Par Mena (Mena) le jeudi 03 mai 2007 - 18h50:
Nous n’en discuterons pas avec nos partenaires sociaux (info # 010305/7) [Analyse]
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Lorsqu’une équipe mène au score, dans tous les sports dont les rencontres sont limitées par le temps, elle a une tendance naturelle à se regrouper en défense et à ne rien tenter qui puisse mettre son avantage en danger. C’est exactement à cela que Nicolas Sarkozy s’est appliqué, hier, lors de son débat face à Madame Royal.
Le candidat de l’UMP, qui, avant la confrontation télévisée, était crédité d’une avance de quatre à huit points par tous les instituts de sondages, a ainsi tout fait pour gérer son crédit. Ses adversaires le décrivaient colérique et machiste, il s’est donc montré avenant à l’excès et gentilhomme. N’usant jamais d’aucun terme acide face à sa vis-à-vis, la dissuadant de persévérer, chaque fois que son ton évoquait le cynisme ou l’invective. Se contentant, en ces occurrences, d’un "ce n’est pas très gentil de votre part", lorsqu’elle tentait de reprendre les termes de stigmatisation de Sarko, qu’elle avait produits tout au long de sa campagne. Mais hier, il était impossible de faire passer le candidat libéral pour un personnage brutal ou pour un mufle, tant il se montrait amène et conciliant.
Sarkozy, au comble de la galanterie, alla jusqu’à faire cadeau de trois minutes d’antenne qui lui revenaient à Ségolène Royal. Et, lorsque Poivre d’Arvor lui demanda quelle était l’image personnelle qu’il se faisait de l’autre finaliste, Nicolas ne tarit pas d’éloges sur son compte.
Il fut clair, aussi, que le candidat de droite maîtrisait mieux les dossiers que sa concurrente, surtout ceux à caractère économique. Parfois, dans la discussion, on frôlait le cours d’économie élémentaire, que Sarkozy semblait administrer à Royal. Encore fit-il le nécessaire afin de ne pas l’écraser sous son raisonnement, de ne pas paraître méchant ou agressif, et de lui laisser suffisamment d’air pour rebondir.
Ceci dit, à cause de cette stratégie qu’il avait choisie, il a manqué le K.O qui, techniquement et intellectuellement, était à sa portée. Il semble aussi que le favori des sondages avait préparé seul, sans ses conseillers et ses analystes, les modalités ultimes de ce tête-à-tête. Cela s’est remarqué sur deux points du débat : d’abord, Nicolas Sarkozy n’a pas su contrer efficacement la tactique, très préparée par les assistants de Ségolène, qui a consisté, par redondances, à lui faire porter les errances et les insuccès des gouvernements auxquels il a participé, si ce n’est pas de la Chiraquie toute entière. S’il avait été prêt, Sarko aurait pu mettre l’accent sur le fait qu’il était ministre et non président de la République. Mais il ne l’a pas fait, ce qui l’a fréquemment placé dans les cordes, sur la défensive, surtout en début de débat.
D’autre part, le héros de l’UMP s’est laissé naïvement surprendre – il l’a redit ce jeudi matin à la radio – par le coup de colère très répété de Ségolène Royal. Or, il était légitime, et partant, évident, que pour la challenger, menée à la marque dans les sondages, seul un gros coup d’esbroufe pourrait, peut-être, lui permettre d’aborder en tête l’échéance de dimanche. On la sentait qui cherchait, dès l’entame de l’émission, le sujet qui lui permettrait d’éclater ; elle l’a trouvé avec l’intégration des handicapés à l’école publique, et elle a ainsi pu montrer sa "saine révolte", maintes et maintes fois réglée à l’entraînement.
Sarkozy a paré l’estocade spontanément, établissant justement que ce pan de son programme ne justifiait ni le qualificatif extrême d’"immoralité suprême", pas plus qu’elle n’autorisait, philologiquement, Royal à l’insulter en le traitant de menteur. Lors, on sait bien que tout ce qui est excessif a du mal à passer la barrière cathodique.
Ceci dit, ce n’est pas notre analyse qui compte, quand bien même elle serait précise, ce qui importe uniquement, c’est l’impression que le débat a laissé sur les indécis, et de savoir si l’un des candidats a suffisamment grignoté sur l’électorat de l’autre pour asseoir son triomphe. Car ceux qui oignent les présidents ne sont pas des analystes politiques, stratégiques ou économiques, ce sont des électeurs sensibles à des messages tout à fait différents.
