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Le Shofar : un secret bien gardé

Envoyé par MeYeR 
Le Shofar : un secret bien gardé
19 septembre 2010, 07:37
Le Shofar : un secret bien gardé
19/09/2010
Joanna Paraszczuk

Par un chaud et humide après-midi d'août, un cri d'outre-tombe retentit soudain d'un immeuble de la rue Nahalat Binyamin, à Tel-Aviv. Sur le trottoir, les passants lèvent la tête.
Le son résonne à nouveau, long et mélancolique, tantôt soupirant, tantôt criant, comme un avertissement sonore.

Nous sommes devant le premier et plus ancien atelier de fabrication de Shofar du pays. Seul indice visuel de son identité : une grossière corne de bélier en fer, attachée à la grille du bâtiment. Depuis plus de 80 ans, c'est là que sont fabriqués et expédiés dans le monde entier des Shofarot de tous les styles et de toutes les tailles. La plupart des usines de Shofar sont des entreprises familiales. Motif : le mystère et la légende qui entourent la fabrication de l'objet si symbolique se transmettent uniquement de père en fils. L'usine de Nahalat Binyamin ne fait pas exception. Elle est possédée et dirigée par Avraham Ribak, une figure locale bien connue et respectée.

C'est de son cousin, le rabbin Yaacov Rossman, que Ribak a appris le savoir-faire du métier : ses cornes de bélier polies étaient célèbres au sein des shtetls de sa Pologne natale. Lorsque Rossman quitte la Pologne pour Eretz Yisraël en 1927, il rouvre un atelier de Shofar à Nahalat Binyamin à Tel Aviv, à proximité du nouveau quartier alors à la mode, Florentine. Il y vit depuis. Rossman est ainsi devenu le premier fabricant de cornes de bélier de la ville hébraïque. Sans enfant, il a décidé de transmettre son art et son usine à son jeune cousin de 21 ans, Avraham Ribak. "Et depuis, je fabrique des Shofarot", ponctue celui-ci.
Aujourd'hui, à 70 ans, Ribak est toujours en charge de l'entreprise dans laquelle il a commencé à travailler il y a un demi-siècle. Il est aussi un homme d'affaires avisé, dont l'artisanat hors du commun se vend partout dans le monde.

Lorsque je le rencontre, cet homme grand et sérieux, une kippa bleue perchée sur ses cheveux gris, est assis à un minuscule bureau. Il est en train de trier frénétiquement une pile de bons de commandes de dernière minute pour des Shofarot à l'occasion des fêtes de Tishri. Sa table de travail, et à peu près toutes les surfaces disponibles de son bureau, sont jonchées de ces cornes de bélier magnifiquement polies, de toutes les formes et de toutes les tailles. Au mur, une affiche colorée qui vante les mérites de sa dernière invention : un spray qui promet un Shofar "sans odeur". "C'est la période la plus bousculée de l'année", note Ribak. "Les clients arrivent toutes les cinq minutes, je n'arrête pas."

Un Shofar chargé d'histoire

Aujourd'hui, l'usine Ribak fait partie des deux ateliers qui appartiennent à la société Barsheshet-Ribak où se sont succédé 15 générations de fabricants de Shofar. L'associé de Ribak, Zvika Barsheshet, exploite, lui, l'usine de Haïfa. Au fil des ans, certains des Shofarot Ribak sont devenus célèbres. Un, en particulier, est détenteur d'une histoire fascinante.

"En 1963, je suis allé rendre visite au rabbin Shlomo Goren" [Grand rabbin de l'armée], raconte Ribak. "Je lui avais apporté deux Shofarot en cadeau. Et lui ai dit: "Rav, je vous souhaite un jour de souffler dans l'un de ces Shofar devant le Kotel." Le souhait de Ribak n'était pas anodin : pendant les longues années de règnes ottoman et britannique, sonner du Shofar au mur Occidental était interdit par la loi. Le symbole de la corne de bélier était si fort et si puissant que les autorités redoutaient qu'un simple son puisse déclencher une révolte juive.

La police patrouillait dans la région, et tout individu arrêté en possession d'un Shofar était sévèrement puni. En 1934, l'ancêtre du Jerusalem Post, le Palestine Post, avait rapporté qu'un jeune homme de 24 ans, Hayim Reuben Horowitz, avait été interpellé et inculpé pour avoir "soufflé dans une corne de bélier le jour du Grand Pardon". "En 1967, quelques années après que j'ai donné le Shofar au rabbin Goren, la guerre des Six-Jours a éclaté. Et vous savez quoi ?", poursuit Ribak, "mon souhait s'est exaucé. Le Rav a pu faire résonner le son d'un de ces Shofarot devant le Kotel."

