MES DOUX MATINS, par Thérèse Zrihen-Dvir

MES DOUX MATINS, par Thérèse Zrihen-Dvir

 

Enfant, Fille, Portrait, Fleurs

Aux premières lueurs du jour, l’incessant va et vient, le bruit de l’eau coulant du robinet, les casseroles, les verres qui s’entrechoquent m’empêchaient de poursuivre mes rêves de fillette de Marrakech, dans ma sphère imaginaire peuplée de petites fées…

À ces heures-là, Grand-mère debout déjà, activait le feu du Kanoun plein de charbon, remplissait l’énorme cafetière d’eau et s’attelait à la préparation du pain – projet qu’elle ne cessait de tenter de m’y associer.

« Debout flemmarde, il faut pétrir le pain », me lançait-elle du coin de sa cuisine.

« J’ai les yeux soudés, mémé. Je n’arrive pas à les ouvrir ».

Vraies ou fausses, mes doléances  n’empêchaient jamais ma grand-mère de s’afficher à l’embrasure de ma chambre tenant dans sa main un verre d’eau chaude salée…

« Qu’à cela ne tienne, me répondait-elle. Je vais te rincer les yeux à l’eau salée, ce qui te permettra d’ouvrir tes grands yeux verts que j’ai hâte de voir ! riait-elle de bon cœur.

J’avais droit à un bon rinçage à l’eau salée, qui, inévitablement, m’ouvrait les yeux.

« Et voilà, ma belle, ajoutait Grand-mère me guidant vers le robinet d’eau glacée, pour un rinçage des mains et du visage.

À cette époque, heureux étaient ceux qui avaient un robinet d’eau à la maison. Les autres, les moins nantis, accouraient à la pompe publique pour remplir leurs seaux d’eau. Froide/glacée, il n’y avait aucune autre solution.

« J’ai froid mémé, et l’eau est glacée, m’écriais-je.

« Oui, mais cela ramènera le rouge à tes joues pâles, concluait-elle.

Elle avait toujours raison. Quant à son traitement de mes petites infections aux yeux, il était indubitablement efficace, même à ce jour. Je me soigne en suivant à la lettre ses propres recettes de grand-mère… et je ne peux m’empêcher d’avouer qu’elles sont infaillibles.

« Plus moyen de lui échapper, me dis-je. Il va falloir me coltiner la préparation du pain, pétrir à force bras la pâte, la diviser en deux pains ronds que je couvrais d’une nappe en laine pour leur permettre de lever.

La corvée terminée, j’allais troquer ma chemise de nuit, contre ma tenue d’écolière… Je n’avais que sept ans. Les deux pains ronds étaient déjà prêts pour la cuisson qu’il fallait précipiter au four public et attendre, assise sur un tabouret, qu’ils soient cuits à point pour les ramener à la maison en vitesse.

Tous ces préparatifs précédaient le réveil des hommes, qui sans tarder, se rendaient à la synagogue pour leurs oraisons matinales. À leur retour à la maison, ils s’asseyaient comme des princes, autour de la table pour déguster mon excellent pain et boire le fameux thé à la menthe de Grand-mère, sucré à l’extrême.

Je n’avais déjà plus assez de temps pour me rendre à l’école qui se trouvait juste en face de notre demeure… j’avalai à la hâte un verre de thé brûlant, pendant que Grand-mère badigeonnait ma tranche de pain au beurre et au miel et plaçait le petit paquet dans mon cartable.

Avant de me ruer vers la porte, je jetais un coup d’œil sur elle, elle était la dernière à consommer son petit déjeuner…

« Va vite, la cloche vient de sonner, me disait-elle. N’oublie surtout pas de manger ta tranche de pain ! ajoutait-elle alors que je franchissais la  grande porte en hurlant, « Merci Mémé ».

Comme ces matins aigres-doux, cette hâte et cet entrain qui garnissaient mon enfance, me manquent. Je pétris toujours le pain comme le faisait Grand-mère, et à chaque bouchée, je la revois, avec son tablier, ses mains fébriles, son regard profond d’où irradiait son amour immense pour nous tous…

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