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UN TUNE AU MAROC III |
= Sous une tente bédouine, au Sud, j'ai vu une petite fille tenant une Outre
bien pleine.
- J'ai revu, alors, le Porteur d'eau (le Guerbaji) qui déambulait, le long des
ruelles du Ghetto de Tunis (la H'ara), pour en fournir aux familles qui
n'avaient pas d'eau courante à la maison. Pour la somme de quelques sous, il
vidait le contenu de son outre dans votre grande jarre de terre cuite.
Le ventre de cette peau de chèvre était hermétiquement recousu et les extrémités
de passage des membres de l'animal étaient serrées par des cordes qui servaient
de bretelles, que le porteur de l'outre passait sur l'épaule.
L'ouverture du cou servait de goulot qu'il fermait temporairement avec une autre
corde. Il portait sur son don un grand tablier de cuir épais qui le protégeait
de l'eau qui degoulinait à travers les pores de la peau de l'outre.
Il y avait aussi, au Ghetto, des fontaines publiques d’où on allait quérir de
l'eau, mais les deux seaux (même à moitié pleins) étaient lourds pour nos petits
bras. Plus tard, adolescents, nous avions honte de le faire, alors on retournait
souvent au Porteur.
Les traitements que la peau de l'outre avait subi, pour rester toujours
flexible, donnaient à l'eau un goût que peu de gens appréciaient, surtout en été
quand on en buvait plus que d'habitude, alors on y mettait des quarts de fenouil
qui lui donnaient un goût anisé.
L'outre m'avait aussi rappelé la raison, parait il, pour laquelle les Tunes de
notre génération n'aimaient pas les produits laitiers, bien qu'ils buvaient du
lait. Pendant des siècles les juifs n'avaient pas goûté au beurre ni aux
fromages commerciaux parce que, disait-on, ils étaient préparés dans des outres
en peau de chèvre (du lait dans de la viande).
Seuls les juifs des villages en mangeaient, ils fabriquaient eux-mêmes leurs
fromages.
= Pour moi Nabeul était la capitale mondiale de la Poterie, peut être aussi
Djerba, mais au Maroc j'ai changé d'avis, on vous présente partout des étalages
de poteries.
Ces images montreront que le Tajine que vous avez acheté n'a pas été fabriqué
industriellement sur des étampes, mais a passé par les mains d'artisans de
talent. Du potier qui lui donne la forme, il passe un pré séchage puis il est
pris en charge par la décoratrice qui avec son compas et son stylet le couvre
d'ornements géométriques.
= Il est ensuite coloré et passé au four.
= Certains préfèrent les poteries de couleur ocre qui font plus authentique,
d'autres auront un choix de toutes les couleurs de leur goût.
Contrairement aux Souks d'autres pays, au Maroc je ne me rappelle pas avoir vu
parmi toutes ces poteries, une seule Darbouka en terre cuite.
= En compensation j'ai pu voir un artisan qui fabriquait des tambourins en
bois. Je crois qu'il était le seul dans toute la Médina et pouvait passer
presque inaperçu parmi les autres boutiques qui l'entouraient. Ce qui avait
attiré mon attention, c'étaient les odeurs de la colle et du vernis contenus
dans des boites ouvertes et éparpillées sur son établi.
- Le Maroc est le royaume du cuivre ciselé, je dirai même que parler, ici, de
cet artisanat est presque banal. Tout touriste se croit obligé de ramener avec
lui une pièce de cuivre ciselé.
J'avais gardé un sentiment spécial pour cet art. Je me rappelle que, dans ma
jeunesse, j'avais passé des heures à admirer un voisin de rue, quand il
dessinait, sur le cuivre, au compas et à la règle, des belles formes
géométriques. Il transformait ensuite le dessin, avec son ciseau, en parfaits
sillons creusés dans le métal, qui paraissait si mou. Il en faisait sortir un
copeau fin comme un fil flamboyant.
Là, pas d'erreur, il fallait beaucoup de maîtrise pour guider cet outil
tranchant.
= J'avoue que ce voyage au sud du Maroc fut un voyage dans mon Passé vécu à
l'autre bout de l'Atlas, et j'ai pu y voir des scènes que je n'ai pas eu
l'occasion de revoir, même lors de mes visites récentes, au pays où j'étais né.
