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La mémoire qui flanche, par Jean-Pierre Chemla

Envoyé par jero 
La mémoire qui flanche, par Jean-Pierre Chemla
18 février 2008, 22:43
La mémoire qui flanche

Faire porter à chaque enfant de 10 ans le souvenir d’une petite victime juive de la Shoah.

On peut être pour ou contre cette proposition. On peut tout aussi bien être partagé tant les arguments des uns et des autres peuvent être pertinents et respectables.

On ne peut cependant qu’être effaré par la violence de la plupart des réactions entendues sur les ondes après la suggestion de Nicolas Sarkozy au dîner du CRIF.

«Vous avez la parole» est devenue l’expression-phare de la vie participative chère à l’ancienne prétendante à la magistrature suprême.

Parlons-en de cette liberté. Elle est parfois l’occasion de libérer les chevaux sauvages qui sommeillent en chacun de nous. Entre les «Ça commence à bien faire !», les «Y’en a marre de la Shoah !» et autres «Les Juifs ! Toujours les Juifs !», les réactions des auditeurs, voire de certains commentateurs, le vendredi 15 février 2008, ont été révélatrices d’une tragique réalité : la France de Vichy n’est pas encore enterrée.

À n’en pas douter, elle ressurgira sous une autre forme si une force suffisamment influente et coercitive impose un jour de nouveau à la France de se débarrasser de ses Juifs.

La seconde Intifada a représenté une aubaine pour bien des antisémites. Elle a été l’occasion pour eux de vociférer leur haine des Juifs sous couvert d’antisionisme, venant au secours d’un «peuple palestinien opprimé» dont ils se seraient soucié comme d’une guigne s’il avait été confronté à un peuple non-juif. Jean-Marie Le Pen avait déclaré qu’il avait été l’un des seuls hommes politiques français à dénoncer «l’extermination» des Palestiniens. C’était quelques jours avant sa propre «extermination» lors du scrutin présidentiel.

Ce débat sur la Shoah est une nouvelle opportunité pour le déversement de bile antijuive. Il ne s’agit plus de protéger le peuple palestinien mais de soustraire nos chères têtes blondes au traumatisme psychologique que représenterait cette nouvelle charge, qualifiée de mortifère par certains, de pédagogique par d’autres.

Nos enfants, c’est bien connu, ne peuvent être élevés que dans un univers Bisounours. L’Histoire enseignée ne doit se résumer qu’à ces frises de bas de page, illustrées par quelques anecdotes au-dessus où l’on raconte le processus allant de la récolte du blé à la confection du pain dans la France prérévolutionnaire.

En aucun cas cet enfant ne doit se sentir impliqué, ne doit comprendre à quel point il est lui-même inscrit dans cette chaîne historique, combien il est investi d’une responsabilité collective à défaut d’être individuelle.

Ce qui est vrai pour la Révolution, pour les heures glorieuses de la France, pour la conquête de la citoyenneté de chacun, ne saurait s’appliquer pour les pages sombres et honteuses de notre pays. Non, celles-ci doivent être sciemment occultées, balayées sous le lit avec la poussière de la défaite de 1940 et de la collaboration.

Il s’agit aussi et surtout d’en finir avec cette «prétendue» responsabilité collective européenne dans la Shoah, cette culpabilité non assumée. Quand on visite Auschwitz, on ne peut pourtant qu’être frappé par un tableau occupant un mur entier, ressemblant à une araignée avec sa toile. Il montre l’implication des réseaux de chemin de fer de toute l’Europe pour l’acheminement des victimes juives dans les camps. Sans la complicité de l’Europe entière, jamais l’Allemagne nazie ne serait parvenue à ses fins, du moins à cette échelle.

Pour parvenir plus aisément à évacuer cette fichue Shoah de notre mémoire collective, on sortira les arguments fallacieux les plus éhontés : «Et pourquoi pas l’esclavage ? Et la colonisation ? Et les Algériens noyés dans la Seine de Maurice Papon ?».

Qu’importe la spécificité tragique de la Shoah. Qu’importe qu’elle fût la première, et unique jusqu’à ce jour, entreprise d’extermination d’un peuple sur un mode industriel. Tout mort est un mort, victime ou bourreau, petite fille israélienne mitraillée alors qu'elle se cache sous son lit pour échapper à ses agresseurs ou djihadiste se faisant exploser au milieu de civils dans un rêve érotique où il est question de 72 vierges.

Tout se vaut. Tout est pareil.

Et puis, foutez-nous la paix : «Tiens, v’là la Star Ac’ qui commence…».

Jean-Pierre Chemla
Re: La mémoire qui flanche, par Jean-Pierre Chemla
18 février 2008, 23:08
Re: Mémoire
Auteur: Mamili (IP enregistrée)
Date: 16 February 2008, 19:16
La mémoire qui flanche - déjà citée dans la rubrique ouverte par Girelle : mémoire

Ce texte mérite de passer deux fois et même sur accueil -




Pièces jointes:
cuisine_009.jpg
Re: La mémoire qui flanche
19 février 2008, 00:11
Lundi 18 février 2008

18:35 France : l'Union des déportés d'Auschwitz désapprouve l'idée du président Nicolas Sarkozy de confier la mémoire d'un des 11 000 enfants juifs de France déportés durant la Shoah aux enfants du CM2. (Guysen.International.News)

Les membres de l'association ont déclaré dans un communiqué « avoir trop connu jadis la difficulté à parler de l'indicible même à nos propres enfants ou à être écoutés même par des adultes, pour vouloir qu'une jeune génération soit confrontée si tôt et en bloc à l'insupportable absolu qui a détruit tant d'enfants de nos familles. »

14:28 Dans une interview accordée lundi à la chaîne d'informations i>télé, le Grand Rabbin de France Joseph Sitruk a jugé « belle et généreuse » l'idée du président Nicolas Sarkozy de confier la mémoire d'un enfant juif mort en déportation à un élève de CM2. (Guysen.International.News)
Il a ajouté que la transmission de la Shoah est « un problème de société » et a suggéré de créer une commission « constituée de spécialistes, de pédagogues, d'anciens déportés et d'anciens résistants » pour réfléchir à la transmission de cette mémoire, notamment auprès des enfants

09:59 France : Le projet de Nicolas Sarkozy de ''confier'' aux élèves du CM2 ''la mémoire'' des enfants tués durant la Shoah, devrait être réaménagé. Le président s'est déclaré déterminé à ne pas céder, bien que des vives critiques aient été formulées dans les milieux éducatif et politique. (Guysen.International.News)
Re: La mémoire qui flanche, par Jean-Pierre Chemla
19 février 2008, 02:30
Bien sûr que lorsqu'on lance une idée quelle qu'elle soit, il est important de mesurer ses aspects positifs et ses aspects négatifs.

Permettre d'étaler au grand jour des relents d'anti-sémitisme est toujours une erreur, et c'est ce qui a motivé, à mon avis, l'immédiate et vive réaction de Simone Veil que l'on ne peut soupçonner ni d'anti-sémitisme, ni d'anti-sarkozisme.

Parce que ces relents là sont non seulement extrêmement blessants, mais contagieux.

La Shoa fait partie des programmes scolaires, à telle enseigne que, dans des quartiers difficiles, les professeurs se plaignent de ne pouvoir en parler tant les voyous manifestent.

Le mot "voyous" s'applique ici à ceux qui empêchent un professeur d'enseigner, il n'a bien évidemment pas de corrélation avec telle ou telle catégorie de population.

On peut toujours se lamenter sur des vieux démons qui sommeillent, il est plus intelligent de ne pas les réveiller.

Oui, il y a des parents qui font des enfants préservés de tout, ça ne veut pas dire pour autant qu'ils sont anti-sémites.

Il n'est que de voir la sortie des collèges ou des lycées ou les parents viennent chercher en voiture des adolescents qui ne savent sans doute ni marcher, ni prendre un autobus.

Je crois que le Président de la République a "sorti" là une idée dont il aurait dû parler avant avec Madame Veil qui est son alliée et avec le président du CRIF dont il était l'hôte.

Le dire n'est pas faire de l'anti-sarkosisme primaire.

Quant à la violence des réactions, elle est dûe, je crois, à l'impression que un seul décide pour tous, sans concertation...même quand il s'agit de sujets délicats.

Le fait du prince est difficilement admis dans notre république.

La preuve que cette idée était mauvaise, même si elle part d'une bonne intention, c'est qu'elle nous fait plus de tort qu'elle ne nous amène d'avantages.

La Shoa doit être traitée comme exemple de ce que l'homme est capable de faire quand il est entrainé par d'ignobles démons du racisme, et là tout le monde est concerné.
Re: La mémoire qui flanche, par Jean-Pierre Chemla
19 février 2008, 09:17
Simone Veil participera à la mission Darcos sur la Shoah

Reuters - Lundi 18 février, 19h06PARIS (Reuters) -

Le parrainage d'enfants juifs victimes de la Shoah sera en place dans les écoles dès la rentrée de septembre 2008, a déclaré lundi Xavier Darcos, qui n'a pas écarté la possibilité que la démarche soit portée par des groupes d'enfants ou des classes entières.

De son côté, Simone Veil, qui s'était élevée contre l'initiative de Nicolas Sarkozy, a accepté de participer à la mission mise en place pour réfléchir aux modalités d'application de cette proposition, selon le site internet du Point.

Cette information a été confirmée par la Fondation pour la mémoire de la Shoah, dont l'ancien ministre est présidente d'honneur.

"C'est inimaginable, insoutenable, dramatique et, surtout, injuste (...) On ne peut pas demander à un enfant de s'identifier à un enfant mort", déclarait vendredi Simone Veil.

Depuis, "l'Élysée a édulcoré sa mesure: la prise en charge, qui devait être individuelle, est devenue collective : c'est à une classe entière que sera associé le nom d'un enfant juif disparu pendant la guerre", écrit l'hebdomadaire.

Le président de l'Assemblée Bernard Accoyer (UMP) a annoncé de son côté qu'il allait proposer la mise en place d'une "mission d'information sur les questions mémorielles".

"Le gouvernement prévoit une large concertation sur ces questions délicates avant leur mise en oeuvre", a-t-il souligné.

Le ministre de l'Education se défend pour sa part de tout recul.

"J'observe que ce qui est critiqué (...) c'est la complexité de l'idée d'une adoption d'un enfant par un enfant mais personne ne critique le principe qu'il faille évidemment connaître la Shoah et travailler sur cette question", a-t-il expliqué sur RTL.

"Dès la rentrée prochaine, nous allons proposer une démarche pédagogique pour répondre à l'intuition du président de la République", a-t-il précisé.

"L'objectif de la démarche semble devoir primer sur les modalités de la mise en oeuvre", a-t-il fait valoir face à la polémique suscitée par le projet présidentiel. "Il s'agit que soient honorés, célébrés, rappelés les enfants juifs morts pendant la guerre".

Pour les modalités, une réunion est prévue mercredi au ministère de l'Education avec "des responsables du monde de la mémoire et des éducateurs."

"Est-ce qu'il faut que ce soit un par un et pour chaque élève? On peut trouver peut-être d'autres solutions, par un groupe, par classe, se fonder sur d'autres démarches pédagogiques. Nous devons construire les choses maintenant que le président de la République a montré la voie", a souligné Xavier Darcos.

Laure Bretton
La mémoire qui flanche
19 février 2008, 09:35
Se souvenir de ces 11 400 enfants, par Serge Klarsfeld

LE MONDE | 18.02.08

L'initiative du président de la République est extraordinaire, et ceux qui en sont aujourd'hui les détracteurs prétendront demain en avoir été les inspirateurs. Pendant des décennies, les dirigeants des organisations juives qui laissaient vivoter le précieux Mémorial du martyr juif inconnu et Centre de documentation juive contemporaine invoquaient la mémoire des milliers d'enfants Juifs déportés de France sans même savoir qui ils étaient et combien ils étaient. Nous, les Fils et filles des déportés juifs de France, avons fait ce travail après avoir établi, en 1978, la liste, convoi par convoi, de toutes les victimes de la Shoah en France (76 000 déportés).


En 1994, nous avons publié le Mémorial des enfants juifs déportés de France et l'avons augmenté depuis de huit additifs. Nous avons identifié chaque enfant, son état civil, nom, prénom, date et lieu de naissance et, au terme de très longues recherches, nous avons pu ajouter pour chacun d'entre eux - ils étaient 11 400 âgés de moins de 18 ans - l'adresse de son arrestation.

On sait ainsi commune par commune, département par département, les enfants qui ont été arrêtés dans tel village, dans telle petite ville, dans telle rue de Paris, de Lyon ou de Marseille. Nous avons pu récupérer, par un travail qui n'a été accompli dans aucun autre pays, plus de 4 000 photos de ces 11 400 enfants, 4 000 visages qui sont rassemblés aujourd'hui dans la salle des Enfants du Mémorial de la Shoah, à Paris, dans le pavillon de la France dans le Camp-Mémorial d'Auschwitz et au Musée de l'héritage juif et de l'Holocauste à New York.

Depuis la parution de notre ouvrage, les plaques commémoratives se sont multipliées par centaines dans notre pays faisant revivre sur tout le territoire la mémoire non pas exclusivement des enfants, mais surtout des enfants. Les Associations pour la mémoire des enfants juifs déportés de France, les AMEDJ, ont pris dans les établissements scolaires le relais de notre Mémorial des enfants : s'appuyant sur les adresses des enfants qui y sont inscrites et sur leurs propres recherches dans les archives des établissements, les AMEDJ ont procédé à la pose de plaques dans de très nombreuses écoles, collèges et lycées, surtout à Paris, à Nice et à Lyon.

Il y a vingt ans, au lycée Hélène-Boucher, à Paris, on nous refusait encore le mot "juif" sur la plaque. Aujourd'hui, grâce à notre travail précis de mémoire et grâce au discours historique de Jacques Chirac, le 16 juillet 1995 au Vel'd'Hiv, le contexte historique de la mise à mort de tous ces enfants est clairement exposé sur chaque plaque. Sur la façade extérieure, on peut lire généralement : "A la mémoire des élèves de..., arrêtés de 1942 à 1944. Assassinés dans les camps d'extermination parce que nés Juifs. Plus de 11000 enfants furent déportés de France, victimes innocentes du gouvernement de Vichy complice de la barbarie nazie. Ne les oubliez jamais." Et, au sein de l'établissement scolaire, on peut lire avec le même texte une liste nominative des enfants juifs déportés qui y furent des élèves.

Les enseignants et les élèves participent avec enthousiasme à cette oeuvre de mémoire et de vie qui n'a rien de morbide. Parfois il arrive que l'école prenne le nom de l'un de ces enfants : par exemple à Montescot, dans les Pyrénées-Orientales, les enseignants ont demandé à notre association de les renseigner sur deux soeurs, Léa et Elisabeth Schnitzler, 8 ans et 3 ans. Nous l'avons fait et leur avons envoyé les photos des deux fillettes. Enseignants et élèves ont recherché toutes les traces du passage dans la commune de Léa et d'Elisabeth et de leurs parents, et leur remarquable travail de mémoire a reçu le prix Corrin en Sorbonne.

Les enfants de Montescot se souviendront toujours de ces deux enfants qui ont donné en 2003 leur nom à leur école. Que chaque enfant se souvienne du nom d'un enfant juif déporté n'aura rien de traumatisant parce qu'il ne s'agira pas d'une mission unique : il y a beaucoup plus d'élèves en CM2 en France que 11 400, et chaque année les élèves de CM2 se renouvellent.

Dans les bourgs et les petites villes, les élèves se souviendront des enfants qui vivaient comme eux, dans le même cadre de vie, dans les mêmes lieux ou le même département. Dans les grandes villes, ils verront que tel enfant habitait la même rue qu'eux-mêmes. Notre exposition sur "Les 11400 enfants juifs déportés de France" a été vue par des centaines de milliers de personnes dans les vingt plus grandes gares de France entre 2002 et 2005, pour le 60e anniversaire de la déportation. La Mairie de Paris a tenu à la présenter tout entière (250 panneaux et vitrines) dans les grands salons de l'Hôtel de Ville en 2007, et de nombreux groupes scolaires ont scruté, avec une extrême attention, les listes arrondissement par arrondissement, rue par rue et numéro par numéro des milliers d'enfants juifs de Paris victimes de la Shoah.

Non seulement chaque élève se souviendra d'un enfant mais aussi du contexte historique qui a conduit cet enfant à la mort, et également du fait exceptionnel dans l'Europe de la Shoah que 60 000 enfants juifs ont échappé à la déportation grâce surtout à la population française qui a aidé activement les familles et les organisations juives à cacher les enfants et qui a réussi à faire pression sur le gouvernement de Vichy pour freiner sa coopération policière avec la Gestapo.

Ce rôle est déjà joué par beaucoup d'enseignants, ceux qui coopèrent avec les AMEDJ. Et si d'autres mémoires surgissent à cette occasion, tant mieux ; elles ne seront pas concurrentes, mais complémentaires, et permettront aux uns et aux autres de mieux se connaître en confrontant les douloureuses épreuves de l'histoire qui ont conduit l'humanité jusqu'à nous.

Les élèves qui se souviendront d'un enfant dont la vie a été tranchée par l'intolérance et la haine raciste seront mieux armés moralement contre les idéologies extrêmes et contre la violence ; ils comprendront mieux probablement pourquoi il faut défendre les valeurs républicaines, la liberté et la dignité humaine.

D'ici à la rentrée 2008, l'initiative du président de la République sera étudiée et aménagée par l'éducation nationale avec le soutien de toute la documentation de notre association et la participation du Mémorial de la Shoah. Dans une trentaine d'années, un siècle après la Shoah, les élèves d'aujourd'hui des CM2 seront depuis longtemps des adultes, et la France sera le seul pays où l'on se souviendra encore avec précision des enfants juifs qui en furent déportés.

Ces enfants auront échappé à l'immense poubelle de l'Histoire ; ils seront redevenus des acteurs de l'Histoire ; ils auront échappé à la nuit et au brouillard de l'oubli ; ils seront revenus à la lumière du jour. Grâce à Jacques Chirac on se souviendra des Justes et des 60 000 enfants juifs sauvés ; grâce à Nicolas Sarkozy on se souviendra des 11 400 enfants juifs perdus.

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Serge Klarsfeld est président de l'Association des fils et filles des juifs déportés de France.

Article paru dans l'édition du 19.02.08

[www.lemonde.fr]
La mémoire qui flanche
19 février 2008, 09:39
Le mort saisit le vif, par Claude Lanzmann

LE MONDE | 18.02.08

Je ne suis pas de ceux qui se conduisent comme si la campagne présidentielle n'était pas terminée et tiennent le président de la République pour un usurpateur. Je me sens d'autant plus libre pour m'interroger sur l'étrange proposition qu'il a avancée dans son discours au CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). Nul doute que Nicolas Sarkozy, s'adressant aux juifs, ne soit animé par la sympathie et les bonnes intentions, comme il le fut à Rome, lorsqu'on le fit chanoine, ou à Riyad devant les membres du Majliss As-shoura. Mais l'enfer, on le sait, en est pavé, les contre-finalités et les effets pervers sont engendrés par des prémisses qui le sont également.


Le président de la République pensait sûrement que les juifs allaient lui être reconnaissants de son formidable "cadeau", théâtralement décrété : la prise de relais d'un enfant assassiné il y a soixante-cinq ans, dans les chambres à gaz d'Auschwitz ou de Treblinka, par un autre du même âge aujourd'hui, mais bien vivant, élève de CM2, à qui seront confiés le nom, l'histoire, les photographies du petit mort et qui aura le mandat, sinon de le ressusciter, du moins d'en perpétuer le souvenir.