Cette histoire anecdotique s'inscrit dans un épisode particulièrement émouvant de l'histoire d'Israël. Le 7 juin 1967, quand la brigade des parachutistes reprend le contrôle de Jérusalem-Est et que Goren court vers le Kotel pour faire résonner son Shofar, l'explosion sonore produite par la corne de bélier adresse un puissant symbole à tous ceux qui pouvaient l'entendre : la Ville sainte était désormais sous domination juive. Hayim Reuben Horowitz, arrêté des années plus tôt pour ce même motif, était là, lui aussi, pour en témoigner.

A chacun sa corne de bélier

Aujourd'hui, l'usine Ribak produit une énorme variété de Shofarot pour répondre au goût et aux traditions de ses clients juifs du monde entier. La forme, la taille ou la subtile nature du son sont autant de précieuses indications pour comprendre l'histoire des communautés. Chacune commande son propre Shofar avec ses caractéristiques et ses particularités.

Les Juifs espagnols, par exemple, privilégiaient traditionnellement les cornes de bélier droites, non recourbées. Une donnée qui trouve son explication dans l'Histoire. Puisqu'il était interdit à l'époque des persécutions de porter un Shofar, et plus encore d'en émettre un son, les hommes cachaient l'instrument sous leurs manteaux, coincé dans la ceinture de leur pantalon. Les Shofar droits étaient ainsi plus faciles à dissimuler que les cornes inclinées.

En Pologne, les locaux tenaient à ce que le Shofar exprime un son particulièrement éploré, pénétrant, presque comme étouffé - peut-être pour refléter la souffrance des Juifs polonais.

Quant aux Juifs du Yémen, ils étaient adeptes des grands et impressionnant Shofarot, fabriqués à partir des longues cornes torsadées des koudous, une antilope des forêts de l'Afrique orientale et australe. La profondeur du son et son écho avaient pour objectif de rappeler au peuple le sacrifice d'Abraham, qui avait offert à Dieu un bélier dans les montagnes, en lieu et place de son fils Itshak. Les cornes de koudou sont toujours utilisées pour la fabrication des Shofarot de style yéménite, précise Ribak, mais la plupart des Shofarot israéliens sont conçus à partir de cornes de bélier. "Nous les importons en vrac d'Afrique du Nord", explique-t-il.

Façons et contrefaçons

Le processus de fabrication du Shofar fait bien sûr l'objet d'un strict contrôle des autorités rabbiniques qui vérifient que le produit fini est vraiment casher. Car l'instrument a déjà fait l'objet de contrefaçons illégales et frauduleuses.
En 2008, un scandale avait défrayé la chronique. Des fonctionnaires du département des objets rituels du conseil religieux de Tel-Aviv avaient mis au jour une escroquerie : des cornes en provenance du Maroc avaient été collées avec du polyester, ce qui les rendait impropres. Elles avaient été importées par centaines en Israël par un homme d'affaires israélien et écoulées à un prix bien inférieur au marché. De quoi choquer l'industrie, et Ribak en particulier.

"Bon nombre de clients ont acheté ces soi-disant Shofarot du Maroc", s'emporte-t-il. "Nous avons demandé au rabbinat de les inspecter, et il s'est avéré que près de 60 % d'entre eux n'étaient pas casher." L'incident a provoqué l'émoi des autorités et l'incrédulité du public israélien. "Imaginez que quelqu'un commence à vendre de la viande non casher en affirmant qu'elle l'est", explique-t-il, "comment peut-on ensuite faire la différence entre ce qui est conforme à la loi juive et ce qui ne l'est pas? "
Mais si le scandale autour des cornes de bélier du Maroc a suscité l'indignation des consommateurs, il a surtout donné lieu à des retombées positives pour le commerce de qualité.

Les clients sont désormais plus vigilants sur l'origine des produits achetés et les acheteurs du monde entier se tournent vers les fabricants israéliens dont la renommée est gravée dans le marbre. Résultat : une hausse non négligeable de la demande, à tel point que Ribak a dû embaucher un ouvrier supplémentaire.

Un long processus de fabrication

Comment Ribak arrive-t-il à transformer ces cornes de bélier entortillées et noueuses en Shofarot magnifiquement polis, prêts à résonner dans les synagogues pour Rosh Hashana et Kippour ? Une grande partie du processus est un secret commercial jalousement gardé, mais Ribak a accepté d'ouvrir au Jerusalem Post la partie de son usine où les cornes sont triées et polies. Un spectacle impressionnant : une immense salle emplie du sol au plafond d'une montagne de cornes. Il y en a de toutes les formes et de toutes les tailles, entassées, empilées sur la moindre parcelle de surface disponible.

Certaines sont encore fermement attachées au crâne de leur ancien propriétaire. Une poussière piquante et poudreuse envahit l'air de la pièce. On ne peut alors que se demander si ces milliers de cornes ont toutes vocation à devenir des Shofarot ? Pas question, rétorque Ribak. Chaque corne doit être individuellement triée et scrupuleusement inspectée. Environ 70 % ne passeront pas le test : la moindre fissure, même la plus infime, le moindre accroc rendra automatiquement la pièce inutilisable.

Ensuite, les ouvriers qualifiés de Ribak vont retirer l'os situé à l'intérieur de la corne. Un processus extrêmement délicat qui exige aptitudes et connaissances particulières. Un secret bien gardé. Pour nous, les portes de l'usine vont se refermer. Une fois désossée, la partie externe de la corne - qui est en kératine, la même substance que les ongles humains - est à nouveau vérifiée pour traquer la moindre imperfection. L'extraction de l'os peut parfois faire craquer la corne ou provoquer des dommages. Toutes celles fissurées seront alors jetées. Quant à celles jugées aptes, elles sont stérilisées dans un four pour tuer toutes les bactéries ou organismes vivants qui pourraient être accolés aux parois. Il faut maintenant redresser la corne, une autre tâche sensible qui nécessite des compétences considérables (et, oui, un autre secret commercial).

Quand tout ce processus est terminé, le Shofar entre alors en phase de polissage, ce qui va lui conférer sa surface brillante. Une tâche que nous sommes autorisés à suivre. "Dans le temps, nous polissions les Shofarot à la main", pointe Ribak, "mais aujourd'hui nous bénéficions de moyens modernes pour faire le travail." A savoir : de deux énormes machines à polir qui vont donner à la corne son aspect doux et brillant. Le travail est éreintant. Pendant des heures, les ouvriers se tiennent debout pour polir amoureusement chaque Shofar.

Asim nous montre comment cela fonctionne. Il tient chaque section de la corne contre un tampon en rotation. "C'est facile une fois que vous savez vous y prendre, mais il faut un certain temps avant d'avoir le coup de main", explique-t-il. Asim, le visage sérieux, vient de Jérusalem. Il est dévoué à son travail : depuis 21 ans il travaille dans l'usine Ribak. Son collègue, Yuni, est originaire de Ramleh et exerce dans l'usine depuis sept ans. Il me montre une pile de longs Shofaroth yéménites incurvés qu'il a polis ce jour-là. "Ils doivent être parfaits", sourit-il.

Au terme de tout ce processus, le Shofar n'est toujours pas prêt à la vente. Il doit subir une ultime étape : l'ajustement du son. Comme chaque client et communauté a sa préférence, l'enjeu n'est pas facile. Mais là encore, sans surprise, il s'agit d'une technique maison qui ne nous sera pas communiquée. Enfin, le Shofar est prêt à résonner sur les Jours Redoutables, pour appeler à l'éveil spirituel du peuple juif.

Regarder la fabrication du Shofar, voir la corne prendre forme au fil des transformations successives est une expérience magique. Depuis des temps immémoriaux, les Juifs travaillent à l'élaboration de cet instrument rituel, mentionné 72 fois dans la Torah. Les Hébreux anciens sonnaient le Shofar pour faire tomber la pluie, annoncer des guerres, déclarer des victoires, prévenir contre des catastrophes et annoncer le couronnement des rois. Dans ce monde trépidant d'aujourd'hui, baigné par les technologies, il est étrangement réconfortant de savoir que dans le cœur de la jungle urbaine de Tel-Aviv, ces instruments anciens sont encore fabriqués individuellement avec amour, soin et dévotion.

[fr.jpost.com]

© 2008 Le Jerusalem Post édition Francaise
“Dans le temps, nous polissions les Shofarot à la main, mais aujourd’hui nous bénéficions de moyens modernes pour faire le travail.” - Abraham Ribak
PHOTO: MARC ISRAËL SELLEM , JPOST

Pièces jointes:
shofar-fabrication-JP-F-190910.gif
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