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J avais une terre

Auteur hajkloufette 
J avais une terre
Les larmes de ma grand-mère serrant à lâétouffer son fils unique contre elle ; sur la piste, un peu plus loin, un avion impatient de rejoindre Marseille ; ma mère, tant aimée, figée dans lâincompréhension dâune situation qui la dépasse : voilà sur quelles images jâai quitté la terre de mes ancêtres, puisquâà ce quâil paraît, mes yeux clairs et mes cheveux blonds prouveraient une très ancienne filiation avec les tribus berbères judaïsées menées par la mythique Kahéna.

Je partais donc, justement pour ne pas subir le sort de cette valeureuse, mais à combien malchanceuse, souveraine!

Jâétais enfant, mais mon pays, la Tunisie, avait déjà imprimé en moi sa beauté, son intimité, son influence.

Magnifique Tunisie ! « Ils » mâen ont chassée.

Qui étaient ces « ils », responsables dâune fracture dont nul ne pouvait alors deviner lâimportance chez une fillette de huit ans ?

Qui étaient ces « ils » dont lâévocation provoquait en moi des frissons dâhorreur, la peur dâinconnus redoutables, ces « ils » qui avaient le pouvoir de faire trembler nos terres personnelles, de déstabiliser mes parents, ces piliers de ma force dâenfant ?

Je me souviens de défilés vociférateurs dans les rues de ma ville natale, Béja, en Tunisie, de bras levés dans une menace indéfinie, mais prégnanteâ¦

Je me souviens de conversations chuchotées dont certains mots mâimpressionnaient ; poignards, cachettes, pistolets, prudence, trahisonâ¦

Je me souviens de ma famille autour de moi, comme un rempart inattaquable, une protection bienfaisanteâ¦

Je me souviens de la Fête des Pigeons, que je trouvais injuste puisque câétait la fête des garçons, cette curieuse partie de lâhumanitéâ¦

Je me souviens des broderies, des derboukas enchantées, des pleureuses appointées dans le cimetière arabeâ¦

Je me souviens des couffins pleins de tout ce que jâaimais, des senteurs orientales dans la cuisine de ma grand-mèreâ¦

Je me souviens du bol de sorgho que mes tantes me préparaient avec tendresse, et du pain italien trempé dans lâhuile dâolive et lâharissa parfumée que me tendait mon grand-pèreâ¦

Je me souviens des bijoux ciselés par mon oncle maternel, dont le tendre regard promettait une vie de douceur tranquilleâ¦

« Ils » ont fait pleurer ma mère

« ils » ont cassé sa vie, lui ont volé ses repères, lâont spoliée de toutes ses évidences.

« Ils » ont privé mon père dâune vie au milieu des siens, ont saccagé sa sérénité, ont effacé son sourire tranquille, ont éteint son regard.

« Ils » passent leur temps, dans le meilleur des cas, à nous chasser, de millénaire en millénaire, de siècle en siècle.

A nous chasser, ou à tenter de nous exterminer.

Pourquoi ? Parce que nous avons eu le malencontreux privilège dâimporter le monothéisme sur cette planète ? Parce que nous fûmes le seul peuple à accepter de le faire, quand les autres se défilaient devant la difficulté ?

« Ils » veulent nous voler lâespace de vie auquel nous avons droit, nous confisquer lâair de nos poumons, nous dénier le droit dâexistence.

Vous trouvez que jây vais un peu fort ? Faudra-t-il que je parle des sanglots de ma mère lorsquâelle se croyait seule ? Des efforts de mon père pour soulever des sacs de charbon afin de les livrer à des gens qui ne lui accordaient pas la moindre attention, lui qui porte la sagesse de notre Tradition à fleur de regard ?

Faudra-t-il que je revienne sur les questions stupides quâon me posait au lycée, où lâon nâavait jamais vu de « Juive dâAfrique du Nord » avant moi, sur le sentiment tenace et douloureux dâêtre étrangère à tous les milieux, à tous les lieux, sur la seule échappatoire qui me restât, lâécriture ?

Les années-choc imprimèrent leurs fêlures.

Puis vint le temps de réagir.

