Ce fameux lundi 5 juin 67, à Tunis – R. Stioui

Ce fameux lundi 5 juin 67, à Tunis – R. Stioui

C’était un jour d’examen de fin d’année. Au cours de l’épreuve, vers 10h30 du matin, le professeur, censé nous surveiller, s’était mis à regarder par la fenêtre avec insistance et inquiétude. En effet, du haut de notre 1er étage, on apercevait de la fumée noire qui montait, avec une odeur de brûlé. On saura plus tard que c’était des pneus qui brûlaient. Un autre professeur entra subitement dans la classe et nous dit de tout arrêter, de ranger nos affaires et de rentrer à la maison. Il nous dit aussi de ne pas revenir l’après-midi. On quittait l’école par groupes de 3 ou 4 avec la consigne expresse de rentrer immédiatement chez nous.

Certains élèves qui habitaient loin, partirent en voiture de professeurs.

L’après-midi, sans dire à ma mère que l’on était dispensé d’école, je repartais vers 14 h, voir un peu....
Mes pieds me dirigeaient instinctivement vers une petite rue où se trouvait « Slat Rebbi David Pérès », la petite synagogue où j’ai grandi, là où mon père et mon grand-père priaient habituellement. Elle était située au rez-de-chaussée d’un immeuble. De la fenêtre, je voyais la salle noire de monde. Une fraction de seconde, cela me fit penser à Yom Kippour à l’heure de la Né’ila. Je me disais que les Juifs s’y seraient rassemblés pour prier ou pour protéger le lieu. Mais j’ai vite réalisé que c’étaient en fait des Arabes, affairés à décrocher les Candil, veilleuses sur les murs et à en arracher les plaques des défunts qui étaient généralement en argent. Ils entraient et sortaient dans ma synagogue comme chez eux. Je quittais alors les lieux pour aller « visiter » d’autres synagogues. Je passais près de l’école-synagogue de Rav Pinson z’’l. Tout était calme. Je pense qu’elle était fermée. Je rejoignais ensuite les grandes avenues de Londres puis de la Liberté.

Je marchais à contresens de hordes de manifestants arabes, déchainés, courant par centaines et milliers dans les avenues en hurlant ’’YHOUD ! YISRAYIL !’’, brisant et pillant les devantures des magasins juifs, ainsi que certaines synagogues. Ici, une pâtisserie, là, un magasin d’électroménager, etc. On ne compte pas le nombre de magasins vandalisés ou incendiés.

Le soir, arrivant près de notre domicile, j’ai vu une montagne de parchemins de Torah au milieu de la chaussée, devant la grande synagogue. (Nous habitions juste en face.) Des rouleaux de Torah, dépliés, jonchaient les escaliers, jusqu’à la chaussée, pour former un tas de parchemins. Des militaires, disposés en demi-cercle, contenaient la foule qui s’était calmée, avec un air du devoir accompli, après cette journée de pillages. Je me tenais parmi eux, un peu à l’écart, avec une forte envie de ramasser ces rouleaux de Torah. J’aurais probablement été lynché. Pendant ce temps, les pompiers entraient et sortaient du bâtiment, piétinant tout sur leur passage. De l’eau ruisselait des escaliers sur ces parchemins.

Le lendemain matin, de retour avec ma mère du commissariat où nous avions déposé une demande de passeport, je m’étais faufilé parmi une délégation de notables juifs avec à sa tête le Grand Rabbin de Tunisie, Rabbi Méïss Cohen z’’l, vêtu de son long burnous blanc, debout sur l’escalier de la grande synagogue, immobile, l’air grave. Tous étaient silencieux, dignes. L’image était impressionnante. Un jour de jeûne avait été décrété. Quelques minutes plus tard, le Premier ministre arriva. Après quelques échanges, ils ouvrirent les portes de la synagogue pour voir les dégâts.

J’étais monté au premier étage pour mieux voir. C’était le désastre, tous les bancs renversés et cassés, la Tévah, le magnifique Hékhal était devenu un trou noir, les veilleuses arrachées des murs, etc.

Le mercredi de la semaine suivante, c’était Chavou’ot. Très peu de synagogues fonctionnèrent discrètement, les prières étaient récitées à voix basse, des chaises avaient remplacé les bancs.

Quatre jours plus tard, le dimanche 18 juin, nous étions dans l’avion.

 

Roger Stioui

French