Les heures sombres du sport européen au Mémorial de la Shoah
Une exposition au Mémorial de la Shoah, à Paris, retrace les années sombres du sport entre 1936 et 1948.
Le nageur français juif Alfred Nakache survivra à la déportation. L’exposition, très pédagogique, s’arrête longuement sur son histoire.
Jeux olympiques de Berlin, dieux du stade mussoliniens, athlètes déportés dans les camps : la tragédie de la guerre se lit aussi dans le miroir du sport.
De la relation entre le nazisme et le sport, on ne retient généralement que les Jeux de Berlin, organisés en 1936 à la gloire d’Adolf Hitler et du IIIe Reich. Les photos de l’athlète noir Jesse Owens, censé représenter à lui tout seul la résistance à la montée du nazisme, sont dans tous les livres d’histoire. Mais la captation de l’idéal sportif par les régimes totalitaires des années 1930 dépasse largement ces Jeux olympiques, que les démocraties occidentales, après maintes hésitations, avaient finalement renoncé à boycotter.
« Né à la fin du XIXe siècle, le sport moderne a constitué une proie facile pour les régimes autoritaires et totalitaires. Le monde du sport, comme d’autres secteurs de la société, souffre d’une formidable amnésie vis-à-vis de cette période », souligne l’historien Patrick Clastres, commissaire de l’exposition organisée jusqu’au 16 mars par le Mémorial de la Shoah à Paris et chargé de l’enseignement du sport au Centre d’histoire de Sciences-Po.
Oubliées les centaines de rencontres sportives italiennes, placées à partir de l’arrivée de Mussolini au pouvoir en 1922, sous la devise fasciste : « Croire, obéir, combattre ». Négligées, les compétitions internationales des années 1930 – dont deux coupes du monde de football – où les athlètes juifs sont exclus des équipes allemandes, sans que cela n’émeuve les autorités du sport. Gommée la tendance antidémocratique et parfois antisémite du Comité international olympique (CIO), largement composé de Français dans ces années-là. Plus tard, la politique sportive du régime du Vichy épousera d’ailleurs avec une grande facilité les directives de l’occupant dans les stades.
De l’arrestation à la déportation
Mais le plus tragique reste le sort réservé aux athlètes juifs, d’abord arrêtés dans leur carrière sportive, avant d’être déportés dans les camps d’extermination. Dans un souci de pédagogie à destination des plus jeunes, le parcours de l’exposition s’arrête longuement sur ces destins brisés : l’équipe hollandaise de gymnastique gazée avec maris et enfants à Auschwitz, le boxeur Victor Young, l’athlète Lilli Henoch…
Sans oublier quelques sportifs non juifs, ayant refusé l’allégeance au régime nazi, et qui l’ont payé de leur vie : le footballeur autrichien Mathias Sindelar ou le cycliste Albert Richter, tous deux mystérieusement « accidentés » à l’aube de la guerre.
La scénographie s’arrête longuement sur le sort du nageur français juif, Alfred Nakache, symbole de cette période. D’abord chouchou du régime de Vichy avant d’être envoyé à Auschwitz. Contraint de nager dans la piscine du camp pour distraire les gardiens, il survivra à la déportation et figurera dans l’équipe de France olympique des Jeux de Londres de 1948, qui mirent un point final à cette histoire tragique.
L’exposition « Le sport européen à l’épreuve du nazisme » (entrée gratuite) est complétée par un colloque qui se tiendra les 13 et 14 novembre, et propose jusqu’au 16 mars une série de rencontres et de projections de films. Des visites guidées sont régulièrement organisées.
17, rue Geoffroy-l’Asnier, 75004 Paris. Rens. : 01.42.77.44.72
JEAN-FRANCOIS FOURNEL
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