Peu importe, alors, que nous ayons trouvé indigente l’argumentation de la candidate socialiste, ne comprenant pas la cocasserie qu’il y a, pour un aspirant à l’Elysée, de répondre à une douzaine de questions cernées : “ce sera définit par une discussion avec les partenaires sociaux". Pour les analystes, cela ressemble à un sketch de Coluche, mais pour le peuple, cela fait montre d’une ouverture d’esprit, d’une promesse rassurante de décider de l’avenir des gens avec leurs "représentants". Peu de gens comprennent qu’il s’agit surtout d’un engagement à l’immobilisme, et que l’état actuel de la France procède d’une vertigineuse décadence.
Sur le plan de l’analyse politique, Sarkozy argumentait comme un président de la République et Royal comme une coiffeuse pour dames (ce n’est pas de moi, j’ai remarqué cette formule sur un forum du Net). Certes, mais une coiffeuse acerbe, qui sait faire passer son point de vue pendant que sa cliente est sous le casque, quelle que soit la valeur ou l’inconsistance de son propos. Or hier, le public s’attendait à voir Madame Royal se faire ridiculiser dans tous les compartiments de la discussion et ce fut loin d’être le cas. Cette surprise valant, dans le raisonnement de plus d’un Français, l’idée que la prétendante socialiste possède du répondant, suffisamment, en tous cas, pour tenir tête à une tornade furieuse comme le postulant UMP. Cette simple constatation devrait valoir un certain nombre de ralliements à Madame Royal.
Peu importe, dans ces conditions, que Ségolène Royal agressât Nicolas Sarkozy, jouant même la maîtresse d’école pour l’occasion, en prétendant que les centrales nucléaires ne produisent que 17 % de l’électricité consommée en France, alors qu’il s’agit, en réalité, de 86 %. Elle ne connaît pas ses dossiers, même si elle a acquis, dans la douleur, quelques fondamentaux au fil de la campagne. Quant à son adversaire, il se trompe aussi, même s’il sait globalement de quoi il parle : les centrales EPR appartiennent à la troisième génération, non à la quatrième.
Pénultième remarque : nous avons revisionné le débat avant de mettre cet article en ligne, et un point technique a retenu notre attention : le réalisateur s’est considérablement plus attardé sur les plans de profil de Sarkozy, que sur ceux de Ségolène. De plus, il y avait suffisamment de caméras dans ce studio – une vingtaine, je crois – pour prendre le candidat libéral de face et en plan rapproché. Ce, quel que fût l’interlocuteur auquel il choisissait de s’adresser, les journalistes ou son adversaire. Passent ces plans de profil, désavantageux pour les débatteurs, qui étaient profusément plus courts lorsque Ségolène Royal s’exprimait, et reste que les téléspectateurs ont souvent vu Sarko de biais ou de travers, lui donnant ainsi une expression fuyante. Celle de ne pas regarder la personne à laquelle il s’adressait ; même s’il s’agit d’une constatation frelatée – elle ne dépendait que du choix du réalisateur –, elle aura retenu l’attention de ce certains confrères, et, probablement, elle aura fait mauvaise impression du vainqueur du 1er tour sur nombre d’indécis. Ce handicap, évitable, me donne à penser que l’entourage du candidat n’avait pas défini les règles du direct avec toute l’attention requise.
Les résultats nuls lors de ce genre de face-à-face n’existent pas, même si l’impact sur l’opinion des deux intervenants fut hier – pour des raisons fort différentes – très serré. N’empêche qu’il y a, après chaque débat électoral, des voix qui basculent d’un camp vers l’autre. A notre avis, et pour les raisons développées dans ce papier, le vainqueur aux points, d’une courte marge, certes, c’est Ségolène. Peut-être même que, dans le coin UMP, on avait prévu la chose, et qu’on a préféré céder volontairement quelques bulletins à la gauche, que risquer une grande empoignade, à trois jours du scrutin, qui présentait le risque de mettre en jeu un pourcentage critique des suffrages escomptés. La question, la seule, l’unique, à laquelle les électeurs répondront dans l’isoloir – car plus rien, d’ici dimanche, ne va plus brouiller les cartes – consiste à savoir si Nicolas Sarkozy, après ce débat passionnant, virera encore en tête dans le décisif dernier virage.
A la Ména, nous tenterons, à nouveau, de faire en sorte que nos lecteurs soient parmi les premiers et les mieux informés.