Quelqu’un a-t-il dit "Bérézina" ? (info # 012503/10) [Analyse]
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Le 1er ministre israélien, Benyamin Netanyahu, est tombé, mardi et mercredi, dans un véritable guet-apens diplomatique à Washington.
A qui la faute ? D’un point de vue technique, au premier ministre.
Ce dernier a négligé les règles élémentaires en vigueur en matière de relations internationales. Des usages qui veulent que les différends, de même que les initiatives bilatérales soient discutés à un niveau inférieur. Les chefs d’Etat confirmant, lors de leurs rencontres, le contenu des entretiens préliminaires de façon symbolique.
Dans le cas qui prévaut, M. Netanyahu s’est trouvé au centre de pressions massives de la part de l’administration US et a été contraint de négocier une situation de crise – pratiquement soumis à un ultimatum - en première ligne.
Au plan symbolique, il est ainsi à l’origine d’un sévère camouflet infligé à l’Etat hébreu de par son attitude "téméraire".
Les présidents américains utilisent un protocole consommé afin de signaler publiquement l’importance qu’ils accordent aux hôtes qui les visitent. Les invités de marque sont accueillis à la résidence Blair House. Ceux qui retiennent une attention supérieure de la part du président en exercice sont conviés à partager un week-end avec lui à la base de Camp David.
Dans la quasi-totalité des cas, une déclaration commune, suivie d’une conférence de presse, ponctue les rencontres internationales à la Maison Blanche.
Dans celui des meetings de mardi dernier, les journalistes et les photographes ont été empêchés de couvrir la visite du 1er ministre à l’intérieur de la Maison Blanche, et Bibi Netanyahu a été raccompagné sur le parvis par une assistante subalterne.
Du jamais vu depuis l’entrée en fonction de Barack Obama, il y a un an. Le Président du Conseil israélien a décollé de Washington dans l’indifférence et le dédain général, le porte-parole américain n’attendant pas même son départ pour établir le bilan médiatique négatif de sa visite.
Il importe d’observer que Barack Obama n’a pas été à l’origine du séjour de Netanyahu dans la capitale fédérale. Le but avoué du passage du premier israélien consistait en un discours qu’il devait délivrer lundi à un parterre de représentants d’un lobby pro-israélien.
Suite au scandale provoqué par l’annonce par le ministre de l’Intérieur Eli Yishaï d’un nouveau projet de construction à l’Est de Jérusalem, en pleine visite du Vice-président US Joe Biden, M. Netanyahu aurait été bien inspiré d’annuler son voyage, en attendant que la situation avec les Etats-Unis se clarifie.
On remarquera cependant, à charge pour Barack Obama, que celui-ci avait déjà réservé une réception glaciale à Netanyahu lors de ses précédentes visites, ainsi qu’au président de l’Etat d’Israël, le Prix Nobel de la paix Shimon Pérès. Et que ces visites s’étaient déroulées des mois avant l’incident Yishaï.
Barack Obama n’est pas un ami d’Israël et il fait montre d’une vénération exagérée pour l’islam, on se le tenait pour su.
Raisons supplémentaires qui auraient dû inspirer la prudence au premier ministre et le pousser à suivre les chemins battus en matière de relations internationales.
Faisant fi des usages, Binyamin Netanyahu s’est présenté au Salon Ovale de la Maison Blanche, mardi soir, pensant, à tort, pouvoir centrer son entretien sur la crise de l’atome iranien et sur les demandes de son pays en matière de fournitures militaires.
Il y fut cueilli à froid par un Barack Obama, sorti grandi et en pleine confiance du vote favorable par la Chambre des représentants sur sa proposition d’instauration d’un régime national d’assurance santé.
Le Président américain soumit alors une liste toute prête d’exigences à l’attention de son interlocuteur. Obama lui signifia qu’il désirait que le chef du cabinet israélien lui livrât un engagement signé de sa part, avant son retour à Jérusalem.