Un jour où jâenviais une de mes camarades qui, refusant les études, avait décidé de choisir une voie différente, ma mère nous réunit, mon jeune frère et moi, et expliqua : « Mes enfants, nous avons dû partir en abandonnant nos morts, nos biens, et, provisoirement jâespère, notre famille. Votre père et moi trimons comme des bêtes de somme, nous avons été coupés de tous ceux que nous aimons, alors que nous étions persuadés de ne jamais avoir à vivre ce destin de déplacés. Nous sommes en France, câest un pays magnifique, le pays de lâégalité, des droits imprescriptibles, câest notre pays à présent. Mais, sait-on jamais⦠Lâhorreur a le cuir épaisâ¦

Nous nâavons pas dâargent à vous laisser, de biens à vous distribuer. Aussi, votre dot, ce seront vos études. Choisissez votre voie, mais quelle quâelle soit, je veux que vous alliez le plus loin, le plus haut, que vous soyez les meilleurs ! Je veux que face aux épreuves, vous ayez la solution, vous sachiez vous en sortir, et surtout je veux que vous vous prépariez un avenir heureux et équilibré, dans ce pays superbe dont vous devrez toujours respecter les lois, et que vous devrez contribuer à enrichir, dans tous les sens du terme. Donc en ce qui te concerne, Yaël, pas question dâinterrompre tes études ! Tu travailles, tu travailles encore, et tu réussis ! Et toi Patrick, même topo ! Compris ? Jamais nous nâaccepterons quâil en soit autrement ! »

Adieu donc les rêves de fainéantise. Mais ils nâavaient été quâun battement dâaile de papillon un jour de fatigueâ¦

Mon frère est devenu un homme admirable, toujours au service des autres, discret, sensible, excellent dans sa vie professionnelleâ¦

Quant à moi, jâai abordé les études comme on entre en religion ; fervente, inquiète, séduite, attiréeâ¦

En même temps je mâadonnais à mon inaltérable et double passion ; lâécriture, la lecture.
Je ne souffrais plus dâêtre différente. Les odeurs, les couleurs, les légendes de mon pays devenaient une richesse prometteuse, un terreau sain et fertile sur lequel construire une vie enthousiaste.

Mes manques, mes cafards, mes solitudes devenaient des tremplins de vie.

Au nom de tous les miens je devais être heureuse, moi qui grandissais dans un pays sans dhimmitude.

Je mây employais activement. Pourtant ce ne fut pas toujours facile ; mes parents avaient beaucoup à faire pour reconstruire notre vie ; mes amies possédaient des points de repère qui ne seraient jamais les miens.

Je nâai pas eu la chance dâavoir un grenier familial ; les malles de vieux costumes, les livres dâenfance, les photos couleur sanguine, je nâai jamais connu.

Je nâavais pas dâamie dâenfance, puisque mon enfance sâétait effilochée sous dâautres cieux.

Je nâavais plus de famille, puisquâelle sâétait par obligation éparpillée sur la planète.

Le soir, dans mon lit, je pleurais en me souvenant de la douceur de mes tantes, tellement languies.

Je pleurais de la tristesse de mes parents ; jâaurais voulu les soulager du poids écrasant de la solitude subie, de lâincertitude douloureuseâ¦

Mes fêtes religieuses nâétaient célébrées quâautour de la table familiale singulièrement étroite, alors que les cloches du village sâen donnaient à cÅur joie pour des cérémonies dont jâignorais tout, ou presque.

Je nâavais pas de cousins à visiter le dimanche, et jâétais la seule au lycée à aller en étude lorsque toutes mes camarades de classe assistaient au cours de catéchisme : ça nâa pas été faute dâavoir reçu mille et une sollicitations de lâaumônier, particulièrement prosélyte...

Quâimporte ! La joie sâinstallait ; joie dâexister, promesses dâavenir, enthousiasmes dâadolescenteâ¦

Jâai voulu rendre à la France ce quâelle mâavait donné en protection et en richesse ; je suis devenue enseignante de Littérature. Jâai jubilé à exercer ce sacerdoce.

Moi, la petite Juive de Tunisie, jâai enseigné à des générations les beautés subtiles de la langue française, les finesses poétiques dâécrivains bouleversants. Et lorsque je nâenseignais pas je lisais, jâécrivais, ou bien encore je passais des concours ou des examens.

Jâai conscience de lâapport que nous avons constitué pour ce beau pays de France, et je me suis souvent étonnée de ce quâaucun président de la République nâait encore remercié les Juifs des pays arabes pour leurs contributions multiples, variées et constructives au développement de notre pays. Ce ne serait que justice.

Ca nâallait pas de soi ; cependant ce fut en général une réussite dâintégration. Intégration, mais pas assimilation, ce qui aurait été une catastrophe.

Jâai vécu la vie de tous les adolescents français, à quelques petits détails près, du genre ; « Non, tu nâiras pas à cette surprise-partie ; chez nous, une fille ne sort de la maison de son père quâau bras de son mari ; ne lâoublie pas ! »
Bon⦠Je faisais avec, ou plutôt sans !

