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Michel Taubmann: « Philippe Séguin se faisait livrer des casse-croûtes tunisiens au ministère »

Michel Taubmann: « Philippe Séguin se faisait livrer des casse-croûtes tunisiens au ministère »

Par Martin Perez

 

 

" Il y a avait chez Philippe Séguin une dimension "juive tunisienne" très forte" selon l'auteur de cette biographie.

Rencontre avec le journaliste qui publie une biographie d’une des grandes figures de la Ve République.

Actualité Juive: Dans "Le fils perdu de la République", vous présentez un aspect inconnu de Philippe Séguin, personnage politique à la fois majeur et ambigu des années 80. On le disait présidentiable, il cessa sa carrière de manière inexpliquée au tournant des années 2000. Dans cette biographie, vous révélez un élément inconnu : son véritable père était un juif tunisien qui demeura toujours caché…   

Michel Taubmann : Lors de mon enquête j'ai eu vent de ce qui m’est apparu très vite comme plus qu’une rumeur. En poussant mes investigations, j'ai découvert qui s'agissait d'un secret bien partagé au sein de la communauté juive tunisienne, mais qu'i n'avait jamais été rendu public. On pourrait parler d'un "secret de Polichinelle", s'il ne s'agissait d'une affaire sérieuse, tragique même.  

A.J. : Racontez-nous ce que vous avez découvert. 

M.T. : Nous sommes en 1942. Denise Danielle, une jeune femme de la bourgeoisie catholique de Tunis, se retrouve enceinte d’Albert Hayat, un juif, à la fois commerçant, organisateur de spectacles et journaliste, marié et père de famille. Une situation inavouable, dans la Tunisie française de l'époque qui, de surcroît, est frappée par les lois antijuives. Les parents de la jeune fille sauvent l'honneur en organisant un mariage "arrangé" avec un homme de 20 ans, Robert Séguin. Il épouse Denise et reconnaît l'enfant qui sera prénommé Philippe… en hommage au Maréchal Pétain !

 

« Philippe Séguin effectue à trois reprises le pèlerinage de la synagogue de la Ghriba »

A.J. : Fallait-il rendre public ce secret de famille qui relève finalement de la vie privée de Philippe Séguin ? 

M.T. : Ce secret éclaire la personnalité et la carrière de Philippe Seguin. Il explique ce personnage tempétueux et tourmenté, au parcours exceptionnel qui se terminera sur un échec - que certains qualifieront de "suicide politique" - alors que certains lui prédisaient un  destin présidentiel.

A.J.: Cette faille dans son histoire personnelle a joué à ce point, selon vous ? 

M.T. : J'ai voulu m'intéresser en profondeur au personnage de Philippe Séguin. Depuis son enfance, il a souffert d'une absence de père, puisque Robert Séguin sera tué en septembre 1944, lors des combats pour la libération de la France. Philippe va se construire, non pas autour d'un mais de deux pères absents. Il y a celui qui lui a donné son nom, héros de la France libre. Et puis il y a ce père biologique, qui l'a abandonné. Un juif tunisien à la forte personnalité, truculent, inventif, séducteur.  

A.J.: Philippe Seguin, connaissait-il le secret de son origine ? 

M.T. : Ce qui est certain, c'est qu'il a fini par le savoir. Lorsqu'il devient un homme politique de premier plan, dans les années 80, son père biologique prend contact avec lui. Selon les témoignages que j'ai recueillis, Philippe Seguin avait haï, durant son adolescence, ce père absent dont il avait eu vent de l'existence. Lorsque les deux hommes se rencontrent, ils vont nouer une relation et s'apprécier. En août 1995, Philippe Seguin assiste aux obsèques d'Albert Hayat, dans un cimetière parisien. A la grande surprise de l'assistance, le président de l'Assemblée nationale est présent.   Quelques-uns, parmi les intimes, savent pourquoi Séguin est là. 

A.J.: Il se considérait comme juif ?  

M.T. : Il y a avait chez Philippe Séguin une dimension "juive tunisienne" très forte, même s'il la dissimulait. Mais c‘était un gosse de Tunis. Ses meilleurs amis s'appelaient Serge Moati, Paul Benmussa, Roger Karoutchi, Norbert Saada, Raymond Haddad, le patron de La Boule Rouge. Il se faisait livrer des casse-croûtes tunisiens au ministère. Tout dans son style, son mode de vie, l'opposait à certains de ses alter ego en politique : Juppé, Noir, Balladur.  

A.J.: Comment se situait-il par rapport à Israël ? 

M.T. : Il était très discret, évitait de se prononcer sur Israël. Il appartenait au courant gaulliste, très souverainiste, proche du monde arabe. Mais sur le plan privé, il a effectué un voyage en Israël dans les années 90 qui l’a bouleversé. Il y un autre événement encore plus mystérieux. Dans les années 2000, Philippe Séguin effectue à trois reprises le pèlerinage de la synagogue de la Ghriba, à Djerba. Il n'a plus de responsabilités politiques. Il ne vient flatter aucun électeur.  Il entretient vraiment un rapport intime avec le judaïsme, qui compte pour lui et que je révèle dans mon livre. 

 

Michel Taubmann, "Le fils perdu de la république », Editions du Moment

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