Pour les tapis, c'était plus frappant, parce que pour moi, en dehors de
l'insolite et de l'exotique-attire-touriste, il y avait la douce chaleur de mon
Enfance, colorée par de belles images de ma mère.
Que de souvenirs, quand je pense à la Laine et aux étapes qu'elle a traversées.
Je ne sais pas pourquoi, mais ici, ma mémoire de petit enfant est très nette,
même après tant d'années.
= En plus de tous les talents de bonne ménagère qu’on exigeait d’elle, une
jeune juive du Sud de la Tunisie devait prouver, à sa future belle famille,
qu’elle était habile en travaux manuels divers. Elle devait savoir broder,
coudre et même exécuter un tapis de haute laine. Elle devait maîtriser toutes
les taches exigées pour passer de la laine à l'état brut, jusqu'à la confection
finale d'un tapis multicolore.
La laine achetée au souk en vrac, et au poids, était lavée puis séchée pour
passer petit à petit entre deux Cardes (qui ressemblaient à des raquettes
carrées) qui l'affinissaient et l'aérait en arrangeant ses fibres. Elle passait
entre les milliers d'épines métalliques, inclinées, des cardes qu'on tirait en
directions opposées avec une force non négligeable. Une fois que le passage des
cardes devenait facile, ma mère extrayait la laine en les repassant dans l'autre
sens. Alors la laine se détachait en une sorte de "banane" d'environ 15 cm de
long, légère et belle comme un petit nuage. Elle
déposait ces bobines l'une sur l'autre, sans qu'elles se mélangent.
- Une fois toute la laine transformée en centaines de petits rouleaux, elle
commençait le filage à la quenouille. Elle attache le bout du morceau de laine à
la tige de la quenouille qu'elle faisait tourner et arrivait, en étirant sur
son volume, à former un fil continu, de même diamètre. Mais le plus fort c'est
quand elle raccorde l'extrémité d'un rouleau terminé à celui d'un nouveau. Et
ainsi de suite jusqu'à ce que le fil ait formé une grosse pelote sur la tige de
la quenouille. Maintenant à mon tour de participer à la tache, mes petits bras
servaient alors de supports autour desquels elle enroulait le fil qu'elle vidait
de la quenouille, pour créer une pelote.
Ces pelotes seront colorées selon les teintes désirées. L'opération se passait
dans un grand chaudron chauffé sur un feu de bois dans la cour de la maison
familiale.
(Toute cette phase était, aussi, nécessaire pour d'autres travaux dans lesquels
elle utilisait de la laine.)
Les pelotes séchées seront suspendues sur un métier à tisser pour être coupées
en des millions de petits nœuds qu'elle serrait autour des fils verticaux (la
chaîne), les alignant en rangées horizontales.
= Le tassement des rangées de boucles se fait à l’aide d’un lourd Peigne dont
les dents en acier passent entre ces fils verticaux Je pense que ce travail
n'était pas facile pour leurs délicates mains.
= Avec une grande paire de ciseaux elle taillait la hauteur des dernières
rangées de nœuds à l'épaisseur de la partie du tapis qu'elle avait déjà finie.
Je ne me rappelle plus si elle s'aidait de dessins ou de modèles, je crois
qu'elle connaissait tout par cœur et du bout des doigts.
J’ai pu assister, très jeune, à la fabrication de deux tapis que ma mère avait
faits pour être vendus dans des moments difficiles, pour cela mon père avait
loué un grand Cadre de poutres de bois qui a servi de métier à tisser.
Le beau tapis que ma mère avait apporté dans sa dote, avait vécu moins de douze
ans. Il avait péri dans un incendie qui détruisit toute notre Souccah, je
n’avais que dix ans.
= Un des travaux artisanaux les plus omniprésents au Maroc est le bas-relief
géométrique sculpté dans le bois. On le voit sur des éléments architecturaux:
portes, fenêtres… ou sur les meubles d'intérieur tels que buffets, paravents,
armoires, tables et autres. Ici, cet art arabo-andalous a su se conserver mieux
qu'ailleurs. On pourrait facilement confondre un objet contemporain avec un
ancien.
