USA-Israël : crise artificielle mais grosse crise quand même (info # 011403/10) [Analyse]
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
La crise entre Washington et Jérusalem s’est amplifiée ce week-end. En théorie, les excuses présentées par Binyamin Netanyahu, pour l’annonce par son ministre de l’Intérieur de la création de 1600 unités d’habitation à Jérusalem-Est, aurait pu mettre un terme à la brouille.
Mais la Maison Blanche en a décidé autrement.
Vendredi, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a interpelé le 1er ministre au téléphone. La conversation a duré 43 minutes au lieu des 10 habituelles et Netanyahu n’a pas eu l’occasion de placer un mot, selon une communication à la presse en provenance du secrétariat d’Etat.
D’autres officiels américains décrivent officieusement la discussion comme le sermon d’un maître à un élève et non comme un échange de vues entre deux hauts responsables politiques de deux Etats alliés.
La partie divulguée de l’entretien fut caractérisée par un contenu aussi agressif et menaçant que le ton. Madame Clinton a franchi une limite jamais encore évoquée dans les relations Washington-Jérusalem, lorsqu’elle a mis sur la balance l’essence desdites relations.
C’est Philip Crowley, le porte-parole du département d'Etat, qui a rapporté ce point crucial de l’échange : Clinton a ainsi déclaré au chef de l’exécutif israélien "que l'annonce de nouvelles constructions était un signal profondément négatif quant à l'approche par Israël de la relation bilatérale avec les Etats-Unis, et contraire à l'esprit du voyage du Vice-président".
L’épouse de l’ancien président Bill Clinton aurait accusé le Président du Conseil "d’endommager les relations bilatérales".
Netanyahu aurait balbutié qu’il n’était pas préalablement au courant de la déclaration qu’a faite le ministre de l’Intérieur Eli Yishaï ; Clinton lui rétorquant, de but en blanc, qu’en tant que 1er ministre, il était responsable des actions de son gouvernement.
Une autre tentative infructueuse du 1er ministre a consisté à rappeler à son interlocutrice que les constructions dans la partie orientale de Jérusalem durent depuis des dizaines d’années. La Secrétaire d’Etat l’admonestant, arguant que la déclaration effectuée pendant la visite de Joe Biden participait d’une "insulte" infligée aux Etats-Unis, et que la position de Washington était qu’il n’y a pas lieu de procéder à de telles constructions alors que les USA s’investissent massivement afin de ressusciter le dialogue avec l’Autorité Palestinienne, à la demande expresse de Netanyahu.
En fait, nous sommes en mesure d’affirmer que le contenu du message véhiculé par Clinton n’est pas d’elle. Il lui a été dicté, pratiquement mot pour mot, par Barack Obama, durant l’entretien qu’il a eu jeudi avec la Secrétaire d’Etat.
Il est évident, à nos yeux, que le pensionnaire de la Maison Blanche instrumentalise la provocation du ministre de Shass aux fins de faire passer sa politique moyen-orientale.
Tout comme il est difficilement contestable qu’Obama attendait une bravade de ce type pour réagir de cette façon. Reste qu’il ne pouvait pas espérer que le cabinet israélien commette une aussi grossière maladresse.
Mais là ne doit pas s’arrêter notre analyse : Bibi et ses conseillers étaient précisément au courant de la tendance, pas exactement empathique, des intentions d’Obama à l’égard de leur politique ; or, forts de cette connaissance, la déclaration d’Yishaï procède d’une faute majeure de gouvernance.
A l’instar d’Hillary, nous voulons bien croire, ici, que le 1er ministre n’était effectivement pas au courant des intentions d’Yishaï, visant à torpiller la reprise des négociations de paix et à éloigner l’Etat hébreux de l’Amérique. Cela amène à deux constatations plus préoccupantes encore : cette coalition ressemble à la Cour des miracles, et certains de ses ministres y ont la liberté de saborder les options prises par le gouvernement, poursuivant les prédilections partisanes de leurs formations politiques.
Pour un pays se trouvant dans la situation stratégique où Israël se situe aujourd’hui, ces constatations sont d’une gravité extrême.
Nous avions prédit, quelques heures après qu’elle fut émise, que l’annonce des constructions à Ramat-Shlomo aurait des conséquences sécuritaires pour Israël. C’est chose faite. Et cela se développe même au-delà de nos appréhensions initiales.
