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LE WEB DES JUIFS TUNISIENS

 

"LES EMBRUNS DE MA MEDITERRANEE:"

"MON VOYAGE EN TUNISIE"

par ISABELLE TAHAR MILLER

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La Tunisie j’en ai entendu parler depuis toujours, elle a baigne tous mes souvenirs d’enfance. Je n’y pretais qu’une attention limitee alors, ne voulant saisir de ces descriptions enthousiastes que le cote "exotique" qu’elles pouvaient inspirer.

Ce n’est que bien plus tard que j’ai appris a vouloir les connaitre et a aimer mes racines. C’est grace, je dois le dire, a mon mari Justin qui lui est ne bien loin de la Mediterranee et de son folklore.

Alors nous avons decide ensembles de partir a la recherche de mes ancetres et de leur origine en nous rendant a Sousse, ville natale de mes parents, grands-parents et arriere grands-parents. Nos pas nous ont guide egalement vers Djerba pour y decouvrir sa vibrante communaute juive et la tres spirituelle synagogue de la Ghriba.

Le recit qui suit est celui de notre recent voyage. Que les lecteurs soient avertis: tous les faits decrits et sensations n’engagent que moi. Je ne pretends pas detenir la "vraie" Tunisie si il en existe une! Je ne parle qu’en mon nom.

C’est simplement "ma Tunisie" que je vais vous faire partager.

1er Jour:

12h32 Heure locale. Nous touchons le sol tunisien apres avoir survole les terres sablonneuses et les routes desertes, bien differentes du spectacle du ballet incessant des voitures sur le territoire americain auquel je suis habituee. Je suis un peu emue et je repense a mes chers grands-parents disparus Yvonne et Emile Tahar, a papa et maman et a Naomi ma fille, mon petit soleil d’amour... restee a Paris.

La temperature exterieure est de 23 degres mais le ciel est nuageux. A ma grande surprise, je trouve l’aeroport international de Monastir froid et mal eclaire, peu chaleureux pour un pays qui mise toute son industrie sur le tourisme.

Les passagers s’agglutinent sans un mot dans de longues files d’attente pour le controle des passeports. Nous pietinons et les formalites de police semblement fastidieuses. Les panneaux signaletiques bilingues rappelent l’ancienne presence francaise. Les agents de l’aeroport communiquent mi en francais, mi en arabe et cela me fait sourire car cela me rappelle certaines expressions de mes grand-meres.

Arrive mon tour. L’officier de police regarde avec insistance et interet mon passeport et intrigue par mon nom de jeune fille me dit:

"Ton pere est tunisien?"

"Oui" dis je timidement

"Et quel est son nom?"

"Richard" mais ma reponse ne semble le satisfaire.

"Il n’a pas un nom compose?" surencherit-il

"Richard David"

Ses petits yeux clignotent et il sourit.

"Ayai feumt" en faisant un clin d’oeil a son collegue.

Il a compris: je suis juive.

Un chauffeur de l’hotel nous attend a la sortie et il court dans tous les sens. J’ai peur de le perdre de vue. Il s’enfile en deux gorgees un cafe brulant, au comptoir de l’aeroport et nous voila dans son van. Direction: Sousse.

Ce nom, presque mythique, evoque toutes les senteurs de ma jeunesse. L’approche de la ville, un moment quasi irreel, me fait monter les larmes aux yeux. Sousse ou tous mes ancetres sont nes depuis des generations. Voila nous depassons le panneau de la ville et l’abordont par la zone industrielle et le port.

Deja, je remarque la place principale encombree de vehicules bruyants et la petite voie ferree qui la traverse negligemment. Papa me la decrite si souvent et il aurait meme essaye de faire derailler le petit train, enfant, avec de petits cailloux! Cette pensee me fait sourire.

L’arrivee a notre hotel est un peu tumultueuse car apparemment l’agent de voyage (Guy Azria pour ne pas le citer) n’a pas fait notre reservation comme prevu et cela me met dans une rage folle.

Une fois debarrasses de nos valises, nous voila en route a la recherche de la maison de mon pere (pres de la poste et du lycee) et puis plus tard, nous prevoyons d’aller a la medina. Ses hautes murailles de couleur ocre sont assez imposantes et tranchent avec le bleu pale du ciel.

Les noms des avenues ont change et pas de numero sur les immeubles ce qui est decourageant pour moi. Papa m’a dit que c’etait un immeuble de cinq etages mais rien ne se detache a l’horizon. Pourtant la caserne est la, toute proche, telle que decrite par papa.

Mes grands-parents Tahar habitaient Avenue du Senateur Gallieni. Cette avenue a ete rebaptisee Avenue Mohamed Maarouf. Je suis emue et repense a mon grand-pere Emile qui a du si souvent devaler cette avenue, les bras charges de courses. Instant photos.

La medina est juste derriere. Nous nous embusquons dans les rues etroites, A chaque coin de rue, nous constatons l’omnipresence du portrait du President Ben Ali ce qui surprends mon mari Justin qui, en pur americain, n’est guere habitue aux effigies de Bill Clinton dans les rues de notre bonne vieille ville de Philadelphie! Des enfants courent ca et la en poussant de petits cris.