Au Holocaust Memorial Museum de Washington, on épingle au revers de la veste de chaque visiteur un badge avec le nom d'un juif exterminé dans la Shoah. Le visiteur perd son nom et prend celui d'un mort pendant les deux ou trois heures que dure le parcours. Les communicateurs du musée prétendent que l'identification joue à plein, permettant à l'émotion de se donner libre carrière : le mort saisit le vif.

Le président, lui, a parlé dans son discours "d'éclats de mémoire", onze mille éclats donc, individualisés, subjectivés. L'enfant vivant de CM2 devient le correspondant de l'enfant juif, comme nous avions autrefois, en classe d'anglais, des correspondants britanniques, canadiens ou australiens. La différence est que nous étions tous vivants. Les prisonniers condamnés à de longues peines ont eux aussi des correspondantes, les soldats sans famille aussi. Rien de neuf dans tout cela, c'est une vieille idée de la charité chrétienne et, aux Etats-Unis, mormone.

J'entends bien, à la lecture des déclarations des inspirateurs ou inspiratrices du président, qu'on prétend lutter contre le racisme, dont la Shoah est le paradigme - ce qui fait pour une part son unicité. Mais la mémoire de la Shoah est autrement plus complexe que ces simplifications mêlées et brouillonnes, qui témoignent d'un activisme de néophytes, semblant faire table rase de cinquante ans d'historicisation acharnée.

La Shoah n'est pas une terra incognita et son histoire n'est pas une tabula rasa : des dizaines de milliers de livres ont été écrits dans le monde entier, des films, des oeuvres, des témoignages, etc. Des hommes et des femmes, des éducateurs, des enseignants travaillent et réfléchissent chaque jour à la transmission de l'événement central du XXe siècle. Plus que tous, les juifs ont contribué à cette transmission et, soyons-en sûrs, le feront dans les siècles des siècles. Cela ne s'arrêtera pas.

C'est une mode surprenante aujourd'hui que d'entendre un peu partout : "Les derniers survivants disparaissent, après eux, il n'y aura plus rien." Cette crainte est une prémisse doublement erronée : pour commencer, et c'est heureux, des survivants ont encore bon pied bon oeil ; croit-on par ailleurs que la mort du dernier centenaire de la guerre de 1914 va brutalement rejeter celle-ci au néant, la frapper du sceau de l'oubli ? Voilà longtemps que la pédagogie et l'enseignement de la Shoah sont à l'ordre du jour et que la Fondation pour la mémoire de la Shoah s'affronte sans trêve à ces questionnements. Je ne discute pas ici des effets traumatisants que le relais des enfants morts pourrait avoir sur les petits relayeurs. Si c'est trop lourd pour eux ou mal accompagné, ils oublieront. Les choses, nous avons appris cela, doivent venir à leur heure.

Je n'ai jamais ni demandé ni imposé à mon fils âgé de 14 ans et demi de voir mon film Shoah. Cela a été sa décision, de son seul ressort. Il l'a fait quand il l'a voulu, comme il l'a voulu, je ne lui ai posé aucune question. Il m'en a parlé de lui-même au bout de six mois. Le film avait fait son chemin en lui. Quel chemin ! C'était l'intelligence, l'émotion instruite par l'intelligence, le contraire de l'identification facile ou forcée, qui parlaient par sa bouche.

J'en profite pour dire au passage que la transmission s'effectue au premier chef par la culture et les oeuvres d'art. Deux ministres de l'éducation nationale, Jack Lang et François Fillon, l'avaient profondément compris. Le premier initia un DVD de trois heures d'extraits de Shoah pour les lycéens et collégiens de France, à partir de 13 ans, qui fut adressé à tous les établissements du pays. Quant à François Fillon, il m'accompagna dans plusieurs lycées, dont certains réputés difficiles, et peut témoigner de l'impact extraordinaire des séquences choisies de Shoah sur les élèves, majoritairement maghrébins ou noirs. Le premier ministre s'en souvient sûrement encore.

Quoi qu'il en soit, gardons-nous de l'activisme mémoriel qui semble, à chacune de ses éruptions, redécouvrir à neuf ce qui est su depuis si longtemps, et, incapable de regarder en face l'immensité de la perte, s'ingénie à ouvrir des chemins secondaires qui instituent l'oubli plus que la mémoire.

