Le mime Marceau s'en est allé sur la pointe des pieds
Le «Charlie Chaplin» de la scènedu mime français est décédé samedi soir à l'âge de 84 ans. Avec lui disparaît Bip, le magicien du silence, créé il y a 60 ans.
La disparition de Marcel Marceau ne manquera pas, comme le préfigurait hier le déferlement d'hommages officiels, amicaux ou pseudo-amicaux, de susciter un feu d'artifice d'images plus «poétiques» les unes que les autres, le qualifiant tantôt de «magicien du silence», de «funambule des étoiles» faisant clignoter son bip-bip ou d'ambassadeur silencieux de l'humanité bavarde.
Le personnage de Bip, que le juif alsacien né Marcel Manguel inventa au lendemain d'une affreuse guerre où il fit lui-même acte de résistance au côté de son frère, alors que leur père pris en otage mourrait à Auschwitz, est devenu une sorte de cliché, comme le Petit Prince de Saint-Exupéry ou, avant eux, le Pierrot lunaire de la tradition théâtrale populaire, auquel Jean-Louis Barrault prête sa mine fardée dans Les enfants du paradis de Marcel Carné. Pourtant, dès que Marceau réapparaissait sur scène, ledit cliché redevenait image vivante et signifiante.
Simplicité enfantine, épure de l'expression et du geste, langage immémorial et universel chorégraphiant l'homme de toujours et de partout: tels étaient les composants de l'art de Marcel Marceau, qui eut le premier mérite de rafraîchir et de populariser la pantomime, remontant à l'Antiquité occidentale, tout en essaimant dans toutes les cultures.
Parmi ses sources personnelles, les comiques du cinéma américain (à commencer par Charlot, mais également Buster Keaton dans ses vacillements et ses grimaces) ont compté, autant que l'observation directe de la comédie humaine. Plus profondément, sa parole silencieuse il l'a expliqué relaya le mutisme sidéré des revenants des camps de la mort, sans que cela se perçoive pour autant dans ses «récits».
«L'homme du mystère»
Ceux-ci avaient atteint une perfection classique qui ne se renouvelait guère que par le frémissement d'une présence. La magie de la représentation et l'émotion incarnée, bien moins perceptible à la télévision, passaient alors jusque dans la énième répétition de ses séquences les plus célèbres, de l'homme marchant contre le vent (repris par Michael Jackson) à la plus symbolique et «incontournable» cage de verre.
«Marcel, c'est l'homme du mystère», disait Raymond Devos de Marceau, dont il hérita, malgré sa bedaine et sa faconde, une part de la grâce dansante. Plus épuré, comme les personnages d'un Beckett ou d'un Giacometti, l'homme de Marceau pratiquait la pantomime comme «un art qui hypnotise», selon la propre expression de l'artiste.
Celui-ci avait hésité entre diverses formes d'expression avant de suivre les cours de théâtre du mythique Charles Dullin et de trouver, à cette enseigne, sa voie chez le mime Etienne Decroux. En fondant sa propre compagnie, il avait inscrit au répertoire des mimodrames et des pantomimes tels que Le manteau d'après Gogol, Le joueur de flûte, Paris qui rit, Paris qui pleure. C'est cependant avec Bip qu'il aura fait le tour du monde et qu'il restera dans toutes les mémoires.
De Zouc à Pic
Son héritage se perpétue en outre doublement, à la fois par l'enseignement qu'il dispensa en fondant, en 1978, son Ecole internationale de mimodrame, fort de la conviction qu'un art qui ne se transmet pas est amené à mourir, et par les multiples hommages que constituent d'innombrables citations, bien au-delà de la seule pantomime muette, dans les cirques et les théâtres, de Zouc au clown Pic, entre tant d'autres, partout où le rire et l'émotion continuent de nous parler tandis que Marcel Marceau lui-même a cessé de se taire...
L’hommage le plus touchant à Marcel Marceau est peut-être celui que lui rend le mime tchèque Boris Hybner , qui occupe la chaire de théâtre non verbal à Prague: «Un maître nous a quittés. Le monde a perdu le plus grand des Pierrots du vingtième siècle.»
Emmanuel Vacca , qui fut l’assistant du Charlie Chaplin du mime, s’incline lui aussi devant cet «immense artiste» au rayonnement international, qui se caractérisait par son «amour total» de ce qu’il faisait. Même tristesse chez Jacques Chancel , qui avait accueilli à plusieurs reprises le génial mime dans son émission de télévision Le grand échiquier : «Son départ est pour moi une sorte de blessure.»
Le président Nicolas Sarkozy estime que «la France perd un de ses ambassadeurs les plus éminents», alors que le premier ministre François Fillon salue «l’artiste, le maître, le résistant».P.Z.
Bip est né à Paris
Marceau avait un fétiche, Bip.
- Marcel Mangel, alias Marceau, naît à Strasbourg en 1923.
- Il entre dans la Résistance en 1939.
- Il joue Arlequin dans «Baptiste», pantomime tirée du film «Les enfants du paradis», en 1946 avec la compagnie Renaud-Barrault. Puis vingt-cinq mimodrames sur les scènes parisiennes, entre 1947 et 1955.
- Il crée le personnage de Bip en 1947 au Théâtre de Poche, à Paris.
- Il fonde la Compagnie des mimes Marcel Marceau en 1947. En 1978, l’Ecole internationale de mimodrame à Paris. Et la nouvelle Compagnie de mimodrame Marcel Marceau en 1993.
- Il voyage. Première tournée aux Etats-Unis en 1955, en URSS dix ans plus tard, en Chine en 1982, à Cuba en 2005.
- Il est honoré par un Molière en 1990; par son élection à l’Académie des beaux-arts un an plus tard.
- Il fait ses adieux à Paris en 2000 puis en 2002.
PZ
Pièces jointes: