Dhimmitude des Juifs en terre d'Islam
La conquête arabe du VIIe siècle a marqué dans l’histoire de l’ancienne province romaine d’Afrique le début d’une ère nouvelle.
Les grandes masses de la population, qui se partageaient jusque-là entre le paganisme et le christianisme, avec plus d’une forme de transition d’une religion à l’autre, furent invitées à embrasser l’Islam.
Les païens eurent à choisir entre la conversion et la mort, et toutes les fois qu’ils furent vaincus au terme de leurs combats, se convertirent.
Les chrétiens eurent à choisir entre la conversion et le paiement d’un tribut.
Ainsi, les populations à demi christianisées se convertirent pour ne pas être astreintes au paiement du tribut.
Mais les populations christianisées de longue date, qu’il s’agît de Romains, de Grecs ou de Berbères, préférèrent consentir à verser un tribut pour rester fidèles à leur foi.
Il en fut de même pour les juifs qui, afin de pouvoir continuer à observer leur religion, durent accepter de payer un tribut au conquérant.
Réduits à des minorités au milieu de populations qui avaient massivement embrassé l’Islam, les juifs comme les chrétiens, furent soumis à un statut particulier.
Si l’on respectait en eux des hommes qui croyaient en un Dieu unique et au jugement dernier et s’appliquaient aux bonnes œuvres, on leur reprochait de ne s’être pas ralliés à la religion prêchée par Mahomet.
Ils furent à la fois protégés et victimes de discriminations.
On peut à son gré valoriser la tolérance dont ils bénéficièrent dans la cité musulmane, ou les inégalités dont ils eurent à souffrir.
Il importe surtout de mettre en lumière les divers aspects de leur vie contrastée.
Mais avant de retracer l’histoire des juifs d’Ifriqiya dans les premiers siècles de l’Islam, il nous faut rappeler un moment de la conquête qui mit aux prises Arabes et Juifs, ou plutôt Arabes et Berbères judaïsés.
La conquête de l’Afrique du Nord est, de toutes les conquêtes des Arabes, celle qui leur demanda le plus d’efforts.
Amorcée vers le milieu du VIIe siècle, elle ne fut achevée qu’à sa fin.
La durée exceptionnelle de cette entreprise s’explique par plus d’une raison.
Il y eut d’abord la distance qui séparait l’Afrique du Nord des pays qui servaient aux Arabes de base d’opération.
Il y eut aussi les crises qui secouèrent l’Orient à plus d’une reprise, forcèrent les Arabes à interrompre leurs efforts, et permirent à l’Occident de se ressaisir.
Il y eut enfin et surtout les résistances dont les Arabes durent triompher.
A celle que leur opposèrent les armées byzantines, s’ajouta celle que leur opposèrent les populations berbères qui, pour sauvegarder leur indépendance, s’unirent contre les conquérants arabes et leur livrèrent combat.
Il ne fallut pas moins de huit expéditions pour que les Arabes viennent à bout des garnisons byzantines et des populations berbères.
La conquête de la Berbérie orientale ne fut achevée que lorsque Hassan ibn-Noomane, après s’être emparé de Carthage, eut triomphé de l’ultime résistance des populations berbères, animée par la Kahena.
Au cours de l’année 73 de l’hégire (692/3), Hassan ibn-Noomane parvint à s’emparer pour la première fois de Carthage, dont il chassa les dernières garnisons byzantines.
La conquête de l’Ifriqiya n’était pas pour autant achevée, car les grandes masses de la population berbère opposaient encore à l’envahisseur une résistance opiniâtre.
On lui apprit que c’était une femme, surnommée la Kahena, c’est-à-dire la devineresse, parce qu’elle prévoyait les choses à venir, et qu’elle en tirait un immense prestige.
C’était elle, en effet, que la puissante tribu de Jarâwa s’était donnée pour chef et à laquelle tous les Berbères s’étaient ralliés.
