Au loin Kyokko, bravant le froid naissant en cette fin de journée dominicale, s’achemine, selon ce rituel hebdomadaire auquel elle n’a pas failli depuis bientôt vingt ans vers son épicier favori, bien décidée à lui demander de lui raconter comment, venu de Djerba, membre de la tribu des « Menn’i » il tolère avec un tel détachement de supporter le froid ambiant en lieu et place de l’atmosphère lumineuse et accueillante de son île natale.

Raconte-moi , Menn’i, raconte-moi , dis-moi pourquoi tu persistes à séjourner dans cette rue déserte, passage obligé néanmoins pour celui qui, las de déambuler sur le Boulevard Pigalle, s’en va bifurquer vers le triangle toujours en mouvement qui fait se rejoindre les rues de Douai, Duperré, Fontaine, Mansart et bien d’autres ?

Menn’i, loyal, l’embrasse d’un regard amical et comme seule réponse lui demande à son tour

-Dis-moi Yokko, dis-moi comment tu as choisi de quitter ton île natale, ta bourgade japonaise il y a bientôt vingt ans pour séjourner à cet angle de la rue Fromentin avec comme seul projet de recueillir un client de passage avec qui pour quelques quarante euros tu vas accomplir ton éternel sacerdoce de lui porter un peu de réconfort ?

                                                                                                            Signé : « anonyme »