La liste en question comprend neuf points qui n’ont pas tous été communiqués à la presse. Le 1er ministre en réserve sans doute la primeur à la cellule de crise de son gouvernement, qu’il rencontrera deux heures seulement après son retour, au milieu de la nuit de jeudi à vendredi.
On sait que ces revendications incluent l’engagement de geler effectivement toutes les implantations, y compris dans la partie orientale de Jérusalem.
Y figurent aussi des mesures concrètes d’assouplissement du siège de Gaza, l’acceptation d’inclure toutes les questions centrales du différend avec l’Autorité Palestinienne dès le stade des négociations indirectes, dites de proximité.
On y trouve également un recensement de "gestes de bonne volonté" en direction de l’AP de Mahmoud Abbas, comprenant notamment la relaxe de terroristes jugés et détenus en Israël ainsi que la levée de barrages routiers en Cisjordanie.
A en croire des sources autorisées s’étant confiées à la Ména, la liste mentionnerait des exigences "revêtant un caractère dégradant" pour l’Etat hébreu, et d’autres, limitant sa marge de manœuvre militaire.
Au cours de l’entretien qui dura quatre-vingt-dix minutes, Binyamin Netanyahu demanda un certain nombre de clarifications de la part de son interlocuteur et s’enquit de la marge de divergence qu’il était disposé à lui concéder.
Au fait de ces précisions, le 1er ministre réclama une pause, qu’il mit à profit pour présenter les conditions du Président à sa délégation qui patientait dans une salle annexe. Le ministre de la Défense, Ehoud Barak, en faisait partie.
A son retour en tête-à-tête avec Obama, Netanyahu révéla à son vis-à-vis qu’il utiliserait la nuit et la journée de mercredi pour étudier avec ses experts les réponses à faire aux demandes qu’il lui avait présentées.
Il posa à Barack Obama la question maîtresse, celle qui allait conditionner la réponse d’Israël, et qui ne figurera, probablement, pas noir sur blanc dans les autres media : "Si nous acceptons de signer un document très proche de celui que vous m’avez soumis, accepterez-vous de rendre public un échéancier d’action concernant l’Iran ?".
Obama rétorqua par la négative, insistant sur le fait que personne ne dictait leur planning aux Etats-Unis. Le Président assura toutefois à son locuteur que les alliés de l’Amérique étaient au courant de sa proposition, et, qu’en cas de réaction constructive de la part d’Israël, ils étaient tous disposés à durcir sensiblement leur position à l’encontre de Téhéran.
Ce qui précède relate, à peu de choses près (nous n’y étions pas), les entretiens dramatiques qui se sont déroulés dans le Salon Ovale.
Durant le restant de la nuit et la journée de mercredi, les conseillers de Netanyahu, Yitzhak Molkho et Ron Dermer, entamèrent d’intenses discussions avec leurs homologues étasuniens, dirigés par George Mitchell, l’envoyé spécial du Président au Moyen-Orient.
Le 1er ministre passa le plus clair de son temps à l’ambassade d’Israël, où il pouvait jouir de la quiétude nécessaire à ses réflexions.
Une dernière tentative de médiation eut lieu à son hôtel, où Mitchell l’avait rejoint. L’émissaire d’Obama tenta, mais en vain, d’enlever un accord "au moins" au sujet de la cessation des constructions à Jérusalem.
Le Président Obama informa téléphoniquement Mme Merkel, Nicolas Sarkozy et Gordon Brown de l’échec de son initiative.
Au moment d’embarquer dans son avion, aux premières lueurs de l’aube washingtonienne, ce jeudi, Bibi Netanyahu a déclaré : "Nous sommes en train de trouver le chemin doré entre notre volonté d’avancer dans le processus de paix, de pair avec les Etats-Unis et maintenir la politique traditionnelle de tous les gouvernements israéliens".
