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Sous leur niqab, comment vivent-elles l’interdiction ?

 

Sous leur niqab, comment vivent-elles l'interdiction ?

Alors que la loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public entre en vigueur ce lundi, les femmes portant le voile intégral (niqab) expriment leur détermination à le porter. Chacune a ses raisons de braver la loi, mais aucune ne cache son exaspération.

Une trentaine se sont confiées à Agnès De Féo, sociologue. Elle en a tiré un documentaire dont voici la bande annonce. (Voir la vidéo)


 

Agnès de Feo vient d'interroger ces femmes sur l'entrée en vigueur de l'interdiction du voile intégral. Nous publions ici ce document intéressant, tout en ayant conscience du biais que peuvent recouvrir ces témoignages : Agnès De Féo a, par définition, croisé des femmes qui s'expriment librement, qui ne sont pas forcément représentatives de l'ensemble des femmes concernées. P.R.

« Je ne dors plus la nuit, j'ai encore passé une nuit blanche. Je m'étais arrangée, pour ne pas travailler aujourd'hui, jour du passage de la loi, mais un rendez-vous vient de tomber avec un fournisseur. Je suis obligée de prendre le métro.

Ça va être très dur. Le poids des regards s'est intensifié ces dernières semaines. Je suis angoissée. »

 

Karima, 32 ans, chef d'une entreprise de vêtements, n'en finit pas de maugréer. D'origine algérienne, née en France et revendiquant une culture française pour avoir fait toute sa scolarité dans les écoles de la République, elle affirme porter le niqab depuis l'âge de 15 ans.

Elle raconte l'avoir essayé à l'adolescence et n'avoir jamais pu l'enlever ensuite :

« Je me suis sentie libre, je n'étais plus réduite par les regards extérieurs. Mon physique n'entrait plus en compte dans les rapports que j'entretenais avec les gens. C'est pourquoi je le porte depuis aussi longtemps. »

 

« Ce qui m'angoisse, ce sont les petits tracas du quotidien »

Depuis dix-sept ans, le niqab lui tient lieu de seconde peau. Ce matin du 11 avril, Karima a du mal à contenir son affliction, même si son entourage tente de la calmer, lui proposant d'aller faire ses courses :

« Vous imaginez de ne plus sortir ? Demander des services à droite et à gauche, alors que je suis très indépendante, quelle humiliation ! Si j'ai envie de m'acheter une jupe ou un sac, j'ai quand même envie de l'essayer. Je ne veux pas qu'on l'achète à ma place ! »

 

Son amie tente de la raisonner en minimisant la présence policière. Mais elle riposte du tac au tac :

« Ça dépasse la simple amende. C'est moins le policier qui me fait peur que la boulangère qui refusera de me servir ou la caissière qui appellera le vigile pour me vider manu militari du supermarché.

Que me reste-t-il ? Les petites épiceries tenues par des Maghrébins, mais c'est beaucoup plus cher. Ce qui m'angoisse, ce sont les petits tracas du quotidien. Je ne pourrai pas aller à l'hôpital si j'ai un accident, ni me rendre dans une administration.

C'est toute ma vie de femme active qui se trouve amputée de sa liberté. Rester chez moi est une perspective qui m'horrifie. Qu'est-ce que je vais faire de mes journées ? Sortir les poubelles ? Même ça, j'en serai sans doute empêchée par un voisin Front national qui s'empressera de me dénoncer à la police. »

 

« Je ne pourrai plus me déplacer comme avant »

Toujours active, elle travaille sur une collection de jilbeb qu'elle espère présenter au prochain salon musulman du Bourget.

« Je suis certaine que le niqab n'empêche pas de faire des affaires ni d'avoir une activité professionnelle. La semaine dernière, je suis allée acheter du tissu dans le Sentier pour préparer ma collection. Les juifs du Sentier ne me jugent jamais, ils traitent avec moi normalement, ne paraissent même pas surpris par mon niqab.

