David Cohen : Linguiste, spécialiste des langues chamito-sémitiques, né à Tunis
19 mars 2013, 15:59
David Cohen : Linguiste, spécialiste des langues chamito-sémitiques

David Cohen, mort le 9 mars 2013 à Marseille, était un immense linguiste, connu et respecté sur le plan international. Tout en ouvrant de nouvelles perspectives dans sa discipline, il incarnait un dépassement de l'alliance, inaugurée par Saussure et Meillet, du structuralisme et de la sociologie.

S'il est surtout le grand maître des études historiques et comparatives des langues sémitiques et chamito-sémitiques, présentes de la moitié nord de l'Afrique jusqu'au Moyen-Orient, ses travaux ont été sous-tendus par une théorie de " l'exercice du langage et des langues ", qu'il ne s'est autorisé à exposer que dans ses dernières publications. On en retiendra une notion essentielle : les " nécessités de la communication " - qui expliquent mieux la grammaire que toute hypothèse mécaniste sur les capacités de l'esprit - et un domaine privilégié d'application, la morphogenèse, par laquelle s'engendrent et s'enchaînent les niveaux de la stylistique, de la syntaxe, de la morphologie et du lexique.

Après une période au CNRS, il fut directeur d'études (hébreu, araméen et sémitique comparé) à la IVe section de l'Ecole pratique des hautes études (EPHE) et titulaire de la chaire de linguistique sémitique à l'université Paris-III. Cette trajectoire était peu probable. Né à Tunis en 1922, David Cohen, enfant, connaît parfois la misère. Sa brillante intelligence, sa curiosité et sa déjà vaste culture, souvent acquise à l'étal des libraires, lui ouvrent, avec l'aide de maîtres clairvoyants, les études secondaires. Le statut des juifs de 1940 l'empêche d'aller plus loin : il est interné dans un camp de travail obligatoire de la Tunisie occupée.

Journaliste à Alger

Libéré, il commence, en 1943, à Alger, une nouvelle vie, politiquement engagée, journaliste pour la presse communiste et plongé dans une effervescence littéraire et intellectuelle où ses amis s'appellent Kateb Yacine (écrivain), Jean Amrouche (poète et journaliste), Henri Alleg (directeur d'Alger républicain)...

Marié et père, il traverse la Méditerranée, devient correspondant à Paris, puis libraire. Sa vie s'oriente définitivement lorsqu'il rencontre le grand linguiste Marcel Cohen, dont il sera le disciple, l'ami proche et le successeur. Grâce à lui, il entre au CNRS en 1955. Entre désarroi et désillusion, mais sans reniement, le militant s'efface peu à peu devant le savant, dévoué à l'étude et à un travail forcené. La densité et la maturité de ses premiers travaux étonnent. Il met en chantier son monumental Dictionnaire des racines sémitiques (dix volumes). En 1963 et 1964 paraissent ses monographies, difficiles à égaler, sur les parlers arabes de Mauritanie et des juifs de Tunis.

En 1963 commencent, sous l'égide de Régis Blachère, autre rencontre déterminante, ses quarante ans d'enseignement à l'EPHE, matrice des grands livres à venir, dont La Phrase nominale et l'évolution du système verbal en sémitique (1984), étude reconnue fondatrice, ou L'Aspect verbal (1989), plus général et théorique mais enrichi de monographies fouillées. C'est évidemment à David Cohen que le CNRS confie le volume des Langues dans le monde ancien et moderne consacré au domaine chamito-sémitique, dont il rédige les deux tiers. Autant d'ouvrages majeurs qui ne doivent pas faire oublier ses contributions à d'autres domaines - sociolinguistique, pathologie du langage, poétique -, ni sa refondation de la dialectologie arabe.

Enseignant enthousiaste, persuasif (mais tout sauf bateleur), il a su convaincre de nombreux étudiants arabophones qu'un dialecte arabe est un objet d'étude légitime, comme l'est par ailleurs le texte coranique (ou tout autre texte sacré). Doté d'un goût profond pour la discussion et le partage, il savait apaiser les désaccords de départements universitaires affectés par le conflit au Proche-Orient. Rien ne lui était plus étranger qu'une hiérarchie instituée entre les êtres. Tous ceux qu'il a encouragés et souvent révélés à eux-mêmes s'en souviennent. Il accordait a priori estime, respect et confiance. Ainsi n'a-t-il jamais imposé un sujet de thèse ou de mémoire.

Sa disparition laisse un grand vide : il était le seul en France à maîtriser totalement le champ immense des langues chamito-sémitiques et à jouir d'une telle audience internationale. Dans un paysage où les signes de sa présence ne s'effaceront pas, il laisse ouvertes d'innombrables directions de recherche.

Jérôme Lentin, professeur émérite à l'Inalco et Antoine Lonnet, chargé de recherches au CNRS


24 juillet 1922
Naissance à Tunis

1955
Entre au CNRS

1984
Publie " La Phrase nominale et l'Evolution du système verbal en sémitique "

9 mars 2013
Mort à Marseille

© Le Monde 20 mars 2013
Re: David Cohen : Linguiste, spécialiste des langues chamito-sémitiques, né à Tunis
20 mars 2013, 08:49
A l'occasion du quatre-vingtième anniversaire du professeur David Cohen, ses anciens étudiants, collègues et amis ont édité en son honneur un livre de près de 750 pages rassemblant les contributions de chacun d'eux, soixante-dix au total. Ce livre "Mélanges" a paru en 2003 aux éditions Maisonneuve & Larose.

C'est dans ce livre que Claude Hagège a écrit "Le multilinguisme dans la sphère judéo-tunisienne" publié dans HARISSA [harissa.com].


Pièces jointes:
Hagege-Tunisie-langues-D-Cohen.jpg
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