Annapolis : vers quoi nous dirigerons-nous ensuite ? (info # 012011/7) [Analyse]
Par Sami El Soudi © Metula News Agency
Rencontre impromptue, prévue aujourd’hui, à Sharm el Cheikh, entre le Président Moubarak et le 1er ministre Olmert.
But principal du meeting : obtenir l’aide du raïs égyptien dans la formulation d’un document commun, israélo-palestinien, en vue de la conférence d’Annapolis, qui devrait se tenir la semaine prochaine. Il faut dire que les équipes de négociateurs, sous la conduite respective de Ahmad Qreï, notre ancien 1er ministre, et de Madame Tsipy Livny, la ministre israélienne des Affaires Etrangères, négocient à pleine vapeur.
Une négociation en dents de scie, durant laquelle, chaque fois qu’on trouve un compromis sur une pierre d’achoppement – après des jours de discussions –, on ouvre deux autres boîtes de Pandore.
En ce début de semaine, deux objets anguleux sont posés sur la table de travail : la définition du gel des implantations et celle de la judéité de l’Etat d’Israël.
Concernant le premier sujet, nous avons reçu le précieux renfort de Bernard Kouchner, de passage il y a peu dans la région. Le ministre de Nicolas Sarkozy a ainsi souligné devant ses hôtes la priorité absolue, à ses yeux, de mettre un terme à l’expansion des implantations (Kouchner a parlé indûment de colonies. Ndlr) juives en Cisjordanie. Il est également question de la destruction des "avant-postes" sauvages, édifiés par les habitants des points de peuplement existants afin d’établir des faits accomplis sur le terrain.
L’avis de Qreï et d’Erekat sur la question, c’est qu’il ne saurait y avoir de pseudo gel, et qu’il est impossible d’entrer en phase de négociation décisive si le problème n’est pas résolu. Celui de Mme Livny et d’Ehoud Olmert est qu’il faudrait accepter un principe d’agrandissement naturel pour les anciennes implantations autorisées par le gouvernement siégeant à Jérusalem.
A noter, qu’avec cette déclaration, la France gagne sa place de partenaire de négociation privilégié entre les deux camps. Jusqu’à présent, Paris n’avait évoqué que l’aspect "non négociable" de la sécurité d’Israël. Cela la disqualifiait, aux yeux de la présidence de l’Autorité, en tant que médiateur équilibré ; avec l’affirmation ferme de la nécessité de geler les implantations, la France a démontré qu’elle n’était pas uniquement l’alliée d’Israël.
A la clé – non dite -, du désaccord, le découpage définitif de la frontière, à l’avenir, et les "blocs de peuplement" qu’Israël exigera de conserver dans le territoire actuel de l’Autorité Palestinienne. Le pays étant très petit, on s’achemine vers une âpre tractation, au final, pour chaque arpent de terre. C’est pour cela que les négociateurs hébreux insistent aussi lourdement sur l’idée du développement naturel des agglomérations construites sur notre territoire, qu’ils aimeraient ériger en principe.
On verrait les Israéliens exiger, pour chaque agglomération située dans ces blocs, qu’on lui ajoute, lors de la définition du tracé définitif, un espace réservé à son "accroissement naturel". Le sujet est effectivement d’importance, il conditionnera le fait de savoir si l’Etat palestinien à venir verrait le jour sur 92 ou sur 98% du territoire gagné par Israël sur la Jordanie durant la Guerre des Six Jours.
Quant à savoir si Israël est un Etat juif, on peut simplement déplorer que les négociateurs se penchent sur cette question à ce stade des pourparlers. En effet, si nous acceptions dès maintenant – avant Annapolis – de considérer Israël comme un Etat juif, cela signifierait que nos frères, qui sont, pour la plupart, arrivés sur ce territoire avant les sionistes, se verraient confinés au statut de visiteurs ou, que sais-je, moi, de touristes.
Partant, un grand nombre d’Israéliens élargiraient naturellement ce concept à l’ensemble des territoires sujets de la dispute. Ainsi, même en Cisjordanie, nous serions des invités vivant sur un sol juif, ce qui, au moment crucial de négocier notre avenir national, nous imposerait un handicap supplémentaire que nous ne saurions accepter.
Ce que j’écris ci avant ne signifie pas que nos négociateurs nient le lien – du moins pas à ma connaissance – entre ce pays et le fait qu’il a constitué le berceau principal du développement du judaïsme. Non, ce qu’ils affirment – un peu maladroitement, je peux le concevoir -, c’est que nous possédons également des droits, notamment démographiques, sur le même pays : c’est exactement l’expression de la double légitimité. Dans ce cas, la formulation adéquate, consiste à dire que les deux peuples possèdent des droits sur l’ensemble du territoire, mais, dans un compromis visant à mettre fin à la dispute, leurs représentants se sont entendus pour découper la terre en deux entités étatiques, indépendantes et distinctes.
Dès lors, on pourra dire qu’Israël – d’après le partage – est un Etat juif, et que l’Etat de Palestine est arabe. L’essentiel sera justement d’obtenir, dans l’accord de paix, le renoncement politique mutuel et définitif de chacune des deux nations pour la partie de SON territoire qu’elle aura cédée à l’autre.
