"Tout se passe comme je l'avais prévu", disait-ilLE MONDE | 23.04.2012
Par Gérard Courtois
Depuis sa brillante élection en 2007, Nicolas Sarkozy s'est employé à entretenir son image de magicien électoral. Balayant d'un revers de main les échecs sévères de son camp dans tous les scrutins locaux organisés depuis quatre ans, il voulait croire, et faire croire, qu'il n'en serait pas de même à l'élection présidentielle, ce rendez-vous singulier avec l'ensemble des Français. Son talent, son énergie et sa vista auraient raison de l'adversité, assurait-il avec son aplomb coutumier.
Ainsi, depuis des mois, le chef de l'Etat a répété, à qui voulait l'entendre, qu'il déjouerait les sombres pronostics des sondeurs. Avec cette phrase-talisman, assénée à tous ses visiteurs, convaincus ou dubitatifs : "Tout se passe comme je l'avais prévu." Hélas pour lui, tout ne s'est pas exactement passé ainsi. Fût-elle présidentielle, la pensée magique s'est heurtée à la réalité du pays, de ses inquiétudes, de ses déceptions, de ses colères.
Qu'avait prévu, en effet, le grand sorcier de l'Elysée ? Tout d'abord, comme en 2007, une stratégie entièrement centrée sur la dynamique d'un premier tour réussi. Il est vrai que la démonstration avait été imparable, il y a cinq ans : arrivé nettement en tête avec 31 % des suffrages, Nicolas Sarkozy avait assommé la concurrence et assez distancé la candidate socialiste, Ségolène Royal, pour aborder le second tour en position de force.
Le président-candidat s'est donc employé, depuis des mois, à créer les conditions nécessaires pour réaliser le meilleur score possible au soir du 22 avril. Avec ténacité et efficacité, il a ainsi dissuadé toutes les candidatures qui auraient pu encombrer sa route et l'affaiblir. A l'exception du souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, tous les postulants éventuels ont jeté l'éponge, depuis le radical Jean-Louis Borloo jusqu'au centriste Hervé Morin, en passant par Christine Boutin et Dominique de Villepin, tandis que le "chasseur" Frédéric Nihous avait été rallié dès l'automne 2009.
La voie était donc dégagée. Mais cela n'a pas suffi. Loin de là. Avec 27 % des suffrages, le candidat de l'UMP n'arrive qu'en deuxième position, derrière le socialiste François Hollande. Pour un président sortant, qui n'a cessé de faire valoir son expérience de la fonction face à un adversaire supposé inexpérimenté, le camouflet est rude et le symbole cruel.
Il l'est d'autant plus que, ayant fait le vide autour de lui, Nicolas Sarkozy ne dispose d'aucune réserve "naturelle" de voix en vue du second tour. Avec 27 % des suffrages, il réalise le plus mauvais score de la droite parlementaire sous la Ve République. Même en 2002, Jacques Chirac n'avait certes pas franchi la barre des 20 %, mais il pouvait compter sur le renfort d'Alain Madelin, de Christine Boutin, de Corine Lepage, de Jean Saint-Josse et même de François Bayrou, qui n'avait pas encore complètement rompu les amarres avec la droite. Cette fois-ci, le roi est nu.
"Tout se passe comme je l'avais prévu", disait-il encore, en estimant avoir écarté la menace du Front national. On sait que, en 2007, l'OPA lancée et réussie sur les électeurs lepénistes avait puissamment contribué à la victoire finale de Nicolas Sarkozy. Fort de ce précédent, le chef de l'Etat n'a pas lésiné sur les moyens pour rééditer cette année une opération de "siphonnage" similaire. Tout a été fait pour séduire, une nouvelle fois, les électeurs tentés par l'extrême droite : une campagne engagée à droite toute, menée par un candidat autoproclamé "du peuple" contre "les élites", vigoureusement centrée sur les thèmes de l'insécurité comme sur les dangers et la maîtrise de l'immigration. Et, pour ceux qui ne seraient pas convaincus, une mise en garde répétée sur l'inutilité d'un vote en faveur de Marine Le Pen.
Le résultat du scrutin sanctionne, brutalement, l'échec de cette stratégie. Loin de se détourner de la candidate du FN, les électeurs l'ont soutenue comme jamais : non seulement elle réalise, avec 18 % des voix, un score supérieur à celui qui avait permis à son père de se qualifier pour le second tour le 21 avril 2002. Mais, surtout, elle rassemble 6,4 millions de voix, soit un million de plus que le total des voix de l'extrême droite (Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret) il y a dix ans.
Tout se passe comme si, loin d'"assécher" le Front national, Nicolas Sarkozy avait, en réalité, banalisé et déculpabilisé en quelque sorte ses idées et ses propositions. Au point que nombre d'électeurs ont, à l'évidence, "préféré l'original à la copie", selon l'espoir maintes fois formulé par Jean-Marie Le Pen.
Le troisième pari du chef de l'Etat était de tout faire pour éviter le référendum anti-Sarkozy qui s'annonçait. Il est vrai que son bilan, plombé par la crise autant que par ses choix, son mode de gouvernement, son style personnel même, menaçaient de coaliser contre lui tous les mécontentements. Il s'est donc efforcé de jouer sur tous les tableaux : président expérimenté, protecteur et crédible d'un côté, intrépide challenger contre "le système", de l'autre.
Les électeurs n'ont pas été dupes. Depuis cinq ans, trop de promesses ont tué la promesse ; et cinq années de postures sans cesse changeantes semblent bien avoir vacciné les Français : ils connaissent trop, désormais, les trucs du magicien Sarkozy pour s'y laisser prendre. Comme s'en est plaint le chef de l'Etat avant le premier tour, c'est bien un match à neuf contre un qui s'est joué le 22 avril. A son détriment.
Reste le dernier espoir présidentiel, caressé depuis des semaines et martelé par ses partisans dimanche soir : avec l'entre-deux- tours, s'engagerait une tout autre campagne, dominée par la confrontation directe avec le candidat socialiste, dont le chef de l'Etat espère bien sortir vainqueur. On peut douter cependant que cette ultime "prévision" se réalise davantage que les précédentes, tant le rejet du président sortant et le désir d'alternance paraissent puissants.
Si tel est le cas, le risque est ailleurs : que le vote des Français, le 6 mai, conduise à une "désélection" du président sortant - selon la formule de Pierre Rosanvallon, qui entend par là un choix contraint, par défiance et par défaut -, plus qu'à une élection du candidat socialiste. Il revient à François Hollande de lever cette hypothèque, qui pèserait terriblement, s'il est élu, sur sa capacité à affronter les défis qui l'attendent.
Gérard Courtois