En effet, Washington a adressé un véritable ultimatum à Netanyahu, le mettent en demeure de réaliser une liste d’exigences qu’Hillary Clinton lui a soumises.
Dans l’autre plateau de la balance de l’ultimatum, une autre liste, celle présentée par Tsahal au printemps dernier aux Américains. Elle comprend les matériels dont l’Armée de Défense d’Israël a un urgent besoin. Non pas uniquement si elle entend attaquer les infrastructures nucléaires en Iran, mais aussi, les armes qui lui sont nécessaires afin de parer à la menace d’une initiative militaire de l’ennemi, qui pourrait concerner quatre fronts simultanément : l’Iran, la Syrie, le Hezbollah et le Hamas.
Cette liste inclut des pièces de rechanges pour les avions, des équipements électroniques de pointe, des bombes anti-bunkers.
Par delà ces objets de guerre, Israël est totalement dépendante de la bonne volonté d’Obama en ce qui concerne la détection de missiles potentiels en provenance de Perse, et, partant, la possibilité de les intercepter.
Ces fournitures sont à ce point critiques, qu’Ehoud Barack s’est rendu aux Etats-Unis, le 26 février dernier, afin de s’enquérir, auprès du Secrétaire d’Etat à la Défense, Robert Gates, de la raison du retard pris par les livraisons.
C’est l’un des deux points qui nous permettent d’affirmer, sans erreur possible, que les déclarations d’Yishaï n’ont constitué qu’un prétexte bienvenu pour Obama dans la matérialisation de sa stratégie moyen-orientale : fin février, ces livraisons avaient déjà plus de trois mois de retard !
Elles sont si cruciale, qu’Ehoud Barak avait suggéré, qu’en attente de la décision de la Maison Blanche, afin de parer à un attaque surprise, les armes soient stockées dans des entrepôts du Néguev, placés sous contrôle US. Il existe déjà d’autres arrangements de ce genre en Terre Sainte.
Gates avait promis à son homologue israélien de lui donner une réponse sous quelques jours mais rien n’était venu. Désormais, ces livraisons sont conditionnées à l’exécution d’une liste d’exigences par Israël ! De plus, rien ne dit qu’une fois ces revendications remplies, les USA fourniront à Tsahal tout ce qu’elle réclame.
L’autre élément qui établit la thèse du prétexte se trouve écrit, noir sur blanc, dans le mémorandum du Président américain définissant sa conception de l’armement nucléaire. Il s’agit d’un document habituellement produit par chaque nouveau président peu après sa prise de fonctions.
Dans celui de Barack Obama, on remarque, qu’en dépit des promesses orales qu’il avait faites à Netanyahu, l’occupant actuel de la Maison Blanche n’a pas l’intention, quoi qu’il advienne, d’altérer sa ligne de conduite à l’égard de Téhéran.
Il n’envisage à ce propos que l’emploi de la diplomatie et des sanctions, sachant pertinemment que cela n’arrêtera pas la Bombe persane. Le mémorandum d’Obama - c’était une autre de nos craintes -, n’entrevoit que le déploiement de missiles anti-missiles pour minimiser la menace iranienne, et pas du tout de la faire disparaître !
C’est dans cette dialectique que l’on doit comprendre la non-livraison des matériels utiles face à l’Iran, et le gonflement de l’affaire Yishaï ; cela ne fait pas l’ombre d’un doute.
La seule faiblesse de la stratégie du Président – en plus de cela qu’elle apparaît aberrante à la plupart des analystes stratégiques, y compris au sein de l’armée US – réside en ce qu’elle ne fait pas l’affaire des Européens. Des Européens largement plus décidés à ne pas avoir à subir un Iran nucléaire à leur porte que Barack Obama.
Ca n’est donc pas le fruit d’un hasard si, immédiatement après sa remontée de bretelles par Clinton, Netanyahu a appelé les deux plus sûrs amis d’Israël sur le Vieux continent, Angela Merkel et Silvio Berlusconi.
