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LES NUAGES DE BEAU TEMPS


   

« Maréchal, nous voilà ! »

Quelques petits nuages blancs, vraiment blancs, dans un ciel d’un bleu. C’est ce que nous appelions «  les nuages de beaux temps ». C’était la Tunisie, c’était Sfax, c’était dans les années quarante où tout petit déjà nous avions des angoisses, des noeuds à la gorge et au ventre sans vraiment comprendre pourquoi sinon que nos parents avaient perdu leur bonne humeur et qu’ils affichaient des têtes d’une grande tristesse mêlée de beaucoup d’inquiétude.

  C’était la guerre, nous étions juifs et nous découvrions avec effroi que malgré toutes les apparences nous n’étions plus comme les autres. A peine les lois racistes de Vichy étaient-elles passées, qu’en une nuit –pour nos ennemis naturellement !- nos cheveux étaient devenus crépus, nos nez et nos doigts crochus nos yeux globuleux et fuyant, nos lèvres épaisses et arrogantes, notre démarche obséquieuse et nos ventres repus de la nourriture des autres. Ces « autres », ces étranges et dangereuses « victimes » qui trouvaient plus confortables et du meilleur goût de se retrouver dans le camp des « Aryens » s’étaient découverts bien nombreux à l’avènement du nouvel Etat français ! Nos voisins faisaient partie de ceux là !

Sans conteste, nos voisins de palier nous aimaient bien !

Pourtant, Ils auraient préféré, en ces temps difficiles, avoir des voisins plus conformes aux goûts du jour mais le sort en avait décidé autrement. Alors même s’ils nous aimaient sincèrement et qu’ils se lamentaient sur notre triste sort, leurs enfants - pour s’amuser, bien évidement ! - inscrivaient sur notre porte des « sales juifs » et dessinaient des étoiles de David.

«  Vous savez ce ne sont que des enfants, gémissait la voisine, ils ne savent pas ce qu’ils  font ! ».

« Ils ne savent pas ce qu’ils font ! » mais, tout de même, c’était de bon ton, et en plus nos bons voisins ne pouvaient être soupçonnés de complaisance envers ces « ennemis jurés de la France Eternelle ».

Ainsi allait la vie en cette fin d’hiver 1943. J’avais à peine un peu plus de six ans et mes premiers souvenirs s’inscrivaient dans ma mémoire, douloureusement.

La caractéristique de ce temps était le conciliabule. Partout et à toute heure.

A la maison, mon père et ma mère chuchotaient des heures entières avec des mines graves souvent une larme brillant au coin de leurs yeux. Mes soeurs et moi, l’oreille collée à la porte de la chambre ou parfois ils s’enfermaient, surprenions des murmures incompréhensibles mais combien inquiétants.......

  Conciliabule également à tous les étages de l’immeuble. Les voisines commentaient entre elles et bruyamment les évènements du jour avec en support les marchands ambulants qui alimentaient les conversations des rumeurs de la rue.

Nous autres, les petits, nous jouions au milieu de ces groupes, pas totalement inconscients de l’inquiétude ambiante mais sans imaginer cependant le désastre qui se préparait sous nous yeux d’enfants.

Nous étions à la fin du mois de février 1943 et comme souvent dans notre belle région de Sfax le printemps s’annonçait bien en avance sur son heure, splendide et nonchalant.

Une douce chaleur pénétrait déjà dans la maison par les interstices des persiennes que ma Mère tenait maintenant le plus souvent fermée.

Allongé sur le lit de mes parents pour la sieste de l’après-midi, j’observais la chambre dans toutes ses dimensions. Elle était grande, elle sentait bon la poudre de riz «coty » de ma Mère, l’eau de Cologne de lavande dont s’aspergeait mon Père tous les matins, elle sentait bon le linge propre gorgé du soleil qui l’avait séché et qui remplissait l’armoire en acajou, fierté de Maman. A ces odeurs domestiques venaient s’entremêler celles de l’extérieur. Nous habitions près du port et la  fraîche brise de mer pénétrait dans la maison entraînant avec elle l’odeur puissante des faux-poivriers qui bordaient notre rue.

Les yeux mi-clos j’évitais du regard les longues lames de feu que faisaient les rayons du soleil en s’immisçant entre les lamelles des persiennes et qui, conquérantes, venaient violer la pénombre de la chambre pourtant savamment organisée.

J’écoutais les bruits de la rue. Roues de bicyclettes chuintant sur l’asphalte ramolli par la chaleur du début d’après-midi, grincements des roues des wagons sur les rails de la gare voisine dont le dépôt était à  quelques centaines de mètres de la maison, sirènes  triomphantes des bateaux entrant dans le port pour une escale bien méritée.

Mais ce que j’attendais avec grande impatience c’était le mercredi après midi pour entendre chanter les enfants de l’école voisine qui partaient en promenade vers les plages de la ville. Du fond de la rue, avec une intensité croissante, montait le chant des enfants, saccadé, vigoureux, qui atteignait son paroxysme sous nos balcons pour décroître et disparaître au détour de notre rue.

Qu’il me paraissait beau ce « Maréchal nous voilà... » chanté par des voix si jeunes, si limpides, si fermes et si sincères. Aussi dès les premières notes entendues je me levais comme un ressort et l’oeil rivé à l’entrebâillement des persiennes j’attendais le spectacle de ces jeunes enfants défilant en ordre plus ou moins dispersé, la tête haute, chantant à gorge déployée l’amour qu’ils portaient à ce vieil homme au regard si doux qui embrassait les petits enfants à la sortie des églises sous les acclamations des foules subjuguées par le vainqueur de Verdun.

Je n’ai appris que bien plus tard que ce glorieux Maréchal de France, ce grand soldat, ce pieux chrétien avait signé, entre autres documents administratifs, le « statut des juifs » le 3 octobre 1940 et par « humanité » - sur proposition du Président du Conseil - autorisé en 1942 la déportation des enfants juifs «  pour ne pas les séparer de leurs parents », cette terrible décision étant allée bien au-delà des exigences de l’occupant allemand.

L’excès de zèle était de rigueur en ces temps difficiles !

 A suivre 


Claude AZRIA

"claude.rene" <claude.rene@infonie.fr>
 
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