Le Belleville des juifs tunisiens De Patrick Simon, Claude Tapia

Le Belleville des juifs tunisiens
De Patrick Simon, Claude Tapia

Le livre de Patrick Simon et de Claude Tapia raconte une première histoire : celle d’une fraction — la plus pauvre, économiquement et culturellement — d’une communauté ethnico-religieuse qui, habitant depuis des siècles en Tunisie, s’est exilée en France, et plus particulièrement à Paris, au cours des années 1960 et 1970, s’est approprié le quartier populaire et vétuste de Belleville où elle s’est installée et, en y inscrivant son mode de vie originaire, l’a marqué de sa présence plus visiblement que ne l’ont fait les autres communautés avec lesquelles elle y a cohabité ; puis, à partir des années 1980, a cédé le terrain à de nouvelles vagues migratoires, après que son intégration à la société française s’était suffisamment réalisée pour lui permettre d’aspirer à d’autres espaces de résidence et non sans qu’un mythe bellevillois des Tunes se forge alors, avec la construction d’une mémoire collective des lieux intimement mêlée à celle de la terre d’origine. Du moins s’agit-il de la mémoire de ceux d’entre les Juifs de Tunisie qui ont habité Belleville et l’ont quitté ; car le quartier garde aussi une valeur symbolique pour les autres.

Ce livre raconte une seconde histoire, qui est celle du quartier bellevillois lui-même, afin de rendre raison de la spécificité de la rencontre qui s’est ainsi opérée et du mode de cohabitation de la communauté des Tunes avec les nombreuses autres communautés qui se sont, elles aussi, approprié ce quartier.

Aussi l’analyse s’opère-t-elle en quatre temps : Le premier est le temps où les Juifs demeuraient encore en Tunisie. On ne saurait en effet comprendre ce que les plus populaires d’entre eux ont fait de Belleville sans savoir ce que leur vie en terre d’Islam avait été et comment elle avait commencé de se transformer avec la présence européenne, puis plus spécifiquement française, en Tunisie, comment enfin ces Juifs ont été conduits à l’exil. La référence aux travaux d’historiens est ici nécessaire, mais la mémoire de témoins est également sollicitée.

Le deuxième temps est parallèle au premier. C’est le temps de la transformation du quartier de Belleville depuis le siècle précédent : références sont faites à des travaux d’historiens à nouveau, mais des archives ont aussi été consultées et amplement utilisées.

Le troisième temps est celui de la rencontre. Comment s’est constitué le Belleville des Tunes ? Une enquête de Claude Tapia, réalisée en 1970 auprès de familles juives habitant le quartier, et une série d’entretiens faisant appel à la mémoire des témoins, et conduits par Patrick Simon de 1992 à 1997 permettent de décrire cet « âge d’or » où les Juifs de Belleville y vivaient comme ils vécurent « là-bas » (c’est-à-dire à Tunis).

Le quatrième temps, enfin, est le temps du mythe, lorsque, tout en demeurant un quartier de visite des Juifs tunisiens du fait de la présence persistante de nombreux commerces, Belleville, devenu pour eux un lieu de mémoire, mais mythifié, s’ouvre plus largement à d’autres immigrants, tandis que les Tunes en ascension sociale le quittent. L’enquête de Patrick Simon fournit les matériaux de l’analyse du mythe.

On a bien affaire, avec ce livre, à une ethnographie socio-historique qui s’arme des méthodes de l’histoire et de celles de la sociologie. Fallait-il adopter un point de vue historique pour rendre compte de la manière dont s’est constitué le Belleville des Juifs tunisiens ? On soulignera, plus loin, pourquoi il était indispensable d’adopter ce point de vue. Et si quelques critiques seront formulées, ce sera parce que les auteurs n’en ont pas toujours tiré toutes les conséquences.

Le point de vue historique permet seul, en effet, de comprendre :
la dynamique d’intégration des Juifs tunisiens en France, qui prolonge une dynamique de francisation qui existait déjà en Tunisie (cela montre d’ailleurs combien de conditions doivent être réunies pour que cette intégration ait effectivement lieu et qu’elle ne se fait pas en une ou deux générations) ;
la dynamique des rapports entre les différentes fractions socioculturelles des Juifs tunisiens en France même et la signification qu’a prise Belleville pour ces différentes fractions ;
les rapports entre Juifs et Arabes à Belleville, qui reproduisent ce qu’étaient devenus ces rapports sous le Protectorat français en Tunisie ;
et, en définitive, pourquoi s’est maintenue une forte identité juive tunisienne dont Belleville est une sorte de référentiel, c’est-à-dire ce lieu de mémoire par rapport auquel la distanciation aux origines et la mobilité font sens. Tel n’est pas le cas en ce qui concerne les Juifs algériens ou marocains, par exemple.

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