Quelqu’un d’autre que lui distingue-t-il le chemin doré ?
On l’avait déjà compris lors de l’intervention d’Hillary Clinton devant l’AIPAC, lundi : Jérusalem constitue la pierre angulaire du désaccord de principe entre les USA et Israël : pour Washington, Jérusalem est une question intensément importante pour toutes les religions, "les Juifs, les musulmans et les chrétiens". Tandis que, pour la nation d’Israël, et presque tous ses membres, Jérusalem, c’est notre capitale.
Au-delà de cette question, Barack Obama a imposé le lien entre le processus de paix israélo-palestinien et la résolution de la crise iranienne.
Rapport artificiel et sans fondement, n’en déplaise à Hillary et au général Petraeus, qui prennent le risque de propager la fadaise explosive, selon laquelle, la stagnation du processus de paix porterait atteinte aux autres objectifs américains dans le monde, tout en ravitaillant les extrémistes.
Si seulement ils prenaient la peine de simuler une situation virtuelle dans laquelle Israël n’existerait pas, et s’ils cherchaient à savoir si les USA s’en trouveraient renforcés ou affaiblis, les auteurs de cette proto-analyse, à la limite de l’antisémitisme rupestre, réaliseraient l’étendue abyssale de leurs errements.
En dépit de la puissance à sa disposition, l’apprenti sorcier Obama va se retrouver, s’il poursuit dans le cadre de ses visions, avec un Iran superpuissance et avec le conflit proche-oriental toujours sur les bras.
Aura-t-il alors puni ou pénalisé Israël ou, plutôt, précipité, un peu plus, le monde dans un état de menace permanente et d’instabilité ?
Croire que prendre à bras le corps le problème perse c’est faire le jeu d’Israël, procède d’une conception immature de la stratégie planétaire.
La force de l’Amérique est tombée dans de mauvaises mains, mais elle demeure une force colossale. Bibi désirait présenter mercredi à la presse les grandes lignes de son désaccord avec Obama. Rendez-vous étaient pris. Obama a dit : "No, you can’t ! " (Non, vous ne pouvez pas) et toutes les interviews ont été décommandées.
Obama place Netanyahu devant un choix qui vaut immixtion dans la politique intérieure d’un Etat démocratique et allié : les implantations ou l’Amérique !
Car la question qu’on se pose, alors que l’avion de Bibi survole l’océan, est "Israël peut-elle survivre sans l’Amérique ?". Au sein de Tsahal, on est sûr que non. Opinion partagée par un tiers des Likoudniks et tous ceux qui se situent à leur gauche.
Opinion aux contours de vache sacrée du consensus politique israélien, où, porter atteinte aux bonnes relations avec notre allié principal, et quasi unique, constitue un crime de mauvaise gouvernance.
Cependant qu’Eli Yishaï brame, sans attendre le retour du Président du Conseil, sans ne rien entendre à la sécurité de l’Etat hébreu, "qu’Israël ne cessera jamais de construire à Jérusalem".
Israël se retrouve dans ses petits souliers, et va devoir, très rapidement, se poser des questions fondamentales et y apporter des réponses difficiles.
Tout vacille, en vrac et en désordre, en cette fin de semaine : nos relations avec l’Europe et l’ami australien. L’alliance stratégique avec Washington. Le trône de Netanyahu. Sa posture au sein du Likoud. Sa coalition. La cohésion du parti travailliste, qui menace d’imploser si Barak (Ehoud) suit Bibi dans un mano à mano avec Obama. La question de savoir si des formations non sionistes ont leur place dans les gouvernements d’Israël. Quid de l’extrême droite nationale-religieuse ? La détermination de l’establishment sécuritaire d’empêcher l’Iran de construire sa Bombe.
C’est pour cette dernière préoccupation que Netanyahu avait forcé la porte du seigneur de la Maison Blanche, pour ceux qui auraient soudain tendance à l’oublier en franchissant la Bérézina.