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Tunisie. Comment battre Ennahdha dans les prochaines élections?

 

Tunisie. Comment battre Ennahdha dans les prochaines élections?

 

 

 

 

Malgré le bilan assez mitigé du gouvernement qu’il domine, le parti de Rached Ghannouchi voit s’ouvrir devant lui la perspective d’un nouveau succès électoral. Que peut faire l’opposition pour prévenir un nouvel échec annoncé?

Par Mongi Karrit*

 

Les sondages d’opinion successifs publiés par le journal Le Maghreb nous montrent, entre autres, que la «troïka» (la coalition tripartite au pouvoir dominée par Ennahdha, Ndlr) malgré les mauvais résultats qu’elle a enregistrés au cours des derniers mois, est toujours soutenue par une grande partie du peuple. Ce soutien se maintiendrait probablement durant les prochains mois. Les leaders d’Ennahdha en sont convaincus et cette conviction se manifeste dans les déclarations du conseiller politique du gouvernement (Lotfi Zitoun, Ndlr) et du chef du groupe parlementaire du parti islamiste tunisien (Sahbi Âtig).

Voter pour les candidats qui craignent Dieu

Ennahdha cherche à gouverner et pour très longtemps. Il suffit d’écouter ses programmes d’avenir et de compter les moyens humains et logistiques dont il dispose à travers tout le pays. Dans chaque délégation, Ennahdha a érigé une représentation, soit près de 260 délégations. C’est un vrai arsenal bien équipé et outillé.

Ce fort soutien inconditionnel accordé par une partie du peuple à Ennahdha durant la période des élections de l’Assemblée nationale constituante (Anc) se base essentiellement sur une compassion avec des citoyens qui, pour protéger et préserver l’islam d’un gouvernement moderniste autoritaire, ont sévi en prison pendant des années. On nous présente un chiffre de 20 à 30.000 victimes et prisonniers. Cette partie du peuple a voté pour Ennahdha. Elle a choisi les élus qui sont croyants, pieux, intègres et pratiquants. Il s’agissait pour eux d’éliminer, pour toujours, les bandits, les voleurs, les corrompus, les mécréants, les soulards, les homosexuels, etc. L’imam de la mosquée du Roi Abdelaziz à El Manar n’a-t-il pas fortement recommandé, dans son prêche du vendredi, de voter pour les candidats qui craignent Dieu.

Ce genre de matraquage idéologique et d’influence n’a-t-il pas été généralisé à des centaines de mosquées nouvellement occupées par les imams nahdhaouis ou salafistes?

Le message adressé au peuple avant les élections était le suivant: Ennahdha est le parti des musulmans. Les autres concurrents sont des mécréants qui constituent un danger pour le pays et l’islam. Peu de gens changeront d’opinion vis-à-vis d’Ennahdha. Pour eux, ce parti est l’unique garant de la protection de la religion du pays. La chariâ islamique sera l’unique ou le principal fondement des divers textes législatifs organisant la vie dans la société. La démocratie sera mise en œuvre dans le respect de l’islam puisque les concepts de laïcité et de sécularisation ont été longuement expliqués à tort et sans discernement.

Ces gens croient que les maisons closes seront ultérieurement fermées à jamais et que les bars subiront le même sort. Le code du statut personnel sera amendé en faveur de la polygamie. La femme sera désormais un objet au service du mâle contrainte à le servir, le satisfaire et éduquer sa progéniture. Elle devra se couvrir à la manière saoudienne. La femme musulmane n’aura plus le droit de se maquiller, suivre la mode, mettre des habits osés, voyager seule, etc.

Les touristes occidentales seront appelées à s’habiller en hijab, comme c’est le cas en Arabie Saoudite, et n’auront le droit de bronzer à moitié nues sur les plages communes. Ce changement sera assuré par l’Association pour la répression du vice et la société préservera sa religion et son conservatisme face aux mutations sociétales qui s’opèrent en Occident.

Apprentissage de la démocratie et égocentrisme des leaders

Les mêmes sondages d’opinion nous montrent que les partis d’opposition peinent à gagner en notoriété et en soutien populaire. Leur multitude ne joue point en leur faveur. Ils sont nombreux, se disent appartenir au centre et au centre-gauche: notions toujours confuses auprès du commun des mortels. Des fusions s’opèrent et des partis s’éclatent. Des initiatives sont lancées pour sauvegarder l’alternance des pouvoirs mais contrées par crainte de la réémergence d’un Rcd fort et/ou la dissolution dans un grand parti présidé par un chef charismatique. L’un des défis qui croisent leurs chemins c’est l’apprentissage de la démocratie et l’égocentrisme de leur leadership.

Ces partis d’opposition se battent sur plus d’un front. Leurs efforts sont éparpillés et n’atteignent pas toujours les objectifs. Leurs champs d’intervention sont très limités puisque leurs meetings sont presque toujours contrés par les milices nahdhaouies et salafistes: ces réunions sont vite interrompues et se font de plus en plus rares faute de protection de la part de la police.

