Les Chtimis pendant la guerre
(Pour ceux qui sont assez loin pour avoir échappé au matraquage autour du film du même nom et qui a battu le record des entrées en France, les chtimis sont les habitants du Nord (en patois).)
Lorsque mes parents rentrèrent dans le Nord à la fin de la guerre pour voir ce qu'il restait de leur maison, ils étaient décidés à vivre au soleil de la Côte d'Azur.
La joie de la fin de la guerre atténuait la vision du désastre qui les attendait: la grande bâtisse familiale avait été occupée par les allemands, il ne restait plus un meuble, la baignoire d'une des salles de bains était passée au travers du plafond, les soieries avaient été arrachées, la cave de grand père n'existait plus et la bibliothèque de mon père avait servi à un usage que je m'empresserai de ne pas décrire.
Très bien, dit ma mère qui avait le sens du "verre à moitié plein", nous partons de suite sur la Côte.
Il était tard et la pénurie d'essence les décidèrent à rester un jour ou deux pour s'approvisionner.
Ils revinrent le lendemain à la maison pour un dernier au-revoir, et là, tout à coup, une voiture à bras, suivie de brouettes, de carrioles...etc, s'arrêta devant la maison...
C'étaient les gens du pays, les ouvriers, les paysans qui ramenaient à leur médecin au nom si difficile à prononcer pour eux, la presque totalité des meubles, tableaux, bibelots et argenterie qu'ils avaient réussi à voler la nuit aux allemands qui occupaient la maison, et ce, en prenant un risque considérable.
Derrière chaque meuble, à l'aide d'un produit indélébile, ils avaient inscrit le mot "Doc".
Pris d'une intense émotion, d'une vraie admiration et d'une grande reconnaissance, mes parents reportèrent à beaucoup plus tard leur installation dans le midi, il n'était tout simplement pas concevable de dire merci et d'y ajouter: "nous avons d'autres projets".
Je sais bien que cette histoire n'a rien à voir avec la Tunisie, je l'ai probablement déjà racontée à quelques amis harissiens, que ceux ci veuillent bien penser que, me répétant, je ne commence pas une maladie d'Alzheimer, mais que je pense que l'attitude de toute une population envers son médecin juif valait bien d'être dite ici...avec reconnaissance...pas pour les meubles, bien sûr, mais pour ce geste de grand courage, de vrai défi.
Non Girelle on ne t'accuseras pas d AZ - je suis toujours émue de t'entendre relater cet épisode de la vie de tes parents.
Il y a eu c'est vrai des collabos ! mais combien de résistants et de "justes" retrouvés, sans compter ceux qui n'en n'ont pas parlés.
Tu as raison, beaucoup n'en ont pas parlé...mais ceux pour qui de tels gestes ont été faits, se doivent d'en parler.
Tu crois, par exemple que l'accent yddish de mes grands parents passait inaperçu dans le village du Lot dans lequel ils avaient trouvé refuge?
Là encore, personne n'a dénoncé, le village a été simplement solidaire, c'est tout.
Parce que, quand dans la France déshonorée, des hommes jeunes et en pleine forme portaient l'uniforme de la Milice et tournaient leurs armes contre les français et non pas contre l'envahisseur ennemi,alors que des dénonciateurs de tous ordres écrivaient leurs mesquines horreurs, beaucoup de français ont montré un courage aussi simple que quotidien, et ça vaut la peine d'être dit et répété.
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