Une avenue bordée de palmiers, comme il y  en a tant en Tunisie, c'est banal....A une extrémité, une place traversée par une voie de chemins de fer, les remparts sur la droite, au fond le port et à gauche quelques terrasses de cafés, où les mères, après le déjeuner, viennent s'installer avec leurs landaus, poussettes, et enfants courant partout, pour leur faire profiter du soleil du début d'après midi en hivers, d'après la sieste en été...Les conversations vont bon train :  on parle d'enfants, de cuisine, des fêtes, on se chamaille un peu à propos d'une bonne ou d'une repasseuse que l'une aurait "chipée" à l'autre ... 
A l'autre bout de l'avenue, la plage avec ses escaliers rouges , la quarantaine, "mhrar jebla", et quelques cafés en face de la mer....La plage est là, si belle, le sable blanc doré nous éblouit, la mer scintille, l'eau cristalline clapote doucement. Comment  pourrai-je oublier ce bonheur d'aller nager, loin, très loin au petit bleu, au grand bleu !, de plonger, faire la planche sous le soleil,  tout ce sel sur la peau..  C'était magnifique et çà n'est plus, pour moi en tout cas
 
Les bains de mer, c'était entre midi et deux, aux heures les plus chaudes ! Nous rentrions après à la maison prendre une bonne douche pour nous rafraîchir et déjeuner.....Le mauvais moment pour nous, les enfants, c'était la sieste...Comme on n'aimait pas çà ! Avec mes soeurs, on se levait en cachette pour aller au balcon...Nos parents nous rappelaient à l'ordre et nous courions dans nos chambres pour nous relever aussitôt : nos pieds nus martelaient le sol d'un bout à l'autre de la maison, au rythme de nos allées et venues....Quel bonheur quand enfin nous entendions le cri libérateur "Frigolos bien glacés !"  : la sieste tirait à sa fin, on allait pouvoir bouger, s'habiller, sortir.
 
 
On  "faisait" l'avenue tout au long de l'après-midi : jeunes, moins jeunes, enfants, nous marchions tous sur la chaussée, ignorant superbement les trottoirs, les voitures s'arrangeaient comme elles pouvaient pour se frayer un passage. Nous les jeunes, déambulions par deux, trois ou quatre, en général, les filles avec les filles et les garçons avec les garcons, on se croisait, re-croisait  échangions quelques mots et rires au passage, nous nous plaignions aussi "qu'est ce qu'on s'ennuie !" . Tout cela sous les regards des parents souvent, dont les magasins bordaient l'avenue : en fin d'après midi, les épouses venaient rejoindre leur mari au magasin, avec leurs amies, elles s'installaient sur des chaises devant la porte, et les conversations continuaient ...Cela ne gênait nullement les clients qui venaient se faire faire un costume chez mon père, acheter des chaussures ailleurs, manger une glace ou boire une citronnade "Chez Gaston tout est bon" ou "Au grand glacier", en face .....

C'était  une partie de la vie à Sousse, en tout cas la vie en été de la jeune adolescente que j'étais dans les années 55/60
Sousse que j'ai quittée en 62, pour y retourner une semaine en 68. Puis "oubli" pendant 35 ans ! Retour enfin en l'an 2000 pour une semaine.  Ce n'était plus tout à fait la même ville  ni tout à fait une autre.  Sentiments mitigés... Ce n'est que dans la mer, le souffle coupé,  que j'ai ressenti une profonde émotion qui m'a ramenée des années en arrière ...C'était la même mer, celle de mon enfance et de mon adolescence.

LILIANE COHEN