Albert Simèoni
LâEnfant de la Goulette.
Le 13/7/2003
Le spectacle de rue.
Le joueur de flûteâ¦.
Est assis sur le sol. Les jambes écartées, la braguette ouverte, laissant apparaître un bout de caleçon qui a fini d'être blanc. Adossé contre un mur à carrelage crasseux, au détour d'un carrefour qui mène aux diverses correspondances du Métro, côté République, là où la lumière du jour ne pointe pas et ou pas une lucarne, ni un trou vers le ciel gris ne laisse filtrer un semblant de clartéâ¦â¦ Un joueur de flûteâ¦.! Mes amisâ¦!
Mon regard s'est fixé sur lui pendant quelques instants.
Chaussé d'une paire de basket, du moins je le pense, encore faut-il en deviner la forme et le fond, il souffle dans un bout de roseau troué; son instrument de fortune.
Ses doigts malingres, tremblants, pareils à des papillons fatigués, dépeints, sautillent d'un trou à l'autre, bouchant l'un, libérant l'autre pour laisser égrener des notes de musique, des sons presque indéchiffrables. Aigus et qui ne ressemblent à rien pour les musicologues distraits et surtout pressés de rentrer chez eux.
Je m'arrête un instant.' Va t'il me donner une pièce' doit- il se dire dans sa tête�'.
Il redouble d'effort, allongeant encore plus ces notes difformes, sans doute pour m'épater, moi qui l'écoute pour essayer de déchiffrer ces morceaux de partition aux sons discordants.
J'essaye de recoller ses bouts d'air et voilà que je devine l'hymne d'Israël.
Il joue-la 'Hatikva' à sa façon sans chef d'orchestre, selon son intuition, devant un parterre de fantômes apparents qui ne font que passer. Sans prêter attention à cet S.D.F, sans doute Juif. Mais qui peut donc 'flûter' cette musique, s'il n'est pas juifâ¦.?
'Quel courage..!' Me dis-je. 'Quelle témérité de jouer ces fausses notes dans un pareil climat..!'. Où tout peut lui arriver, A cet inconscient, insolent misérable qui ose braver, cette faune humaine martelant le macadam des couloirs du métro, en colportant son chant sortit de trous difformes et brûlés pour sa confection.
A moins que le juif enterré vivant, n'attire plus grand monde, ou que la politique du moment ne descend pas dans les bas fonds du métropolitain�'
Il me regarde, m'invitant sans doute à placer une obole dans une tasse qu'il n'a même pas posée à terre. Aucune pièce jetée, pas même un regard lancé. Rien. L'indifférence se comprend. Qui va donc se soucier sur le sort d' un joueur de Hatikva..? .
Je m'avance de quelques pas, presque honteux et confus, je lui pose quelques pièces par terre, sur le sol noir, en lui faisant signe de continuer.
On n'interrompt pas un joueur de flûte, un artiste en guenille qui joue un hymne national même faux dans un trou à rats, à dix mètres sous le sol, tant il est vrai, qu'il existe vraiment ailleurs. Cet hymne. En plein ciel.
Et c'est ça qui compte.
Je me suis retourné après mon offrande et je ne n'ai plus vu le joueur de flûte. Evaporé. Dissousâ¦!
Sans doute, s'est-il levé juste après pour rentrer chez luiâ¦.Chez luiâ¦?
Ou ça chez luiâ¦? Dans son logis de hasard, de nul part et de partoutâ¦? Pour compter son dûâ¦? Un dû qui le fera tenir un jour puis revenir rejouer le lendemain son hymne de l'espoirâ¦.?
C'est pas du pipo ce que je vous raconte là , il existe bel et bien là bas, à la croisée des chemins entre Mairie des Lilas et Porte de Montreuilâ¦.
ALBERT