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Claude Lanzmann est directeur des "Temps modernes", cinéaste.

Article paru dans l'édition du 19.02.08

[www.lemonde.fr]
Re: La mémoire qui flanche
19 février 2008, 09:59
Nicolas Sarkozy a annoncé, mercredi 13 février, qu'il souhaitait que "tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d'un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah".

Georges Bensoussan, historien et auteur de Histoire de la Shoah, met en garde contre une "dérive vers une religion civile de la Shoah".
Propos recueillis par Constance Baudry

Enregistrement audio

[www.lemonde.fr]
Re: La mémoire qui flanche
19 février 2008, 10:07
A Montescot, la déportation enseignée à une classe primaire

LE MONDE | 19.02.08

PERPIGNAN CORRESPONDANT

Montescot, l'école porte le nom de Léa et Elisabeth Schnitzler, deux fillettes qui ont vécu dans ce village situé près de Perpignan (Pyrénées-Orientales) dans les années 1940 avant d'être déportées au camp d'extermination de Sobibor, en Pologne.

Catherine Hody, directrice de l'école a reçu, début février, le prix Annie et Charles Corrin récompensant un projet pédagogique portant sur l'enseignement de la Shoah. Cette enseignante émet des réserves sur l'idée de Nicolas Sarkozy de faire parrainer un enfant déporté par chaque élève de CM2 : "C'est une très lourde charge émotionnelle pour des enfants de 8 ou 9 ans. Il serait préférable d'inscrire cet enseignement dans un projet d'école et pas uniquement dans une empathie momentanée."


En octobre 2001, l'association des Fils et filles des déportés juifs de France (FFDJF) s'adresse à l'école. L'association recherche, comme pour les 11 400 enfants juifs de France victimes de la Shoah, des éléments biographiques sur Léa, 8 ans, et Elisabeth, 3 ans, qui ont vécu à Montescot avant d'être déportées avec leur mère le 23 mars 1943. "Cette demande, parvenue peu après les attentats du 11-Septembre, coïncidait avec quelques actes racistes envers des enfants d'origine nord-africaine qui inquiétaient alors l'équipe pédagogique", raconte Mme Hody. Engagée avec ses collègues dans un travail contre le racisme, l'institutrice fait travailler pendant une année sa classe de CE1-CE2 sur le destin de Léa et Elisabeth Schnitzler.

"Les enfants ont recueilli des documents, nous nous sommes interrogés sur ce que cela signifie d'être juif, avant, progressivement, d'en arriver à l'extermination, explique Mme Hody. Partis d'un travail citoyen axé sur le droit des enfants, le respect, la non-existence des races, les élèves ont cherché à connaître le destin tragique de ces deux fillettes dont l'aînée avait le même âge qu'eux."


"ETOILES OUBLIÉES"


En questionnant les anciens du village, en faisant des recherches aux archives, les enfants reconstituent l'itinéraire des "petites filles juives qui auraient bien voulu vivre". Depuis 2002, l'exposition "Léa et Elisabeth... Etoiles oubliées" a été vue par plus de dix mille enfants. La mairie donne en 2003 le nom des deux fillettes à l'école. Léa et Elisabeth sont au coeur des projets d'école des années suivantes.

Ce travail s'est prolongé au-delà du village : visites à Drancy et travail sur la maternité d'Elne, à moins d'un kilomètre de l'école, où une institutrice suisse, Elisabeth Eidenbenz, a permis en 1939 à des femmes espagnoles fuyant le franquisme d'accoucher. Aux Espagnoles se sont ajoutées, dès 1940, les mères juives, tziganes, polonaises, tchèques, internées au camp de Rivesaltes. Plus de 600 enfants sont nés. La mémoire fait désormais partie des 129 élèves de l'école de Montescot.

Jean-Claude Marre

Article paru dans l'édition du 20.02.08

[www.lemonde.fr]
Re: La mémoire qui flanche
19 février 2008, 10:18
COMME IL BEAU ARNOOOOOOOOOOOOO - en plus Il est presque de la famille ........du Président

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