Poutine : de Charybde et Scylla, par David Bensoussan
Le président russe Poutine n’a jamais accepté la dissolution de l’Empire soviétique. Pis encore, il a été témoin du déplacement de la frontière orientale de l’OTAN encore plus à l’Est, englobant les pays autrefois alliés de l’Union soviétique.
La révolution Orange en Ukraine a montré que ce pays s’éloignait de l’influence russe, s’orientait vers la démocratie occidentale et risquait de s’intégrer à l’Union européenne et à l’OTAN. Poutine décide alors de mettre fin à cette tendance.
Or, il s’est fourvoyé en pensant qu’un simple raid dans la ville de Kiev aboutirait à un remplacement de régime. Il n’a pas compté sur la résistance armée ukrainienne et encore moins sur celle du camp occidental, d’autant plus que la réaction occidentale à l’occupation de la Crimée et à l’appui russe aux séparatistes du Donbass en 2014 a été des plus mitigées.
Évolution du conflit
Le retrait russe de Kharkiv et d’Izioum au Nord du Donbass à la suite d’une attaque de forces ukrainiennes numériquement inférieures a amorcé la contre-attaque ukrainienne. Les postes de commande et les dépôts de munition russes ont été ciblés. Parmi les équipements russes abandonnés se trouvaient des modèles avancés de tanks T-90M mis en service depuis deux ans.
La logistique russe a été défaillante : il semble bien que l’information collectée par les satellites russes n’ait pas été communiquée aux forces terrestres alors que celle émanant des pays occidentaux (de sources publiques et privées) a été transmise aux troupes ukrainiennes.
À l’heure actuelle, le front se stabilise autour de Kherson, ville dont l’importance stratégique et économique est du premier ordre alors qu’elle fait face à Odessa, seul port ukrainien en mesure d’exporter des millions de tonnes de blé dont la planète a besoin. La population de Kherson a été déplacée (déportée ?) par les autorités russes. L’annonce du retrait des troupes russes de Kherson, laisse planer le doute quant aux intentions russes ultérieures : inondations, utilisation de bombes sales ou d’armes nucléaires tactiques ?
D’emblée, le président américain Biden a menacé de mettre en scène des renforts d’armes atomiques tactiques si une telle éventualité se concrétisait. Quant à lui, le président français Macron a déclaré que son pays ne recourrait à l’arme nucléaire que si le territoire français était attaqué.
En Russie même
Les sanctions occidentales se font sentir en Russie du fait que des centaines de milliards d’avoirs russes ont été gelés dans les banques occidentales et que la cessation de l’importation de produits de haute technologie ralentit les usines de production, y compris les usines d’armement. Les ventes de gaz russe à l’Europe ont grandement décru, compensées qu’il soit dit par la hausse du Brent.
L’invasion de l’Ukraine a surpris le public russe dont beaucoup prêtent peu de foi à la thèse qui est avancée par le régime, soit celle d’une Ukraine nazifiée. Quelques centaines de milliers de Russes ont abandonné la Russie, privant ce pays de nombreux talents artistiques, universitaires et scientifiques précieux. La conscription de 300 000 soldats (ce nombre serait bien inférieur au chiffre réel) s’est accompagnée du saccage d’une vingtaine de bureaux de conscription. Des organismes importants de certaines régions de la Russie telles que la Tchétchénie et le Daghestan ont déclaré ouvertement ne pas vouloir souscrire à cette conscription.
Le fait que les prisonniers de droit commun aient reçu une offre d’amnistie s’ils joignaient l’armée privée de mercenaires Wagner d’une part et que par ailleurs la Russie quémande des drones suicide iraniens mettent à jour des faiblesses majeures de l’Armée rouge.
Du point de vue de la Russie, le bilan est catastrophique et les initiatives de Poutine semblent le mener de Charybde en Scylla. La Suède et la Finlande ont décidé de rejoindre l’OTAN. L’Europe se réarme sous la houlette américaine. L’Inde refuse de prendre parti, son président déclarant que « l’heure n’est pas à la guerre. » La Chine semble perturbée par les développements en Ukraine et par leurs effets négatifs sur l’économie mondiale. Le président kazakh Tokayev s’est distancé du Kremlin et a annulé un exercice militaire du traité de sécurité collective qui devait se tenir sur son territoire. L’Azerbaïdjan a enfreint le cessez-le-feu avec l’Arménie négocié sous les auspices de la Russie.
L’ego russe est affecté du fait de la perte de crédibilité des armements russes, de la qualité démontrée des armements occidentaux – dont l’artillerie mobile américaine HIMARS (High Mobility Artillery Rocket System) – et de la force de dissuasion diminuée de l’armée russe.
L’avenir
Deux scénarios peuvent être pris en considération : dans le premier, la Russie maintient son emprise sur les territoires qu’elle occupe au Donbass tout comme c’est le cas pour la Turquie qui occupe la partie nord-est de l’île de Chypre depuis 1974. Un tel statu quo pourrait être envisageable à long terme.
Dans le second, Poutine attend que l’armée russe se reconstitue pour lancer une attaque mieux coordonnée, tout comme cela a été le cas lors de la révolte tchétchène : en 1996, les pertes russes en soldats et en équipements étaient considérables ; en 2000, l’armée russe réorganisée reprit son attaque et raya la ville de Grozny de la carte. Il y aurait eu entre 100 000 et 200 000 victimes civiles.
En Russie même, le départ de Poutine est difficilement imaginable bien que certains analystes rappellent que ce furent les défaites russes contre le Japon en 1904 et contre l’Allemagne en 1917 qui entraînèrent l’effondrement intérieur du régime. De plus, l’après-Poutine risque de mettre au pouvoir un radical encore plus inconciliant. La tension risquerait alors d’augmenter : l’on pourrait assister à des attaques ukrainiennes en territoire russe et à la destruction encore plus catastrophique de l’Ukraine.
Le monde entier pensait que les horreurs de la Seconde Guerre mondiale hanteraient les politiciens, que la transparence, les communications mondiales et l’opinion publique immuniseraient la planète des conflits mondiaux. Or, dans les faits, la Seconde Guerre froide est lancée. La désillusion qui accompagne ce point tournant historique est amère.
Il revient aux pays occidentaux de prendre une décision : va-t-on laisser le conflit se perpétuer jusqu’au dernier ukrainien ? Va-t-on s’en remettre au président ukrainien qui refuse la négociation avec Poutine et qui déclare vouloir continuer le combat sans céder aucun pouce de territoire ?
De son côté, Poutine qui a perdu du terrain, durcit sa position. Il est à court d’alliés. Or, il n’est dans l’intérêt ni de l’Occident ni de la Russie que ce dernier pays devienne le vassal de la Chine.
Plus que jamais, l’ouverture d’un dialogue entre la Russie et l’Ukraine avec la participation de pays médiateurs est impératif, avant que des prises de position de plus en plus radicales ne viennent aggraver la situation.