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Agnès Jaoui, pas désenchantée

 

Agnès Jaoui, pas désenchantée

 

 

 

La comédienne, réalisatrice, scénariste, chanteuse dévoile son nouveau film, Au bout du conte, concocté comme de coutume avec la complicité de Jean-Pierre Bacri

 

Il arrive souvent qu’Agnès Jaoui termine ses phrases par « enfin, bon, bref ». Par exemple, elle note : « Ma mère avait l’habitude de trouver des résonances psychanalytiques dans nos films. C’était son métier. Elle avait sa propre grille de lecture, qui m’intéressait toujours. Hélas, elle est décédée, et je ne connais pas d’autres psys assez intimement pour… Enfin, bon, bref. »

Derrière ce léger tic de langage, servi dans un débit précipité, se cache une nature généreuse qui, tout en sachant très bien où se situe la frontière entre vie privée et personne publique, ne renonce jamais à essayer de faire comprendre, jusqu’au moment, sans doute, où il faudrait trop en dire.

Ou risquer de se perdre dans de complexes circonvolutions. Pour ne pas s’égarer, la réalisatrice d’Au bout du conte préfère refermer d’un petit coup de coude cette porte qu’on lui sait gré d’avoir laissée entrebâillée, le temps d’apercevoir un peu de ce luxuriant arrière-pays dans lequel elle puise sa créativité.

« J’AI ATTENDU MON PRINCE CHARMANT »

Dès le début de l’entretien, le nom de Bruno Bettelheim, ce pédagogue et psychologue américain, auteur de Psychanalyse des contes de fées, s’est mêlé comme une évidence à la vapeur du thé brûlant. Entre deux gorgées prudentes, Agnès Jaoui passe des aveux auxquels on ne s’attendait pas si vite : « Si j’ai fait ce film, c’est en partie parce que j’ai été frappée de prendre conscience que moi, fille de psychanalyste, née de parents féministes, j’ai tout de même attendu mon prince charmant et que, comme de nombreuses autres jeunes filles, j’ai pu me sentir à ce point incomplète, pas vraiment femme. »

Ce paradoxe lui semblait suffisamment fort pour être interrogé. « Ces contes qui structurent notre imaginaire ont été écrits il y a plusieurs siècles, par des hommes, à une époque où l’espérance de vie ne dépassait pas 30-40 ans. Ils restent pour une bonne part pertinents, car la question de l’amour unique, de l’engagement et de la fidélité ont toujours été fondamentales pour les êtres humains. Mais j’avais envie de m’interroger sur ce qu’il restait de cette pertinence. Pour désacraliser un peu, casser quelques images, mais aussi pour dire qu’il y a du féerique et du merveilleux dans le quotidien. Je ne me sens pas désenchantée. »

UN TALENT À MILLE FACETTES

Débordante d’activité, Agnès Jaoui écrit (depuis l’enfance), joue la comédie (depuis ses études au lycée Henri-IV à Paris), réalise des films (depuis ce flamboyant coup d’essai du Goût des autres en 2000) avec beaucoup de plaisir. Alors qu’elle avait 22 ans, Patrice Chéreau lui offrait son premier rôle dans Hôtel de France. La même année, elle rencontrait Jean-Pierre Bacri. Dans les années 1990, Alain Resnais faisait appel à eux pour écrire le diptyque Smoking/No smoking, puis On connaît la chanson. Le succès a été vite et fort.

Mais ce qui la comble de joie, plus que tout, c’est le chant. Longtemps, elle a vécu discrètement cette passion, dans un pays où il ne fait pas bon sortir trop souvent de la case artistique que l’on vous a assignée. En 2006, son amour de Cuba et des rythmes latinos s’est exprimé dans un premier album de musiques du monde, Canta.

LE CHANT, « QUÊTE D’ABSOLU »

Avec l’ensemble vocal Canto Allegre, c’est à la musique classique, et notamment à Bach, qu’Agnès Jaoui s’en remet, en amateur. « Le chant m’apaise. Il apporte une jubilation physique, sensuelle et, en même temps, c’est un travail sans fin, qui force à l’humilité. Ma quête d’absolu, le besoin de pur et de merveilleux que je ressentais petite, sont sans doute passés par ce chemin, que j’ai fait seule, sans avoir appris le solfège enfant. Cela correspond à la partie de moi qui avait envie d’être au couvent à 11 ans », résume en souriant cette native d’une famille juive originaire de Tunisie, qui se dit athée mais estime que Bach est une manière « de dialoguer avec les cieux ».

Mêler toutes ces disciplines dans un film de cinéma demeure « un grand rêve » qui n’a, pour le moment, pas trouver à se réaliser. Mais Agnès Jaoui n’est pas du genre à renoncer. « L’insatisfaction est un de mes moteurs », prévient-elle. Et puis, sait-on jamais vraiment ce qu’il y a, au bout des contes.

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 Son inspiration : Jean-Pierre Bacri, « cocréateur »

Ensemble, ils ont écrit des pièces de théâtre ensuite portées à l’écran par d’autres, comme Cuisine et dépendances et Un air de famille. Ils ont répondu aux appels d’Alain Resnais. Surtout, ils ont signé de concert le scénario des quatre films qu’Agnès Jaoui a mis en scène : Le Goût des autres, Comme une image, Parlez-moi de la pluie, Au bout du conte.« Sans parler de ma vie privée, avoir rencontré Jean-Pierre comme cocréateur est une des grandes chances de ma vie. On est meilleur à deux, mais, surtout, il est mille fois plus agréable d’accueillir les échecs – et surtout les succès – à deux. » Avoir réalisé, et pratiquer la musique par ailleurs, lui a sans doute été nécessaire. « J’en avais besoin pour échapper à la symbiose permanente, mais jamais je n’ai souhaité que s’arrête cette fusion dans l’écriture, qui ne m’a jamais frustrée. »

 

 

ARNAUD SCHWARTZ

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