Le marieur
Alphonse Lévy :"Il veut, elle ne veut pas" (détail) - voir l'image entière
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Un tel rôle critique est également dévolu au marieur (Chadchen) qui dans les Mochelich fait la satire de l'institution du mariage. Celle-ci apparaît comme un marché où la jeune fille est décomposée en qualités qui lui confèrent une valeur proportionnelle à leur nombre. Les qualités les plus appréciées sont d'abord la richesse et le statut social du père ("On se renseignait avant, et quand c'était la fille du Barness, c'était un grand honneur"), la beauté physique, les qualités morales et enfin l'intelligence. Dans ces histoires où le mariage est un commerce, la jeune fille est réduite au statut d'objet à "placer". Les parents jouent le rôle de vendeurs, toujours très prompts d'ailleurs à se débarrasser de leur marchandise. Le jeune homme apparaît comme un acheteur méfiant qui s'interroge sur la valeur réelle de l'objet qu'il va acquérir. Le marieur est l'intermédiaire entre les vendeurs et l'acheteur. Il semble être un très mauvais commerçant, car, au lieu de vanter les qualités de la jeune fille, il révèle ses défauts. Dans certaines histoires, il décrit les carences de la jeune fille, en quelque sorte inconsciemment, comme s'il ne s'était pas contrôlé, au mépris de sa fonction et de ses intentions.
"Un prétendant se plaint au marieur parce que la jeune fille qu'il lui a présentée ne lui plaît pas. Il lui dit à l'oreille, doucement car la jeune fille était présente : "Elle est vieille, laide et elle louche". - "Vous pouvez parler à haute voix" lui dit le marieur, elle est également sourde."
"Un Chadchen va dans une famille qui a un jeune homme à marier. Il amène son copain et dit à la famille : "Ecoutez, j'ai une belle fille pour votre fils. Son copain ajoute : "Et quelle belle fille !". Il dit : "Elle a des cheveux magnifiques". Le copain ajoute : "Et quels beaux cheveux !". Il dit: « Elle a de beaux yeux bleus". Le copain ajoute : "Et quels beaux yeux bleus !". Il dit : "Seulement, il y a une chose, elle a une bosse ". Le copain ajoute : "Et quelle bosse !".
"Un prétendant va avec un marieur rendre visite à une jeune fille. Le Chadchen vante la richesse des parents et lui montre un très bel objet d'art. Le jeune homme dit : "Peut-être que les parents ont emprunté cet objet pour m'impressionner". Et le marieur de répondre : "Qui prêterait quelque chose à ces gens-là ?".
Le marieur, en laissant échapper inopinément la vérité, pourrait faire figure d'étourdi. Mais il apparaît en fait plutôt comme un personnage d'une intelligence supérieure. Son lapsus n'est pas un accident, mais un procédé de révélation. La quasi automaticité avec laquelle le marieur tient ses propos leur confère en effet un caractère comique, et sous ce voile c'est l'institution du mariage qu'il met en cause : les parents prêts à toutes les bassesses pour procurer un mari à leurs filles, le jeune homme qui se couvre de ridicule en comptabilisant les qua1ités et les défauts de la jeune fille.
Un autre procédé de révélation utilisé par le marieur est le raisonnement sophistiqué, dont la façade apparemment logique présente in plaidoyer en faveur de la jeune fille ; cependant, ce vernis comique, qui repose en fait sur une faute de raisonnement, voile tout en laissant transparaître d'acerbes critiques à l'égard de la fiancée.
"Un jeune homme doit se fiancer avec une jeune fille de Grüsse. L'affaire a été arrangée de belle main par le Chadchen. Cependant, les parents du Hosen (fiancé) ont appris indirectement que la Kalle (fiancée) a une fort mauvaise réputation. Aussi, quand le Chadchen arrive dans la famille du fiancé, le père de ce dernier lui dit : "Vous vous êtes moqué de nous, j'ai appris que la jeune fille n'est pas du tout convenable, et que tous les jeunes gens de Grüsse ont déjà eu des relations avec elle". A quoi le Chadchen répond : "Et alors? Grüsse n'est pas si grand."