Je me suis mariée avec⦠un rabbin hollandais, qui passait « par chez moi » pour une après-midi, une belle après-midi ensoleillée qui vit éclore un des plus immenses coups de foudre de ces dernières décennies !

Nos enfants ont grandi entre la Hollande, lâAngleterre et la France, ce qui a contribué à leur donner une tournure dâesprit libre et sans a priori.

Mais toujours je revenais vers la France, mon pays adopté, aimé, respecté.

Câest encore la France qui me reçut et me consola dâune douloureuse séparation ; mes promenades le long des rivages méditerranéens, mes pérégrinations parisiennes, mes errances angevines mâaidèrent à me reconstruire, à me tourner à nouveau vers lâavenir, à retrouver le sourire et la joie de vivre.

Et aujourdâhui, câest à la France que je dois, depuis plusieurs années dâIntifada, mes plus fortes blessures, avec son nouveau laxisme antisémite.

La France qui ne sait plus parler le langage de la justice et de la connaissance, la France qui se ferait veule, amnésique, voire négationniste.

Cette France-là me fait mal à lââme.

Aujourdâhui, en France, on prend prétexte dâune manifestation pour la paix, à laquelle on se rend armé de gourdins, pour poursuivre et tabasser des adolescents juifs ou des sympathisants, car il y en a ; je veux croire quâil y en a encore !

Aujourdâhui, en France, on confond pernicieusement sionisme et nazisme, on se trompe dâennemi, on ne reconnaît plus les monstres.

Devrons-nous à nouveau partir pour éviter le pire ?

Certains sâindignent lorsque je pose cette question. Pourtant, câest pour avoir répondu non que, dans dâautres temps, des foules ont été tuées. Des foules juives, auxquelles on refusait le droit dâêtre.

Pour ma part, je resterai.

Je veux être de nouveau fière de la France, je veux contribuer à effacer lâaveuglement des médias, à rétablir la justice, à rappeler inlassablement lâhistoire de lâhumanité, et en particulier celle du Proche Orient, que soudain tout le monde interprète de travers.

Je veux que mes enfants puissent aller de Lille à Bastia sans quâon tamponne leurs papiers dâun J rouge et infamant.

Jâexagère ? Peut-être ; en tout cas je lâespère. Mais on a dit cela aussi, dans dâautres temps immondes.

Je veux vivre comme je le ressens ; citoyenne du monde, domiciliée en France, terre de justice et de compréhension.

Je veux quâon cesse de dénier à Israël son droit absolu et imprescriptible à lâexistence. Câest en effet le seul pays sur cette planète que lâon souhaite tranquillement rayer de la carte !

Je me battrai pour cela, ici, maintenant et toujours, avec les armes qui sont les miennes, qui ont la couleur de la vérité, non celle de la mort.

Je veux être heureuse en France. Vaste programme ? Nous avons lâhabitude des défis.
Lâimpossible, nous lâavons déjà fait, avec ce départ de Tunisie qui nous a déchirés, laminés, épuisés.

Il nous reste à accomplir le miracle ; détruire les préjugés à notre encontre.

Nous le ferons ; laissez-nous juste un peu de temps, sâil vous plaît !

Yaël König © Primo Europe

Texte tres emouvant
Re: J avais une terre
Il existe des gens qui ont compris le mystère et par conséquent, sont devenu solidaire à votre cause, car votre cause et la Cause qui explique l'existence.
On vous en veut d'avoir importé Dieu sur Terre, "ils" ont commencé par reprendre ce Dieu en lui donnant un autre Nom, puis "ils" vous ont traitté de déicides. Plus tard d'autre se sont emparés du Texte, l'ont traduit avec l'intention de vous exclure de l'histoire.
D'autre "ils ont voulu vous faire disparaître mais vous avez survécu et êtent devenu plus fort.
On vous a exproprié, déporté, mais vous avez su recommencer de rien et faire mieux.
Décidemment, "ils" se disent, qu'est-ce-qui fait que vous êtes toujours là, à renaître toujour de vos cendres et en sortir encore toujours plus fort.
Serait-ce vraiment une "élection".
Israël, fils d'isaac, veut dire "celui qui a vu Dieu". Israël en tant qu'état ne peut donc dire que "vision de Dieu", et ce pour le bien de toute l'humanité.

Vous avez des amis et même des "frères".

Quant à détruire les préjugés à votre encontre, j'y travaille de mon côté et à ma manière, petit à petit car vous comprendrez que le travail est dur tellement les gens refusent de voir!

Jôël

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