Vendredi, Alexander Stubb, le ministre finnois qui participait à une réunion des ministres des Affaires Etrangères européens dans son pays, affirmait "qu’il existait désormais un consensus suffisant entre pays de l'UE pour des sanctions unilatérales contre Téhéran si nécessaire". Stubb entend par là : si le Conseil de Sécurité ne les adopte pas.
Des propos réaffirmés ce dimanche matin par Bernard Kouchner dans des termes identiques.
Sanctions certes, mais ne provisionnant pas le double embargo pétrolier contre Téhéran, et, pour cette cause, totalement inefficaces.
Alors, exercice de rhétorique à mettre à l’actif des ministres européens ? Pas tout à fait, nous voyons plus cela comme un avertissement aux Chinois, aux Russes, et, en particulier, à Obama, qui n’exerce aucune pression tangible pour hâter l’adoption d’un vote au Conseil de Sécurité.
Nous ne pensons pas que les Européens aient la ferme intention de proclamer seuls des sanctions contre Téhéran. Mais nous nous demandons comment Obama pourrait ne pas se joindre à leur déclaration d’intention. Ce qui pourrait, éventuellement, faire bouger les choses à Manhattan (siège de l’ONU).
Quoi qu’il en soit, le président américain, avec l’aide de Shass, est parvenu à remettre les négociations israélo-palestiniennes sur le devant de la scène internationale et à reléguer la crise iranienne dans les coulisses. Cela irrite même les grands pays arabes, qui sont, sur ce sujet, plus proches de Jérusalem que de Washington.
Reste que Binyamin Netanyahu est plongé dans un immense dilemme politique ; on ne connaît pas les détails de l’ultimatum US, mais on imagine deux de ses clauses sans effort et sans risque : 1) Barack Obama ne veut plus avoir vent de la moindre construction dans les implantations, que ce soit en Cisjordanie ou à Jérusalem et 2) Il veut voir un changement de coalition à la tête du gouvernement hébreux. Un recentrage.
Le 1er ministre qui, de suite après l’appel d’Hillary a réuni le cabinet de crise est conscient qu’il ne peut répondre que favorablement au chantage washingtonien. C’est une évidence pour tout Israélien possédant un cerveau en ordre de fonctionnement entre les oreilles et ne faisant pas reposer le destin de son pays sur des forces surhumaines.
Les Américains n’en sont pas moins sûrs, puisque George Mitchell, sans attendre la réponse du gouvernement siégeant à Jérusalem, a déjà informé Mahmoud Abbas que les Hébreux ne construiraient plus dans la partie orientale de Jérusalem.
En réalité, les points 1) et 2) sont liés : si Israël cède à Obama – et on conçoit bien qu’elle n’a pas le choix – les partis favorables à Heretz Israël ha-shlema, au "grand Israël", ne resteront pas dans la coalition, et Bibi s’y retrouvera seul avec le Parti Travailliste.
Le 1er ministre devra alors composer avec Kadima de Tzipi Livni, et reprendre les négociations avec l’Autorité palestinienne là où elles avaient été interrompues il y a un an, lors de l’accession de Netanyahu à la présidence du Conseil. Et c’est, probablement, ce qui va se passer, dans les prochaines semaines, après qu’on aura testé la détermination de la Maison Blanche ainsi que la capacité des amis d’Israël au parlement à infléchir la décision du Président.
Autre dilemme, plus urgent encore, sous-ensemble de la méga-crise avec l’Amérique : Netanyahu a prévu, de longue date, de prendre la parole cette semaine devant les délégués de l’AIPAC (le Comité des Affaires Publiques Américano-Israéliennes) à Washington.
A cette occasion, il avait, bien sûr, l’intention de rencontrer Barack Obama à propos de l’Iran. Un meeting qui paraît sérieusement compromis, à moins que Bibi n’accepte les exigences principales US avant son départ.
Mais l’affront... s’il se trouve à Washington et que le Président refuse de le voir !
A l’opposé, annuler sa venue équivaut à reconnaître l’importance de la crise et participer à son expansion...
Pendant ce temps, Mahmoud Abbas n’a jamais été politiquement plus fort pour affronter Israël en négociation, et Ahmadinejad poursuit la confection de sa bombe, en se riant des Juifs, des Américains et des Européens. Par leur bêtise et leur insouciance, ils n’ont jamais été plus proches de la façon dont il les caricature dans ses discours.