Notre tenue de touriste attire visiblement les regards des marchands qui nous sollicitent a chaque instant pour que nous rentrions dans leur boutique admirer leur marchandise.

- "Madame, Madame, juste rigarder pas acheter" disent-ils quand ils ne s’adressent pas a moi en arabe pensant que je les comprends parfaitement.

Mon look tune sans doute! Mon arabe parle est precaire. J’anonne quelques mots que j’ai pique ca et la au detour des conversations familiales. Mais ici, ca aide enormement! Justin me regarde stupefait. Il se demande d’ou sort cet arabe que j’ai toujours pretendu ne pas savoir parler. Sans doute une langue enfouie dans mon subconscient!

L’insistance des marchands est parfois penible et ils nous faut beaucoup de force pour stoiquement resister a ces incursions envahissantes. Ils sont assis la nonchalemment sur le pas de leur magasin a siroter du the. La decontraction de leur style de vie me fait sourire car il est bien different de nos vies stressees et pressees d’outre-atlantique.

Nous nous baladons dans les ruelles et cela me rappelle l’atmosphere de la vieille ville de Jerusalem, cote est.

Ici, toutes les professions artisanales sont vaillement representees: le tailleur, le boulanger, le marchand de tapis, le marchand de poterie, le magasin de reparations en tout genre, l’etabli roulant du marchand de nougat et autres douceurs au miel....

Mon kif, c’est le marchand d’epices dont la boutique fleure bon le ras el hanout et le kamoun. Clic clac photo! Les couleurs melees sont superbes et chamarees.

Notre premier achat au souk est un fiasco. Un petit boulanger nous vends son pain tabouna dix fois le prix reel (deux dinars au lieu des deux cent millimes habituels). A posteriori, cette pensee m’agace.

Pourtant ce n’est pas faute d’avoir dit "Kadesh el kobs ?".

Nous ressortons lentement de la medina. Sur la place, un petit marchand de bomboloni et fricasses a plante son magasin ambulant ou se presse une foule de touristes allemands affames.

C’est deja l’heure de la priere et le muezzin appelle les fideles aux sons de Allah Hou Hakbar. J’ai toujours aime la priere en arabe: elle est forte et tres spirituelle. J’admire depuis toujours la foi et l’amour qu’ont les arabes pour le Createur. Et pourtant on me dit que la Tunisie, bien que pays musulman, n’est pas un pays tres religieux.

Nous nous dirigeons vers le port. Des enfants font du velo avec frenesie, au risque de nous renverser, et rient aux eclats fiers de leurs exploits. Justin est las. Pour une raison inconnue, nous sommes tous deux frustres. Un sentiment de malaise s’installe. Justin n’a l’air de guere apprecier cette ville et bizarremment je partage la meme impression. Je le remonte et l’encourage et lui propose d’aller prendre un cafe. J’associe cette mini crise au fosse culturel. La culture d’Afrique du Nord est relativement etrangere a Justin. Et puis il se rends compte finalement que je suis tres europeenne malgre mes origines d’Afrique du Nord.

Apres avoir achete au kiosque le quotidien "La Presse de Tunisie", nous nous installons a une terrasse de cafe sur la promenade de la plage. Elle est vaste et belle, cette plage de Sidi Boujaafar! Sidi Boujaafar, un nom mysterieux aux senteurs de jasmin, tant de fois evoque dans ma jeunesse et ou papa, alors adolescent, a passe tant d’apres-midi avec ses copains. Le ciel s’est obscurci et la brise marine est fraiche.

Aux terrasses des cafes, point de femme mais des hommes la en train de fumer la chicha (le narguile). Je n’ose m’y essayer par peur de choquer les passants car je n’ai vu aucune femme en fumer en public. Je les regarde aspirer la fumee blanche suave, qu’ils avalent avec delectation.

Fatigues et le regard un peu hagard, nous regardons defiler les jeunes gens. Je constate que Sousse a une forte population de jeunes. Ils semblent oisifs et sans inquietude pour leur avenir. Justin trouve bizarre que les hommes se tiennent par la main et je lui explique que c’est un signe de fraternite dans les cultures arabes.

Je suis lasse et un peu decue. Sousse ne degage pas une impression tres positive. Je trouve tout hostile et frustrant comme si une presence indefinissable et impalpable cherchait a nous masquer les choses et a nous rendre notre periple exploratif laborieux. Etrange sensation....

Nous regagnons enfin notre hotel car je dois contacter un certain Monsieur Attias dont j’ai obtenu le numero par Monsieur Zana de Paris et qui detient la precieuse clef du cimetiere juif ou sont enterres mes arriere grands-parents.

Avant de quitter Paris, j’ai promis a mon grand-pere maternel Simon Germon, qui est en convalescence a l’hopital, que je chercherais la tombe de ses parents et beaux parents Fitoussi qu’il n’avait pu retrouver a son grand regret, lors de son dernier voyage en 1976. 

(Suite au prochain numero)

Isabelle Tahar Miller

 

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