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Robert Crumb est toujours un bon coup...

 

Robert Crumb est toujours un bon coup...

Par Vincent Truffy

 

...un bon coup éditorial. Capable de sauver la saison entière d'un éditeur de BD. Public fidèle et collectionneur, fonds presque inépuisable, qualité égale, sans surprise ni déception. Voilà qui tombe plutôt bien: nous arrivons à la fin de l'année, saison des cadeaux de Noël et des bilans comptables. Chacun sort son Crumb.

Denoël Graphic, déjà éditeur de sa Genèse, sort Parle-moi d'amour, «35 ans in love, l'intégrale» entre Robert Crumb et sa compagne Aline Kominski, 35 euros aussi et presque 270 pages, couverture très fortement cartonnée. Seule la mention «contient des scènes explicites» (mais quel album de Crumb n'en contient pas?) nous retient de placer l'album subito au pied du sapin entre le chaste foulard pour maman et la poupée Barbie aux mensurations elles aussi très explicites que l'on destine à la petite dernière.

Pas de délires sixties sous acides de nabots puissamment dotés par la nature qui besognent frénétiquement de fortes matrones à gros seins et grosses fesses. On est ici dans l'amour monogame et matrimonial de Robert et d'Aline, compliqué d'une petit Sophie qui apparaît entre eux.

 

Parle-moi d'amour.
Un couple formé au début des années 1970 et qui a commencé par publier son linge sale dans Dirty Laundry justement.

Elle, «the bunch», le «p'tit lot», maîtresse-femme, extravertie, dominatrice dans la vie, possédée au lit (rarement dans le lit d'ailleurs); lui «rabbit», gringalet, timide, refoulé mais chaud lapin dans l'intimité. L'idole de la contre-culture et sa «Jewish American Princess», conspuée comme Yoko Ono. «Juif + Goy = Joy», clame Crumb.

Parle-moi d'amour.
«Toutes les autres célébrités ont une maison dans le sud de la France... Pourquoi pas nous?» Au tournant des années 1990, la famille s'exile à Sauve, village médiéval du Gard, aux portes des Cévennes, ses fourches en micocoulier, son chaos karstique, sa maison natale de Robert Filiou et désormais; les séances de gym et la galerie d'art des Crumb-Kominski.

Ce n'est pas exactement le shtetl (le village yiddish) dont rêvait Aline, mais la famille arrivée sans parler un mot de français s'implique dans la vie du village, rabat ses ambitions contre-culturelles à la défense du local, se bat contre les gaz de schiste, contre l'implantation d'une déchetterie ou d'un supermarché... Et Parle-moi d'amour finit par se montrer subversif en détaillant «plus que vous n'avez jamais voulu savoir sur le sexe des seniors».

La Nausée
De son côté, Cornélius poursuit sa publication de l'intégrale en 1.433 volumes avec un douzième opus, Nausea, qui reprend ses adaptations plus ou moins littéraires avec une profonde dilection pour les récits hallucinés, le mysticisme et la folie.

Tout fait ventre. Sartre avec La Nausée (qui donne son titre au recueil) «librement adapté», avec ses cases en biais, tremblée, qui se dévorent l'une l'autre, qui tanguent, ploient sous le texte qui lui même engraisse et s'étrécit, passe de l'anglais au français, sac, ressac, gros plan sur l'œil, gros plan sur la main, sans laisser souffler et provoque les haut-le-cœur chez le lecteur comme chez Roquentin.

 

Psychopathia sexualis
Von Krafft-Ebing – psychiatre autrichien, inventeur du couple sadisme-masochisme – qui aligne froidement les études cliniques dans son catalogue des déviances sexuelles, Psychopathia sexualis, étude médico-légale à l'usage des médecins et des juristes. «Cas n°75, masochisme latent, fétichisme du pied. Il empruntait les chaussures de femmes de la maison et, s'il les mettait en contact avec son pénis, il éjaculait», «cas n°97, automutilation. A chaque fois qu'il avait suivi une jeune fille en vain, il coupait un morceau de chair de son propre bras, ou cuisse, ou abdomen et le mangeait, imaginant qu'il s'agissait d'un morceau de la fille», «cas n°152, androgynie. Il abhorrait la pratique de la chasse avec des armes et parlait de préférence de sa poésie et de ses tentatives poétiques. Une personne mentalement anormale et vicieuse. Ce caractère était congénital et donc incurable»...

 

Jelly Roll Morton
Jelly Roll Morton, ci-nommé «inventeur du jazz», victime d'une malédiction vaudou, vendu à Satan par sa marraine, les amours ancillaires de Bécassine, petite bonne bretonne, la crise psycho-mystique de Philippe K. Dick qui découvrit, après s'être fait arracher une dent de sagesse en 1974, qu'il avait été, qu'il était toujours habité par un des premiers chrétiens persécutés dans la Rome antique, qu'il avait des souvenirs de 2000 ans, qu'il parlait latin, grec, sanskrit.

 

Philip K. Dick
Les superbes portraits des patientes d'un asile d'aliénés du Surrey tirés par Hugh Diamond au XIXe siècle. Et le journal érotique de l'aristocrate écossais Boswell, et les mémorables coïts du Crétin («The Moron») de Bad Karma avec sa marraine la fée, périlleux assemblage de comics tourmentés parus dans les magazines alternatifs Weirdo, Raw et Hup dans les années 1980.

 

Bad Karma

Pas forcément un bon cadeau de Noël familial, donc, sauf à l'offrir sous le manteau. Alors quoi? Notre agent traitant chez Cornélius nous conseille The Record Cover Collection, beau livre sans histoires au format de 33-Tours: «on a tous un beau-frère qui collectionne les disques».

 

Crumb et son banjo.
Soit 450 et quelques pochettes dessinées par Crumb. Du blues (beaucoup), des célébrités (The Grateful Dead, Janis Joplin, Deep Purple, Bob Dylan, Neil Young, The Who...) mais aussi une anthologie des musiques traditionnelles, du musette, du jazz manouche, du klezmer et bien sûr, son propre groupe, The Cheap Suit Serenaders («fêtes, mariages, pique-niques, festivals et petits clubs»)...

Sans être particulièrement prude, finalement, c'est celui-là qui ira sous le sapin.

 

  • Parle-moi d'amour, d'Aline et Robert, Denoël Graphic, 264 p., 35 euros.
  • Nausea, de Robert Crumb, Cornélius, 196 p., 20 euros.
  • The Record Cover Collection, de Robert Crumb, Cornélius, 112 p., 25 euros.

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