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Quelqu'un appelle à l'aide, par Gabriel Bensimhon

Envoyé par Pauline 
Quelqu'un appelle à l'aide, par Gabriel Bensimhon
25 mars 2008, 08:53
Quelqu'un appelle à l'aide

Par Gabriel Bensimhon

Une fois par semaine, je monte de l'universite de Tel Aviv à Jérusalem
pour donner un cours à l'école de cinéma « Maalé", et j'en profite pour
faire un tour dans la Vieille Ville et terminer au Mur des Lamentations.
Il y a toujours foule, des appareils de photos qui cliquent, un bruhaha
de sons et de langues. A l'heure qu'il est , trois heures du matin,
c'ést le silence complet.Il n' y a que lui et moi en tête à tête , les
étoiles au-dessus de nous. Maintenant, face à sa toute puissance muette,
je revoyais le petit Mur symbolique a deux dimensions avec trois cyprès
en arriere plan, peint sur le mur de notre maison a Sefrou, un dessin
naif qui exprimait le rêve de mon pere que l'on croyait irréalisable,
d'arriver un jour à Jérusalem.
Ceux qui habitent ici, dans les maisons d'en face, savent-ils ce que
cela signifie, quand ils ouvrent la fenêtre et un rêve immense, vieux de
deux mille ans penetre directement dans leur salon ?
Pendant que je suis plongé dans mes réflexions un vieillard apparaît
juste devant moi, tenant une échelle et un balai. Il pose l'échelle
contre le Mur, y grimpe prestement et se met à retirer les petits
papiers caches entre les interstices. Qui est-ce ? que fait-il ?
pourquoi retire-t-il les billets ? En realite Je n'ai jamais su quel
etait le sort des petits papiers glisses entre les pierres du Mur. Des
millions de bouts de papiers couverts de prieres mais ou donc
disparaissent ils ? En fait deux mille ans de requettes et de suppliques
auraient pu transformer ce mur de pierre en un mur de papier,et voilà la
reponse. Mais qui est cet homme ? et que fait il des billets ? et de
quel droit ? Le vieillard sur l'échelle avait l'air si léger si
gracile, si agile, si lest pour son âge. Il montait et descendait comme
s'il volait, ses cheveux blancs flottant au vent et on pourrait
facilement imaginer que sous son Talith blanc il cache des ailes.
Tandis que je songe à tout cela, une main me frappe à l'épaule. En me
retournant, je vois un agent de police. L'expression sévère, il me
demande : « Que faites-vous là ? » « Que peut-on bien faire au Mur ? »
lui ai-je répondu. « Carte d'identité ! » a-t-il demandé. J'ai cherché
ma carte d'identité- en vain. C'est le genre de choses qui m'arrivent
quand je suis stressé. « Accompagnez-moi » il m'a ordonne et il s'est
dirige vers la baraque de la police. Dans la bâtisse étroite et
climatisée, il a noté mes coordonnées et s'est mis à écrire un
procès-verbal. « Pourquoi vous promenez-vous près du Mur à une heure si
tardive ? » s'est-il enquis. Je lui ai parlé avec une certaine
hésitation du petit Mur naïf que mon père dessinait sur le mur de notre
maison au Maroc. Un léger sourire est apparu sur son visage dur, et il
m'a avoué qu'il en était de même dans sa maison de Sanaa. Bien plus, son
père décédé depuis peu avait continué à dessiner le Mur à Roch-Ha'ayin «
comme si nous n'étions pas arrivés ».
On voyait à travers la vitre le vieil homme à l'échelle qui, avec son
Talith pareil à des ailes déployées et les mouvements du balai,
paraissait vouloir prendre son vol, et j'ai maintenant trouvé le courage
de demander en souriant à l'agent : « Dites-moi donc, le bon Dieu ne les
lit pas ? » « Ecoutez, m'a-t-il répondu en me touchant l'épaule comme
pour sceller une alliance, le bon Dieu ne nous voit pas. Il y a vingt
ans que je suis là, et rien de rien. Tout près de la marmite, comme on
dit, mais Il ne fait pas de cadeaux. La nuit, il n'y a personne d'autre
que nous, je suis avec Lui en toute intimité, comme on dit. Je ne crains
pas de lui parler à haute voix. Ce que je lui demande ? Les chauffeurs
des autobus d'Egged ont bien le droit de voyager gratis ? Les employés
de El-Al ont droit à un vol gratuit une fois par an ? Alors l'agent du
Mur a bien le droit d'avoir un peu de chance, non ? Que n'ai-je pas fait
pour obtenir cette place ! Qu'est-ce que je demande en tout et pour tout
? Une bonne petite place, comme on dit. Pas besoin d'être le premier,
mais pourquoi être le dernier ? Yankel est monté en grade, 'Hayim a eu
une augmentation. Chicco a fait un voyage à l'étranger - et moi alors ?
J'ai eu Aziza. Cinq enfants. Trois petits-enfants. « Avez-vous écrit un
billet ? » lui ai-je demandé. « Et comment, a-t-il répondu, mais c'est
comme parler à un mur. Quand mon voisin, le chauffeur de Péres, veut une
augmentation, il va directement au President de l'etat, Je suis en
quelque sorte le chauffeur du bon Dieu, non ? Disons que je suis son
gardien de corps. J'ai bien droit à un petit quelque chose. Si vous
voyiez les millionnaires qui viennent ici avec leurs magnétoscopes, les
femmes avec des diamants de la grosseur d'une pierre du Mur. Je vous le
demande un peu ! Ils ont besoin du Mur ? Si j'avais ce qu'ils ont, je
laisserais la place à d'autres. Pourquoi se pousser au premier rang ? Et
savez-vous ce qu'ils demandent ? 'Mon Dieu, fais que ce gouvernement
tombe !' » et a cinq heures du matin ! « Comment le savez-vous ? » «
Quelle question ! Vous vous moquez de moi ? Eh bien, lisez vous-même !"
il me dit en sortant du tiroir un sachet plastique plein de papiers. «
Quand je suis seul la nuit, je vais là prendre quelques billets. » «
Vous !? » Je suis stupéfait. « Le gardien du Mur ? » « Pas de bêtises,
dit-il. Pourquoi ? Qu'est-ce que vous croyez ? Qu'ils vont au ciel ?
Prenez, prenez, lisez-les. » et Il presse sous mon nez une liasse de
billets froissés.
« Je regrette. » je dit en bégayant. « Je ne."
Mais il déplie déjà un but de papier bancaire tout chiffonné et lit : «
Que Nasarallah meure ! » Puis sur une facture de dentiste : « Que mon
mari soit élu au Parlement. » Sur une page à en-tête d'un député : « Je
veux conquérir le palais. Tuer le roi. Baiser la femme ! » Mais il y
avait aussi des requêtes plus simples : « Mon Dieu, envoie des anges
pour protéger Gilad Shalit » et « Mon Dieu, fais que la table de
multiplication soit supprimée », « Papa a quitté Maman. Que va-t-il se
passer !? », « J'ai trente-cinq ans. Je suis grande. Intelligente. J'ai
les yeux verts. Je T'en prie, trouve-moi un mari. » Et avec les traces
d'un baiser au rouge à lèvres. Et comme ca Il a continue à me lire les
malheurs du monde. Tiens je me suis dit- tout en pensant que je pouvais
faire de ça un scénario pour un feuilleton télévisé- c'est ici, dans la
bicoque de l'agent de police que viennent finir les prières des hommes
vers Dieu. « Et Dieu dans tout cela ? » ai-je demandé. « A-t-il besoin
de ces billets ? m'a-t-il répondu, croyez-moi, il nous entend aussi
quand nous nous taisons. » « Et vous alors ? Pourquoi en avez-vous
besoin ? » ai-je insisté.« Pour lire avant de m'endormir. » « Avant de
vous endormir ? » ai-je dit avec stupéfaction. « Quand vous voyez les
malheurs des autres, cela vous console un peu des vôtres. Comme le dit
le proverbe : peine partagée est à moitié oubliée. Vous voulez en
emporter un peu ? » Et le voilà qui en prend une poignée pour la fourrer
dans ma poche, comme s'il me donnait un paquet de chocolats. « Prenez,
prenez, cela vous fera du bien, croyez-en mon expérience. Ne pensez pas
que je détourne le courrier, de toute façon ces billets n'arrivent pas
là-haut. Regardez donc ! voyez où ils vont ! » et Il m'indique la
direction du Mur où l'on aperçoit une feu dansant auprès duquel le
vieillard avec ses ailes ressemble à un ange qui le fournit d'un torrent
infini de billets de papier, tandis que son ombre géante se projette sur
le mur.
L'aube de Jerusalem a commencé à poindre, accompagnée par le tintement
des cloches et les mélodies des muezzins, le feu s'est éteint et le
vieillard a disparu. J'étais là, avec l'agent de police, dans la
fraîcheur matinale et nous avons regardé le Mur nettoyé de tous ses
billets, se dressant obstinément face à un nouveau jour de l'éternité
comme un morceau de nature, comme la mer face aux fenêtres à Haïfa ou à
Tel-Aviv. J'étais fasciné par le spectacle, et l'agent de police qui
s'en était aperçu m'a frappé à l'épaule en disant : « Il est à vous ! »
et a disparu dans sa baraque.
Je suis allé vers le Mur qui devenait de plus en plus gigantesque au
fur et à mesure que je m'approchais, jusqu'à toucher le ciel. Je l'ai
touché de l'extrémité de mes doigts, les yeux fermés. Soudain ma main a
senti un papier. Je me suis dit que le vieillard n'avait pas fait
consciencieusement son travail. Sans retenue, j'ai retiré le billet.
C'était un bout de papier d'un restaurant de Jérusalem où j'ai lu en
cachette, à la lumière des étoiles, deux mots d'une écriture féminine :
« Protégez-moi ! » Je me sentais coupable et pourtant, comme un voleur,
j'ai mis le billet dans ma poche en décidant que je réfléchirais, une
fois de retour chez moi, à qui pouvait l'avoir écrit - et voilà que de
la main gauche, j'ai touché un autre papier. Sans hésitation, je me suis
surpris à le prendre aussi. En ouvrant les yeux, j'ai vu sur un morceau
de chèque, en écriture Rachi : « Protégez-moi. » J'étais surpris. J'ai
refermé les yeux et, comme quelqu'un qui tire au sort, j'ai tâté les
interstices, puis j'ai ouvert les yeux et j'ai lu en italien : « Veglia
su di me. » C'en était trop.
J'ai prudemment regardé alentour pour voir si peut-être quelqu'un,
derrière moi, se moquait de moi. Mais il n'y avait personne. J'étais
absolument seul près du Mur. C'était étrange et étonnant. Je me suis
dirigé vers un coin éloigné et j'ai regardé un autre billet, rose
celui-ci, qui dépassait des pierres. C'était la même chose, en Anglais
cette fois : « Look after me. » Je ne savais que penser. Sorcellerie ?
Jusqu'à présent c'était moi qui mettais des billets dans le Mur.
Maintenant c'est lui qui m'en donne. Quelque chose d'étrange et de
surprenant m'arrive, je ris et j'ai peur. J'ai couru çà et là le long du
Mur, j'ai arraché des billets de partout. Des dizaines de billets. Mes
poches sont déjà pleines de billets de toutes sortes. De toutes les
couleurs. En toutes les langues. Des écritures féminines, masculines,
enfantines. Tous contiennent le même appel : « Protégez-moi. » Qui a
écrit ? Nous sommes donc à l'aube d'une nouvelle journée. Et le
vieillard a juste fini de tout nettoyer et jeter au feu. Quelqu'un
appelle-t-il à l'aide ? Qui ? Quelqu'un me demande peut-être de remplir
une mission ? Pour le compte de qui cette mission ? Vers qui ? Qui est
l'émissaire ? Qui est l'initiateur ? Et quelle mission ? C'est peut-être
une mystification ? Qui était le vieillard ? Un employé municipal ou un
ange qui aurait apporté les billets de là-haut tout en expédiant
d'autres d'ici-bas ? Que m'arrive-t-il ? Je suis venu parler avec le
Mur, et c'est lui qui me parle !
Je ne savais pas à qui m'adresser. Parler avec l'agent de police ?
M'adresser au Premier ministre ? Aux pompiers, peut-être ? J'ai décidé a
écrire l'épisode dans mon blog. Car il faut faire quelque chose. On ne
peut pas laisser les choses comme ça.


Tous droits reserves
Prof. Gabriel Bensimhon
Tel Aviv University
11, rue Itzhak Sade
Zichron Yaakov 30900 Israel
Blog : [moledetzesex.blogspot.com]
Re: Quelqu'un appelle à l'aide, par Gabriel Bensimhon
25 mars 2008, 09:03
Donc si je comprends bien c est HEIT METEKI I DAHEQ OU I BEKI....

Un mur penchè qui fait rire et qui fait pleurer.
Re: Quelqu'un appelle à l'aide, par Gabriel Bensimhon
25 mars 2008, 12:39
Pauline je tiens à vous dire chapeau pour ton choix d'aujourd'hui.c'est vraiment poetique.Ce Bensimhon me rappele un peu le monde de Kafka en posant ce duel entre le divin et la vie telle quelle est au vécu.je voudrais quand meme vous faire un clein d'oeil car vous m'avez permis de visiter le blog de ce Marocain Juif et lire "Sidi Lahchen Lyoussi" et faire un kif à epeller le titre en hébreux "Ilohim hou lefamim ben adam" ( c'est reussi?).
Re: Quelqu'un appelle à l'aide, par Gabriel Bensimhon
25 mars 2008, 12:49
C'est vrai, Pauline que ce texte est de la poésie pure avec ce brin de surréalisme qui en fait une chose d'un grand charme.
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