actuel, elle a de bonnes chances de passer.
Mais pour cela, il faut le leadership de Barack Obama qui, comme l'a fait le Président Lyndon Johnson face à la ségrégation il y a un demi-siècle, devra avoir la force et le courage de tenir un discours et de prendre des mesures controversés, qui ne feront pas l'unanimité au sein de l'opinion publique.
La NRA a une triste formule, selon laquelle "ce ne sont pas les armes qui tuent, mais les individus." Monsier de La Palisse ajouterait, d'un ton lugubre, que ce raisonnement ne tient debout que si les individus en question sont armés.
Eh bien, le garçon armé jusqu'au dents qui s'est emparé du fusil d'assaut (l'équivalent civil d'un M16 !) que possédait sa mère, et de vastes quantités de munitions pour massacrer des enfants dans l'école de Newtown, aurait-il pu agir si ces armes n'étaient pas à la portée de sa main ? Si sa mère - sa première victime - ne l'avait pas emmené s'entrainer sur des stands de tir ? Il est évident que s'il n'avait pas eu accès à cette immense cache d'armes ni su s'en servir, il aurait eu bien plus de mal à passer à l'acte.
On ne peut savoir ce qui inspire un jeune homme à faire une chose pareille. Mais Barack Obama doit se dire qu'il faut arrêter de banaliser et de glorifier cette violence. Comme l'a fait remarquer l'acteur Morgan Freeman dans une émouvante tribune, on se souvient encore des noms des assassins à l'école de Columbine, en 1999, mais personne ne se souvient de ceux des victimes. Triste constat.
Freeman n'est pas le seul acteur à s'être exprimé. Jamie Foxx, qui est à l'affiche du dernier film de Quentin Tarantino, qui ne fait pourtant pas dans la comédie à l'eau de rose, a déclaré : "Nous ne pouvons tourner notre dos et dire que la violence dans les films... n'a pas une sorte d'influence."
Oui, Hollywood et toute l'industrie audiovisuelle ont aussi leur rôle à jouer - que ce soient les long-métrages, les séries télévisées, ou les jeux vidéos, une réflexion s'impose sur la place de la violence dans le paysage des loisirs.
Cette guerre contre la violence doit donc être menée sur deux fronts : Bannir autant d'armes que possible ; et atténuer les images sanglantes qui se prolifèrent sur les écrans et dans les esprits.
Barack Obama, de par sa personnalité, son histoire personnelle et ses principes profonds, est l'homme qui peut faire la différence. Il doit à présent se lancer dans cette bataille, au nom de :
Charlotte Bacon, 6 ans
Daniel Barden, 7 ans
Olivia Engel, 7 ans
Josephine Gay, 7 ans
Ana Marques-Greene, 6 ans
Dylan Hockley, 6 ans
Madeleine Hsu, 6 ans
Catherine Hubbard, 6 ans
Chase Kowalski, 7 ans
Jesse Lewis, 6 ans
James Mattioli, 6 ans
Grace Mc Donnell, 7 ans
Emilie Parker, 6 ans
Jack Pinto, 6 ans
Noah Pozner, 6 ans
Caroline Previdi, 6 ans
Jessica Rekos, 6 ans
Avielle Richman, 6 ans
Benjamin Wheeler, 6 ans
Allison Wyatt, 6 ans
de leurs maîtresses d'école, qui se sont sacrifiées pour les protéger : Rachel Davino, Anne-Marie Murphy, Lauren Rousseau, Mary Sherlach, Victoria Soto et Dawn Hocksprung, et de tous ceux qui ont péri dans d'autres massacres insensés.
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