À la synagogue de la Ghriba en Tunisie, la fête sans l’effervescence
Moins d’un millier de pèlerins ont célébré la fête de Lag Ba Omer mercredi 9 et jeudi 10 mai, dans la synagogue de la Ghriba, sur l’île de Djerba, au sud de la Tunisie
La sécurité était renforcée suite à des menaces émanant d’extrémistes islamistes
Les pèlerins ont paré la menorah (le chandelier à sept branches) de fleurs et de tissus lumineux, avant de la monter sur un chariot. Mais la procession s’est arrêtée au portail d’entrée de la synagogue de la Ghriba. Cette année, la sécurité a eu raison de la marche vers les autres lieux de culte de l’île tunisienne de Djerba. Les fidèles sont restés dans le champ de vision des militaires en armes et des policiers qui montaient la garde sur les miradors entourant la plus vieille synagogue d’Afrique.
« C’est quand même la fête, assure Perez Trabelsi, président de la communauté juive de Djerba et du comité d’organisation du pèlerinage. Mais on regrette l’effervescence habituelle ». La Ghriba – l’« étrange » ou la « merveilleuse » en arabe – attire généralement plusieurs milliers de personnes à l’occasion de Lag Ba Omer, une fête célébrée chaque année au 33e jour de la Pâque juive pour commémorer le décès du rabbin Shimon Bar Yochaï.
Mercredi 9 et jeudi 10 mai, pas plus de 800 pèlerins sont venus y chercher la bénédiction des rabbins et déposer des œufs dans la grotte qu’elle abrite. Selon la légende, leurs vœux seront exaucés dans l’année.
Ici, les symboles juifs remplacent les mains de Fatma
Plus d’un an après la révolution, la montée en puissance des islamistes radicaux en Tunisie a découragé les pèlerins étrangers. Le 3 mai, le Conseil israélien de sécurité nationale leur avait d’ailleurs « déconseillé fortement » de se rendre sur l’île.
Une prudence suscitée par les slogans antisémites scandés en janvier dernier par des extrémistes lors d’une visite du chef du gouvernement palestinien du Hamas, Ismaïl Haniyeh. Et répétés en février, pendant la tournée d’un prédicateur radical égyptien, et encore le 25 mars lors d’une manifestation d’islamistes réclamant la référence à la charia (loi islamique) dans la future Constitution.
« Nous avons été choqués par ces slogans qui n’ont aucun sens », dit Ouzifa Trabelsi, 58 ans. Pour ce natif de Djerba, qui vit en France depuis 25 ans, venir ici était « un acte de résistance face à ceux qui portent la haine au fond d’eux ». Dans le quartier d’Hara Kebira, qui abrite 800 des 1 000 juifs de Djerba, ces slogans ont suscité l’étonnement, plus que l’inquiétude. « La mentalité tunisienne est toute en tolérance », explique Simon Saghroun, un médecin de cinquante ans. Depuis vingt-six ans, la porte de son cabinet reste entrouverte, en signe de bienvenue « aux juifs et aux musulmans ».
Ici, les symboles juifs remplacent les mains de Fatma et les enseignes des échoppes sont écrites en hébreu. Récemment, pourtant, des familles juives ont retiré leurs enfants de l’école publique pour les inscrire à l’école talmudique. Les habitants avouent à demi-mot que quelques incidents « sans gravité » ont eu lieu, et que les forces de l’ordre ont longtemps été absentes après la révolution.
Les récentes mains tendues des autorités ont soulagé les Tunisiens juifs
« Nous sommes juifs, nous vivons à Djerba, on s’attend à tout », explique une mère de famille, qui refuse de donner son nom. « Les juifs n’ont jamais fait parler d’eux, confirme Ouzifa Trabelsi. Ils ne font pas de politique, ils ne menacent en rien l’identité tunisienne. » La Tunisie ne compte plus que 1500 juifs, contre 100 000 lors de l‘indépendance en 1956, la plupart ayant émigré vers la France ou Israël.
Simon Saghroun veut croire que les appels à la haine sont des « incidents isolés ». Une conviction renforcée au cours du pèlerinage par la présence de plusieurs musulmans, comme Ferihane Boussoffara, 44 ans, venue de Tunis dire sa « solidarité aux juifs tunisiens », ou sa cousine Mouna Najar, qui a même accompli le rituel de l’œuf.
Les récentes mains tendues des autorités ont aussi soulagé les Tunisiens juifs. Le président Moncef Marzouki a commémoré à Djerba le dixième anniversaire de l’attentat contre la synagogue qui avait fait 21 morts le 11 avril 2002. Lors du congrès de l’organisation mondiale du tourisme à Djerba mi-avril, le premier ministre Hamadi Jebali, du parti islamiste Ennahda, avait quant à lui encouragé le pèlerinage, s’engageant à assurer sa sécurité. Jeudi, les pèlerins ont écouté le ministre du tourisme, qui avait fait le déplacement. « Un message d’apaisement », s’est félicité Perez Trabelsi.
Camille Le Tallec, à Djerba (Tunisie)
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