Tristesse et peur dans la communauté juive de Montréal

Tristesse et peur dans la communauté juive de Montréal

 

Jessica Nadeau

« C’est l’histoire qui se répète. C’est horrible », murmure Shaia Leibinger, 96 ans, qui sortait de sa réunion hebdomadaire des survivants de l’Holocauste mardi midi. « Dans ces réunions, on parle du passé, du futur. Mais aujourd’hui, on ne parlait que de ça. Tout le monde était triste. On a essayé de chanter un peu pour se remonter le moral, mais il n’y a rien qui puisse nous réjouir aujourd’hui. »

Devant l’immeuble du chemin de la Côte-Sainte-Catherine qui abrite le Musée de l’Holocauste Montréal, la Bibliothèque publique juive et une multitude d’organismes de la communauté, le drapeau est en berne. Des gens entrent et sortent, la tête basse.

« Je suis venue pour visiter le musée. C’est le jour pour le faire, soupire Sarah Ryan, une femme juive du quartier. Ici, on parle de la Shoah, du massacre des juifs. Et ça se passe encore. »

Dans le hall d’entrée, le rabbin Getzy Markowitz invite les gens à se reconnecter à leur foi et les encourage à faire de bonnes oeuvres pour mieux supporter la souffrance des derniers jours. « Je suis venu dans le bâtiment juif le plus visible de la ville pour dire : “Je suis juif et j’en suis fier !” » affirme-t-il haut et fort.

D’autres affirment ne pas avoir la force d’en parler, n’ayant pas dormi depuis plusieurs jours déjà. Certains ne sont plus capables de regarder les images d’horreur qui sont diffusées dans les différents médias, sociaux comme traditionnels. Tous parlent de bébés massacrés, de femmes violées, d’actes qu’ils qualifient de « barbares ».

La peur au ventre

À quelques kilomètres de là, au mail Quartier Cavendish, à Côte-Saint-Luc, un endroit très fréquenté par la communauté juive, les clients semblent préoccupés. « Il faut continuer de vivre, on n’a pas le choix. On devait acheter du lait et du pain, mais même ça, on n’y arrivait pas. Alors on s’est donné rendez-vous ici pour jaser et se calmer », raconte Lili Schneider en regardant avec affection son amie de longue date Jacqueline Myara.

Les deux femmes constatent qu’il y a moins de gens que d’habitude à la foire alimentaire, qui sert des aliments casher. « D’habitude, on a de la difficulté à trouver une place libre ici, mais en ce moment, les gens ont peur de sortir de chez eux », explique Mme Schneider.

À la garderie où elle travaille, il manquait plus de la moitié du groupe. « Les parents ont peur de laisser leurs enfants hors de leur vue, raconte-t-elle. On n’est même pas allés au parc aujourd’hui avec les enfants, on ne sait jamais sur quel coucou on peut tomber. »

Tenant son fils de 4 ans par la main, Michaël Benarroch affirme lui aussi vivre dans la peur depuis quelques jours. Il préfère porter la casquette plutôt que la kippa pour ne pas attirer l’attention, confie-t-il. « On a peur, même ici, confie-t-il. On fait attention à nos déplacements. L’école nous a envoyé des communications contenant des conseils de sécurité et nous a avisés que la sécurité était augmentée. »

Attablés devant un café et un biscuit, Élise et André Ouanounou, qui célèbrent cette année 56 ans de vie commune, lèvent les yeux vers un écran de télévision qui diffuse le discours du président américain, Joe Biden, à propos des attaques contre Israël. « J’ai des petits-enfants.  Une des petites m’a dit : “Mamie, j’ai peur !” Je lui ai dit : “Mais non, on est en sécurité ici” », raconte la femme.

Pourtant, elle a peur elle aussi, admet la grand-mère. « Personnellement, je ne me sens pas bien du tout, comme si j’étais dans les vapes. Ça m’a anéantie. Mais je suis vraiment touchée par la solidarité des Québécois. Écrivez ça dans votre journal. »

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