Même dans mon quartier, j'habite en plein dans la communauté juive du XIXe arrondissement, aucun juif ne m'a jamais insultée. Ce n'est pas comme la caissière qui trépigne sur sa chaise me signifiant sa haine, ou encore comme ces passantes qui ne peuvent s'empêcher de vomir leurs injures.

Hier encore, une femme m'a suivie pendant très longtemps, me harcelant de propos incohérents. Une autre encore s'est jetée sur moi dans le métro en essayant de m'arracher mon niqab. Je me sens à la merci de toutes les intolérances. Je ne pourrai plus me déplacer comme avant. »

 

Pour contourner la loi, Karima s'achète un scooter

Pour contourner l'interdiction de porter le voile sur la voie publique, Karima a décidé de s'acheter un scooter, ce qui lui permettra de contourner la loi qui fait l'impasse sur les véhicules privés. Pourtant, sa satisfaction est de courte durée :

« Les commerçants ne me laisseront pas entrer avec le casque. En plus j'adore marcher, j'ai l'habitude de traverser tout Paris à pied.

Qu'est-ce que je vais devenir ? Je vais prendre des kilos. Je n'aurai plus d'activité physique. Même les parcs me sont dorénavant interdits, comme si j'allais braquer un platane ! »

 

En dépit de toutes ces contraintes, Karima conserve pieusement son voile intégral, préférant outrepasser la loi :

« Je n'ai jamais été hors la loi, mais je vais le devenir à mon corps défendant. Je vais vivre comme une sans-papier qui doit se tenir sur ses gardes, ayant toujours peur d'être arrêtée. Pour moi cette loi a légalisé la xénophobie et l'intolérance. »

 

Cette réclusion forcée, c'est aussi la peur que ressent Oum Al Kheiyr :

« Je sais que beaucoup de ces femmes vont se cloitrer chez elles sans plus sortir. »

 

Récemment, cette Française d'origine algérienne a fait le choix de garder coûte que coûte son niqab :

« Lorsque j'ai vu le tremblement de terre au Japon, j'ai réalisé qu'on pouvait mourir d'un instant à l'autre. J'ai pris conscience de l'importance de plaire à Dieu. Je veux me rapprocher toujours plus de Dieu pour qui j'estime n'en faire jamais assez. C'est pourquoi je ne l'enlèverai jamais. »

 

Pour Oum Aldina, convertie d'origine comorienne, toute cette agitation ne fait que la conforter dans sa détermination :

« Je suis au dessus de tout cela. Les policiers ne parviendront pas à me changer. On ne peut pas nous empêcher d'être ce qu'on veut être. Ce n'est pas possible. Je garde mon voile. Même si je dois aller à la Cour européenne des droits de l'homme. »

 

Karima, Oum Al Kheiyr et Oum Aldina ne sont pas des exceptions. La réalité du terrain est à l'opposé des idées reçues, de tous les clichés forgés dans l'imaginaire commun.

Point de femmes analphabètes arrivées tout droit du bled soumises à un ordre patriarcal, point de femmes forcées ou humiliées, celles qui portent le niqab en France sont éduquées, volontaires, manifestant un fort caractère d'individualité, quelques fois même narcissique.

La quasi-totalité sont françaises, nées en France ou arrivées toutes jeunes dans le pays. Un quart est représenté par des Françaises converties (alors que les conversions à l'islam ne représentent qu'1% des musulmans). Elles ont pour point commun de n'avoir pas reçu d'éducation religieuse et d'être en quête de spiritualité.

Mais ces aspects sociologiques ont été sacrifiés par les politiques empressés de légiférer pour satisfaire leur électorat. Il aurait fallu pourtant comprendre cette part de la société française.

Cette loi pourrait aujourd'hui radicaliser de simples femmes piétistes qui ne présentaient pourtant au départ aucun danger.

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