Né à Kaunas, en Lituanie, le 30 décembre 1905 et mort à Clichy, le 25 décembre 1995, Emmanuel Levinas est, à juste titre, considéré comme l’un des philosophes français contemporains les plus prestigieux. Son œuvre littéraire influencée notamment par Kierkegaard, Husserl, Heidegger, Bergson et le mystérieux Chouchani, est particulièrement riche et sa carrière a été, pour le moins, très diversifiée. Il sera le directeur de l’ENIO, École Normale Israélite Orientale. C’est là, dans le quartier parisien d’Auteuil, qu’il sera amené, pendant plusieurs années, à donner, tous les samedis, un cours très prisé par un public juif et non-juif. 

Dans le public : Victor Malka et sa sœur, Simon H., Barbara, la jolie rouquine, Blanche, enseignante à l’université d’Amiens, Rafaël, qui, pour renouer avec le judaïsme, se fera circoncire, Robert, figure connue du cinéma français, Nicolas, normalien, philosophe et germaniste, Elias H., qui fut directeur de l’Alliance Israélite Universelle au Maroc, un prêtre dominicain, Albert Simon, le « Monsieur Météo » de l’époque, Simon Nora, la fille Canetti. L’exposé du maître porte le matin, sur Rachi, l’exégète vigneron champenois avec des commentaires sur la péricope du jour et paracha de la semaine et l’après-midi, sur la littérature : Tolstoï, Dostoïevski, Proust, Agnon…

Salomon Malka, écrivain et journaliste, qui eut la chance de suivre cet enseignement et même de s’entretenir avec le Maître, nous propose, sous forme d’éphémérides dont il omet volontairement l’année, de nous offrir un journal de ces heures passionnantes passées avec Levinas. Au fil des semaines, tout le texte biblique est examiné à la loupe, commenté et décortiqué. Voici Jacob s’installant sur la terre de son père, en Canaan, Moïse, qui rend une eau potable en y jetant un bâton de bois selon une indication divine, la mort de Moïse et celle de Sarah, Ketoura alias Agar, les tumeurs lépreuses, les tentes d’assignation, « Panim », le visage en hébreu, l’obligation faite au moissonneur de laisser un carré à la disposition des indigents, Joab, le roi David et le recensement fautif, l’Arche d’Alliance, Caïn et Abel, la sortie d’Égypte, Sodome et Gomorrhe, Myriam, les explorateurs, les deux prostituées et le bébé contesté, Shifra et Poua qui désobéirent aux ordres meurtriers du Pharaon, les songes de Pharaon, la traversé de la mer des Joncs…L’ouvrage s’achève sur des « Chroniques obliques » où sont évoqués les parcours de grands amoureux de la Bible : Erri de Luca, Victor Hugo, Jean d’Ormesson, Georges Brassens, Méir Shalev, Robert Hossein, le Maître lui-même, « Monsieur le directeur », l’éducateur, le philosophe, Barouch Benito Garson, l’éclaireur totémisé Lama. De merveilleuses bulles de souvenirs de souvenirs.

Un ouvrage tout simplement remarquable. À découvrir !

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions du Cerf, septembre 2024, 208 pages, 24 €.