Les juristes musulmans ne tardèrent pas à considérer que la condition des gens du Livre en terre d’Islam était régie par un véritable pacte.
S’ils devaient verser à l’Etat musulman l’impôt de capitation, l’Etat musulman devait en retour leur assurer sécurité et protection.
Aussi bien, est-ce sous le nom de protégés, ahl al-dhimma, que furent désignés les gens du Livre, astreints au paiement de l’impôt de capitation.
En échange de la sécurité et de la protection qui leur étaient promises, les Juifs et les chrétiens ne devaient pas seulement s’acquitter de l’impôt de capitation.
Il leur fallait encore ne pas enfreindre un certain nombre d’interdits.
Le pacte de protection, ne comporte pas moins de douze articles :
Sous peine de rompre le pacte qui les lie à l’Etat musulman, les dhimmis ne peuvent enfreindre les six articles suivants :
a) Ils ne doivent ni attaquer le Livre sacré ni en fausser le texte.
b) Non plus qu’accuser le Prophète de mensonge ou en parler avec mépris.
c) Ni parler de la religion islamique pour la blâmer ou la contester.
d) Ni entreprendre une musulmane en vue de relations illicites ou de mariage.
e) Ni détourner de la foi aucun musulman ni lui nuire dans sa personne ou ses biens.
f) Ni venir en aide aux ennemis ni n’accueillir aucun de leurs espions.
Sous peine d’encourir des peines de plus en plus sévères, les dhimmis ne peuvent enfreindre les six articles suivants :
a) Ils doivent se distinguer des musulmans par leur tenue extérieure en portant un signe distinctif et une ceinture spéciale.
b) Ils ne doivent pas élever de constructions plus hautes que celles des musulmans, mais d’une hauteur moindre ou égale.
c) Ils ne doivent pas froisser les oreilles musulmanes par le son de la cloche, la lecture de leurs livres et leurs prétentions au sujet d’Edras ou du Messie.
d) Ils ne doivent pas se livrer publiquement à la consommation de vin non plus qu’à l’exhibition de la croix ou de leurs porcs.
e) Ils ne doivent pas ensevelir leurs morts avec pompe, en faisant entendre leurs lamentations et leurs cris.
f) Ils ne doivent pas employer pour monture des chevaux de race ou de sang mêlé, ce qui leur laisse la faculté de se servir de mulets et d’ânes.
C’est cet ensemble de dispositions, souvent désigné sous le nom de Pacte d’Omar, parce qu’il figurait dans le traité que le premier calife signa avec les chrétiens de Syrie, qui fut appliqué aux juifs d’Ifriqiya au cours des premiers siècles, avec plus ou moins de rigueur.
Les juifs comme les chrétiens, ont été astreints au paiement de l’impôt de capitation.
L’impôt de capitation est prélevé sur les tributaires mâles, libres et majeurs, mais non sur leurs femmes ni sur leurs impubères, ni sur leurs esclaves.
Il en précise le montant :
Pour ceux qui emploient la monnaie d’or, la capitation est de quatre dinars ; pour ceux qui emploient la monnaie en argent, elle est de quarante dirhams ; le taux en est réduit pour les pauvres.
Le versement de l’impôt de capitation ne dispense pas les Juifs, non plus les chrétiens, de verser d’autres contributions.
Le statut réservé aux tributaires n’empêchait pas les juifs d’exercer de hautes fonctions.
Des médecins juifs furent souvent attachés à la personne de ceux qui gouvernaient l’Ifriqiya.
Les juifs, comme les chrétiens, n’ont jamais cessé de bénéficier d’une large tolérance.
Il ne semble pas que la moindre contrainte se soit jamais exercée sur eux pour les amener à embrasser l’Islam.
Ils ont toujours pu vivre en accord avec leurs croyances et pratiquer leur religion en toute liberté, en jouissant dans le cadre de l’Etat musulman d’une relative autonomie.
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