Les Tunisiens ont pris goût à la contestation
Depuis la chute du président Zine el-Abidine Ben Ali, les Tunisiens ont pris goût à la contestation. Et ils ne s'en privent pas. Jour après jour, les manifestations se succèdent pour réclamer le départ des pontes de l'ancien régime. Dans ce pays où tout est à reconstruire, on délaisse un peu le soccer pour découvrir les joies des débats politiques...
Le directeur de l'école secondaire de Zarzis avait opposé une fin de non-recevoir aux élèves qui voulaient descendre dans la rue. Alors ils ont mené leur propre micro-révolution entre les murs de l'école. En ce 24 février, ils sont réunis au centre-ville, pancartes à la main, à scander un seul mot - le plus populaire du printemps arabe: «Dégage!»
Pour eux, la révolution du jasmin n'est pas terminée. «Nous n'allons pas nous taire, nous l'avons fait pendant trop longtemps, dit Youssna Milaoli, 18 ans. Aujourd'hui, tout a changé. Tout le monde peut parler, manifester.»
Depuis la chute du président Ben Ali, le 14 janvier, les Tunisiens ont pris goût à la contestation. Et ils ne s'en privent pas. «Il y a des manifestations chaque jour, dans chaque ville, chaque village», dit Moez Jumai, journaliste pour Radio Kalima. Clandestine jusqu'au départ du dictateur, sa radio diffuse maintenant sur la bande FM.
Les Tunisiens appellent cela les «dégage parties». Ils manifestent pour obtenir la démission d'un diplomate ou d'un ministre jugé trop proche de l'ancien régime. Dimanche, après deux jours de violents affrontements qui ont fait six morts à Tunis, ils ont réussi à obtenir la tête du premier ministre, Mohamed Ghannouchi.
Deux autres ministres, qui faisaient aussi partie du cabinet du président déchu, ont remis leur démission hier. Mais ces départs ne suffisent pas à satisfaire une bonne partie des Tunisiens, qui souhaitent une rupture complète avec l'ancien régime.
Dans la capitale, les protestataires qui réclament la démission du gouvernement de transition depuis une dizaine de jours campaient toujours, hier, sur la place de la Kasbah.
Pendant ce temps, à Zarzis, le militant Borhein Abichou s'affairait à peindre des pancartes pour la prochaine manif. «Tunisie, Égypte, Libye, même combat», disait l'une d'elles. «Freedom», disait une autre. Et, bien sûr, l'incontournable: «Dégage!»
Tout est à faire
Ce bouillant désir de changement des jeunes et des militants se heurte aux objections des entrepreneurs et d'une partie de l'élite tunisienne, qui préféreraient une transition en douceur. Alors que le pays plonge dans l'incertitude, les tenants de la modération appellent les révolutionnaires à tolérer le gouvernement de transition jusqu'aux élections de juillet.
D'ici là, les Tunisiens découvrent les joies des débats politiques. «Avant, on discutait sans cesse de soccer. C'était des discussions à n'en plus finir. Juste à propos du soccer. Maintenant, c'est de politique que l'on parle toute la journée!», s'esclaffe Mohamed Latif, chauffeur de taxi de Zarzis.
Il y a de quoi débattre pendant des heures. Zarzis, comme d'autres villes, doit démanteler les structures de l'ancien régime et apprendre à bâtir une démocratie naissante. Ici comme ailleurs, tout est à faire. Les habitants ont fait «dégager» le maire et ses conseillers à coups de manifestations devant l'hôtel de ville. Aujourd'hui, c'est le «comité populaire provisoire de Zarzis» qui a pris les choses en main.
«Nous devons tout reconstruire», dit le porte-parole du comité, Bouzoumista Hechmi. «Il faut même créer de nouvelles lois. Celles de Ben Ali avaient été pensées en fonction de son propre bien, et non de celui de son peuple.»
Génération Facebook
Walid Fellah, 27 ans, est de cette génération d'internautes qui a participé activement à la révolution arabe. Dès les premières manifestations à Zarzis, il a filmé «l'acharnement du régime» sur les protestataires pour tout mettre en ligne sur sa page Facebook, qu'il a nommée Zarzis TV. «Pour que tout le monde sache ce qui se passe», explique-t-il.
Ses vidéos se sont répandues comme une traînée de poudre sur la Toile. Le sang a coulé, aussi, dans les rues de Zarzis. La veille de la chute de Ben Ali, deux jeunes manifestants ont été abattus devant le poste de police. L'un d'eux était un ami de Walid.
C'est un sacrifice que le jeune homme n'est pas près d'oublier. «La Tunisie ne peut plus reculer, dit-il. On fait l'apprentissage de la liberté. Et c'est à partir des régions que l'on pourra tout changer. Que l'on pourra bâtir un pays démocratique.»
Walid a fait des études en architecture, mais il n'a pas eu les moyens de les terminer. Alors, il travaille comme animateur dans les hôtels de Zarzis. Pour le moment. Ce ne sont pas les projets qui manquent. «Avant, je n'avais pas d'espoir. Je voulais partir. Mais aujourd'hui, je veux rester. Mon pays a besoin de jeunes pour le reconstruire.»
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