Les modèles sont des entrelacs de bandes qui forment une combinaison très
compliquée de polygones géométriques simples et étoilés. On trouve aussi des
versets coraniques
= Un dessin très rigoureux tracé au compas et à la règle, précède la pose des
gabarits des détails, déjà préparés par le Maître. Ensuite vient le travail non
moins rigoureux et qui n'admet aucune erreur, celui des sculpteurs, ils
travaillent souvent en groupe, pour "libérer" les bandes entrelacées du volume
de la grande planche de bois. Comme dans un concert d'instruments à percussion
on entend les coups rythmés des maillets de bois, taper sur la tête du ciseau.
L'artisan fait avancer cet outil qui creuse son sillon. Attention aux petits
copeaux qui s'envolent.
Des opérations de finition et de conditionnement du bois mettra en valeur ce
minutieux travail.
La sculpture sur bois peut être de 3 niveaux selon la profondeur des sillons du
ciseau: le Bas-relief, le Haut Relief dont les bandes ont plus de profondeur et
de volume et, les modèles Ouverts où les bandes géométriques prennent toute
l'épaisseur de la planche. La lumière qui passe par les petites ouvertures
géométriques, créées entre les bandes, permet de voir à travers les ornements
des panneaux destinés à la discrétion et la protection des dames.
= Depuis des dizaines d'années j'avais perdu de vue un ami d'enfance, le
Cordonnier. Dans le temps où une chaussure était toute en cuir et coûtait cher,
elle devait durer longtemps. C'était lui qui la réparait, à chaque fois que la
semelle s'usait et que l'eau de pluie commençait à glacer nos petits doigts.
C'était lui qui lui redonnait une nouvelle jeunesse. Ainsi, grâce à ce magicien,
une chaussure passait souvent d'un frère à son cadet.
Je l'ai revu au Maroc, avec son épais tablier, ses petites boites pleines de
clous noirs de toutes les dimensions, ses pots de colles et surtout ce "Pied" de
fer, planté dans un socle de bois, qu'il tenait bien entre ses jambes.
Il avait des callosités si épaisses (on disait calles), au bout des doigts,
qu'il n'avait pas besoin de marteau pour planter les petits clous, c'était du
moins ce qu'on croyait.
Avec dextérité il cousait, à la main, les grosses semelles, en passant les fils
de chanvre, dont les extrémités étaient raidies par de la cire, à travers un
petit trou qu'il avait percé, dans le cuir, avec une pointe bien aiguisée.
- Il reste quelques milliers de juifs au Maroc, qu'on peut rencontrer surtout
dans des centres communautaires des grandes villes: J'ai été surpris à
Marrakech, de voir une affiche dressée au dessus d'une bijouterie qui
appartenait à Isaac Dahan, dont le nom était écrit en caractères Hébraïques.
Rien que pour cela il a mérité sa place sur cette liste.
Bien sur il y a des milliers d'autres métiers dans les Médinas du Maroc, mais
j'ai voulu choisir ceux qui par leur odeur, la mémoire de leurs couleurs et
parfums avaient fait résonner des cordes d'un passé que j'ai vécu, en Tunisie.
J'ai aussi sélectionné des couples de photos qui se balançaient ou qui m'avaient
parues insolites.
Beaucoup de traditions, profondément semblables, m'avaient montré que, malgré
les invasions de plusieurs "civilisations", les traces d'un patrimoine propre
aux pays traversés par les chaînes de l'Atlas, ont pu résister à toutes les
conquêtes.
Si ces récits sur un Maroc à la sauce tunisienne ont réveillé en vous, cher
lecteur, quelques sentiments ou souvenirs, c'est là toute ma récompense.
Elle sera encore plus grande si quand vous reverrez un jour, des images
pareilles, vous vous rappelleriez de ce que vous avez lu ici.
Pour les photos de grands châteaux à l'Andalouse ou de ruelles étroites, de
caravanes de dromadaires sur les dunes du désert ou de paysages panoramiques,
les revues ou les programmes de tourisme à la télévision le font mieux que moi.
Leurs photographes professionnels sont sûrement mieux équipés que je ne le fus.
Ces médias, qui cherchent à nous épater et nous plaire, m'avaient plutôt
instruit, sans trop m'émouvoir.
Je voudrai finalement dédier ces 3 volets de mon voyage au Maroc à tous mes amis
qui étaient nés là bas.
Texte et photos: Avraham Bar-Shay (Benattia)
absf@netvision.net.il
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