Sur un autre plan, ces partis se contentent de faire de l’opposition. On critique le gouvernement, l’Anc et la présidence provisoire; on avertit ceux qui veulent bien entendre; on informe les mass-médias; on manifeste contre la violence et pour la liberté de manifestation et d’information, on attire l’attention sur la violence des salafistes, etc. Malheureusement, la mobilisation de leurs supporters n’est pas suffisante. Si quelques mobilisations ont pu avoir un quelconque impact dans le pays, telles que la manifestation du 20 mars, c’est grâce à l’éveil de la société civile. En plus, ils ne donnent pas d’image crédible aux yeux des Tunisiens. Ils sont constamment attaqués pour absence de programme politique, économique et social alternatif. Leurs critiques du gouvernement actuel ne trouvent pas d’échos auprès d’une partie de l’opinion publique puisqu’ils admettent eux aussi leur incapacité de résoudre tous les problèmes, en particulier le développement régional et l’emploi.

Quelques suggestions pour préparer l’alternance

Cette opposition arrivera-t-elle à obtenir la majorité au sein de l’Anc dans les prochaines élections et renverser le gouvernement actuel? Arrivera-t-elle à se fédérer en un bloc fort et capable de faire le poids et assurer un équilibre politique? Le peuple choisira-t-il des députés d’autres partis? Comment redonner de la confiance aux 5 millions de Tunisiens qui n’ont pas voté pour Ennahdha et les pousser à soutenir les partis démocratiques modernistes?

Pour garantir le maximum de chances de réussite dans les prochaines élections l’opposition devrait:

Premièrement: annoncer haut et fort le caractère et les valeurs islamiques de la Tunisie. L’islam ne sera plus la chasse-gardée d’Ennahdha. L’islam est la religion du peuple tunisien. L’électeur ne doit plus craindre la mécréance et la modernité de l’opposition. Les sujets qui fâchent et font fuir doivent être évités: les droits des homosexuels, l’adoption des enfants, l’égalité entre les sexes en matière d’héritage, la laïcité, etc. Les leaders devraient s’afficher dans les prières du vendredi pour lancer des signes forts de piété, de religiosité et d’intégrité. Ils devraient apprendre de certains ministres nahdhaouis qui ne cessent de matraquer la toile du Facebook avec des photos où ils mènent, en tant qu’imams, des prières dans leurs bureaux.

On a souvent répété, depuis le 23 octobre 2011, que le peuple tunisien est intelligent et sait discerner. Etant donné que ce peuple ne comprend grand-chose à la politique et qu’il est très attaché à sa religion, autant œuvrer dans ce sens pour le rassurer et arracher son soutien électoral.

Deuxièmement: beaucoup de partis devraient disparaître pour ne pas aboutir aux résultats catastrophiques du 23 octobre 2011. Ils doivent tirer des enseignements de ces résultats. Ils sont multiples et ont les mêmes idées: c’est de la pure redondance politique. Certaines idéologies ne sont plus d’actualité et leur existence doit être mise en question. Les partis issus du Rcd et du Psd devraient se purifier, faire leur mea culpa, fusionner et laisser de côté les égos. Tous ces partis devraient préparer un programme économique et social clair, réaliste, approuvé par les bases et conforme aux attentes du peuple.

Troisièmement: les partis démocrates de l’opposition devraient opérer dans un vrai cadre de démocratie favorisant la fusion et la force. Il leur incombe aussi de préparer un programme clair et communément admis. Cette opposition gagnerait en notoriété et en image de marque en évitant de faire des promesses qui ne seraient jamais tenues.

Le peuple Tunisien est intelligent et a une mémoire d’éléphant: il suffit de voir les troubles causés ces jours-ci en raison des promesses non tenues d’emploi de développement régional par Ennahdha.

Quatrièmement: la campagne électorale devrait se faire à l’intérieur du pays là où Ennahdha et ses supporters sont déjà implantés. Il s’agit des quartiers pauvres et des zones rurales. Les discours devraient être très simples et compréhensibles par le commun des mortels: des termes comme modernité, alternance, démocratie, liberté, transition démocratique, Destour, ne veulent rien dire pour un analphabète ou un père de famille nombreuse qui peine à joindre les deux bouts du mois ou qui a des enfants sans emploi. La campagne devrait se faire dans le respect des électeurs potentiels: modestie, proximité, tenue vestimentaire respectable, etc.

Les responsables des partis de l’opposition gagneraient en capacité de conviction en apprenant et maîtrisant les techniques de communication, domaine où les nahdhaouis excellent déjà et nous livrent un discours littéraire riche, évasif, logique, tantôt offensif, tantôt défensif, émouvant, toujours précédé par des versets du Saint Coran ou des louanges à Allah le Tout Puissant.

On a proposé dans cet article quelques suggestions dont pourraient s’inspirer les partis de l’opposition dans leurs stratégies à l’avenir. Il n’y aura pas de démocratie sans alternance. Un parti majoritaire dominant, qu’il soit démocratique ou de référence islamique, risque de déraper en l’absence d’une forte opposition. Il peut même disparaître en raison d’un pouvoir absolu et d’une absence de forces rivales. L’alternance est vivement souhaitée et il incombe aux partis de l’opposition de la garantir et la réussir.

* - Citoyen.  

 

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