L’extrême droite et les récentes élections en Israël

L’extrême droite et les récentes élections en Israël

Avril 2019, septembre 2019, mars 2020, mars 2021, il ne manquait pas de commentateurs pour prédire que les élections législatives israéliennes tenues le 1er novembre 2021, il y a exactement un mois, allaient aboutir à une nouvelle impasse et paver la voie à un sixième scrutin.

Il n’en sera rien. La coalition réunie autour de Benjamin Netanyahu a obtenu 64 sièges, une majorité qui devrait lui permettre, s’il n’y a pas plusieurs défections dans son camp, de gouverner pendant quatre et peut-être cinq ans. Une fois encore, les élections ont essentiellement tourné autour de la personnalité de l’ancien et désormais futur Premier Ministre, ce qui avait déjà entrainé des alliances entre programmes opposés et des fossés entre programmes similaires.

Il  n’y a pas eu de grand mouvement de bascule de voix, mais le Likoud et l’extrême droite ont bénéficié de l’impression qu’on était trop laxiste avec le désordre qui se développait notamment dans les régions bédouines du Negev. Mais, comme c’est toujours le cas, l’extrême droite appelée parce qu'on espère qu'elle rétablira l'ordre arrive aussi  avec son agenda politique propre.

En outre, le système électoral israélien, le plus équitable qui soit puisque strictement proportionnel dans un pays qui est une seule circonscription électorale, a aussi ses distorsions et ses effets de seuil. Il impose un plancher d’éligibilité de 3,25% des suffrages exprimés pour éviter les farfelus, les marginaux et les infréquentables. En 1984, il suffisait à Meir Kahana 1,2% des voix pour être élu ; quand il prenait la parole, les autres députés sortaient, mais la Cour Suprême, celle qui est aujourd’hui dans ligne de mire de ses disciples, avait alors rejeté son invalidation, jusqu’à ce qu’un amendement voté à la loi fondamentale d’Israël interdise l’élection d’un parti raciste. 

Arithmétiquement, avec plus de 3,25% des voix un parti a aujourd’hui au moins quatre sièges. C’est ce qu’a obtenu le Parti travailliste. Paradoxalement, sa secrétaire générale, Merav Micheli, a aidé la droite en refusant de s’allier au Meretz, ; celui-ci est éliminé de la Knesset et les 2,8% des voix qu'il a obtenues sont inutiles à la gauche. De même, chez les partis arabes, le refus de dernière minute du Hadash et du Taal, dont le chef est Ahmed Tibi, d’associer le Balad nationaliste à leur liste a coûté des sièges à l'ensemble du bloc arabe. Benjamin Netanyahu en a profité. Lui qui avait pourtant dit dans le passé qu’il fallait « choisir entre Tibi et Bibi », c'est Tibi lui-même qui l'a aidé...

Pour ne pas dilapider les votes sur de petits partis au-dessous du seuil, des alliances sont donc nécessaires. Avec l’aide de Netanyahu, le Parti National religieux s’est allié aux groupuscules Otzma Hayehudit et  Noam. Leur fusion a donné 14 sièges, énorme succès électoral, où le sentiment l'insécurité a joué un rôle déterminant. Elle n’a pas duré, comme convenu à l’avance et les trois factions ont négocié séparément  un accord de coalition.

De ce qu’on en sait, ces accords risquent de transformer l’Etat d’Israël.

Avi Maoz, seul député de Noam, deviendra ministre délégué en charge de l’identité juive, contrôlant notamment l’agence Nativ, qui depuis 70 ans a répertorié et soutenu dans la discrétion les candidats éligibles à l’Alyah depuis l’URSS, et enseigne aujourd'hui ce qu’est le judaisme aux jeunes soldats qui l’ignorent, car venus de familles qui n'étaient juives que par la loi du retour, mais qui pour la plupart sont devenues aussi israéliennes que les autres. Noam, dont l’agenda religieux est très strict, et dont le discours anti LGBT est très virulent, veut supprimer la validité pour la loi du retour des conversions non-orthodoxes ainsi que la clause dite du grand père, qui permet de postuler à l’Alyah si on a un seul grand parent juif. On rappelle que pour la loi du retour, on peut présenter des documents émanant d’une autorité autre que orthodoxe. Ces positions qui sont partagées par ses partenaires du Parti sioniste national risquent d’entrainer de graves clivages  au sein du judaisme.