Quant à l’aspect historique des choses, il me semble que jamais un Palestinien sensé n’acceptera d’affirmer que le passé de Jaffa ou de Haïfa est étranger à son peuple, ni qu’un Juif acceptera de dire que Jéricho ou Hébron ne fait pas partie de son héritage. Tant que l’élément historique sera clairement subordonné à la décision politique de faire la paix, et tant que le traité enjoindra les signataires à reconnaître l’inaltérabilité de cette subordination, cela ne devrait pas poser de problème incontournable.
Le problème consiste à exiger de nous MAINTENANT que nous reconnaissions la judéité d’Israël, alors qu’Israël est un Etat existant et que nous négocions avec lui la création du nôtre.
En marge des négociations en cours et à la veille d’Annapolis, Jérusalem s’apprête à libérer un peu plus de 400 détenus palestiniens. Pour tenter d’empêcher cette libération, ou pour saboter les efforts louables consentis par les négociateurs pour faire avancer la paix, des membres des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa on abattu cette nuit un habitant de l’implantation de Shavei Shomron, en Cisjordanie. Il s’agit de membres dissidents de cette organisation terroriste créée par Yasser Arafat, la plupart ayant déposé les armes lors d’un accord avec Tsahal.
De Gaza, durant la même nuit de lundi à mardi et aux mêmes motifs, les islamistes ont tiré, sans faire de victimes, 5 Qassam et 18 obus de mortier sur le territoire israélien. En parallèle, ils ont tenté de lancer une opération commando à proximité de la barrière de sécurité entourant Gaza : 4 miliciens ont été abattus par les soldats israéliens, et un cinquième est parvenu à prendre la fuite.
D’autre part, Abou Mazen a déclaré, il y a de cela quelques jours, la guerre au Hamas, en nous invitant, pour la première fois, à "faire chuter", le califat qu’il a établi à Gaza.
On doit ajouter que la situation économique s’aggrave de jour en jour dans la bande mais que les islamistes persistent, comme on vient de le constater, à lancer des Qassam sur les régions israéliennes limitrophes. En fait, grâce à l’œuvre de l’UNWRA (l’Agence des Nations Unies pour le secours et le travail des réfugiés de Palestine au Proche-Orient), les Gazatis ne mourront pas de faim. En revanche, ils voient leurs conditions d’existence se détériorer rapidement.
La semaine dernière, dans le but d’affirmer sa présence à Gaza, le Fatah avait organisé une manifestation monstre – de 200 à 250 000 participants – pour commémorer la mémoire de Yasser Arafat et les miliciens du Hamas avaient tiré dans la foule, faisant neuf morts, des dizaines de blessés, et procédant à des centaines d’arrestations, très souvent accompagnées de tortures.
Les explications de ces événements sont les suivantes :
- On parle de plus en plus d’une vaste opération militaire de Tsahal à Gaza, juste après le sommet d’Annapolis ; or, pour pouvoir, le cas échéant, réclamer aux Israéliens la gestion de la bande, indispensable dans l’optique d’un Etat de Palestine, il faut impérativement à l’administration Abbas et au Fath’ démontrer qu’ils sont encore présents à Gaza. D’où cette manifestation, ces morts, et des dizaines d’actes de résistance mineurs, qui n’ont pas fait l’objet d’une couverture médiatique.
- D’autre part, le mécontentement gronde à Gaza, suite à la fermeture des commerces, des usines et des sites de construction, découlant de la pénurie de matières premières, du manque de clients et de moyens financiers. Des sondages sérieux, réalisés la semaine dernière, ont montré un net recul de la sympathie du public pour la résistance islamique et une tendance inverse pour l’OLP.
La situation est telle, dans la bande, qu’une large majorité des personnes avec lesquelles je me suis entretenu – entre jeudi et lundi - appellent l’opération israélienne de ses vœux, et exprime son désir d’un retour de l’administration militaire de nos voisins.
Un responsable du Hamas figurant parmi mes connaissances m’a assuré que si la frontière égyptienne ouvrait, on assisterait à un exode en masse en direction du Sinaï égyptien. Selon cet interlocuteur, plus de la moitié des Gazatis (environ 700 000 individus) ne songe qu’à partir, et, toujours de la même source, il faudrait voir dans ce danger la raison pour laquelle Moubarak empêche le passage des personnes à Rafah.
Une touche personnelle en fin de cet article : je crains énormément le fossé qui existe entre le traitement des objets de la négociation – tous respectables et importants en théorie - menée par le gouvernement Abbas avec les Israéliens, et sa totale incapacité à gérer quoi que ce soit dans l’Autonomie. J’ai grand-peine à saisir comment les leaders du Fatah entendent réaliser le moindre des engagements qu’ils pourraient prendre à Annapolis. Pour ne rien cacher, je ne vois pas de dynamique, en projet ou en marche, qui pourrait procurer à Mahmoud Abbas un semblant de pouvoir effectif.
A exiger des Israéliens qu’ils s’en aillent, ils risquent de partir. Et ensuite ? Dans le cas où Tsahal quitterait la Cisjordanie, TOUS les dirigeants politiques palestiniens que je connais sont certains que le Hamas les renverserait dans un laps de trois à six mois. Vers quoi allons nous exactement ? A quand l’atterrissage sur la dure réalité de notre situation ? Que se passera-t-il ensuite ?