Itamar Ben Gvir, lui, est à la tête des six députés du Otzma Yehudit. On a beaucoup écrit sur cet homme,  disciple du rabbin Kahana, rejeté de l’armée pour extrémisme, qui  à l’âge de 18 ans volait l’insigne de la voiture de Itzhak Rabin et déclarait que après la voiture, il « aurait » son propriétaire, cet homme qui affichait dans son bureau la photo de Baruch Goldstein, qui se vante d’avoir été inculpé plus de 50 fois par la police et qui est devenu le juriste de tout ce que Israël a secrété comme extrémistes de droite. Or c'est lui qui aura en charge un Ministère de la Sécurité nationale qui serait renforcé à la supervision de la police des frontières avec un bras droit, Chanamel Dorfman, qui a traité la police israélienne d’antisémite et de corrompue, et qui en serait désormais le responsable direct…

Quant à Bezalel Smotrich, il dirige le Parti sioniste religieux, lointain successeur du Mafdal, dont Joseph Burg, allié fidèle des travaillistes, avait longtemps été président. Il n’a pas encore reçu d’affectation ministérielle, mais  ne se contentera certainement pas d’un strapontin. Il a, lui, déjà été député à la Knesset dans le parti dirigé alors par Naftali Bennet. Sans expérience militaire autre qu'un bref emploi d'agent administratif, il a osé réclamer le Ministère de la Défense ce qui lui a -heureusement- été refusé par Netanyahu, soucieux des répercussions sur les cadres de l'armée et les alliés américains. Il devrait obtenir le Ministère des Finances, peut-être en alternance avec Arieh Déry. En tout cas Smotrich, fils d’un rabbin orthodoxe dans la mouvance du Rav Kook, qui  entre le Golan, l’implantation de Bet El et celle de Kadoumim a passé toute sa vie en dehors de la ligne verte et qui n’a pratiquement jamais visité un pays étranger, est un vrai animal politique, capable parfois de prendre des positions étonnamment ouvertes, mais qui est extrêmement convaincu de la justesse de ses positions. Il  pense qu’il peut, qu’il doit modifier le système israélien de l’intérieur, imposer la prééminence de la Knesset sur la Cour Suprême et la prééminence de la Halacha sur la Knesset.

Son arrestation à l’époque des manifestations contre le désengagement de Gaza par Ariel Sharon a fait de lui un critique acharné du Shin Bet qu’il accuse d’avoir trempé dans l’assassinat de Rabin. Ses manifestations contre l’homosexualité ont contribué à sa célébrité, son hostilité aux Juifs réformés est connue, bien qu'il déclare les aimer comme des frères, mais des frères qui vivent dans le mensonge. Il fait partie de ces Juifs qui, contrairement à l’adage, se posent peu de questions et ne connaissent pas le doute car ils sont convaincus d'avoir les réponses. De ce fait, ils n'ont aucun scrupule à vouloir imposer ces réponses.

Sans même insister sur leurs déclarations anciennes sur le devenir des Arabes Palestiniens, déclarations qu'ils ont parfois amendées récemment, et sans épiloguer sur leur partialité vraisemblable en cas d'actes illégaux ou violents commis par leurs partisans, la présence d'hommes pareils à des positions clés du nouveau gouvernement Netanyahu suscite des inquiétudes non seulement auprès d’une partie de la population israélienne, mais également chez tous ceux  qui portent Israël dans leur coeur et pensent que les règles démocratiques sont fondamentales pour la vie en société d'un pays aussi divers : primauté de la loi civile sur la loi religieuse, pouvoir judiciaire indépendant, égalité absolue des citoyens quelles que soient leur religion et leur origine... Ces normes, respectées par tous les gouvernements israéliens jusqu’à maintenant, sont utiles à rappeler cette semaine anniversaire du vote de l’ONU de 1947 instituant un Etat d’Israël.

Je suis inquiet, mais je suis confiant. La démocratie israélienne reste éminemment solide...

 

Richard Prasquier

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