Le billet de Jean Corcos – Antisémitisme chez les jeunes, l’alerte

Le billet de Jean Corcos – Antisémitisme chez les jeunes, l’alerte

 
Flambée en milieu scolaire
 

Le 7-Octobre 2023 a entraîné une flambée des actes antisémites. En trois mois, leur total enregistré par le Service de Protection de Communauté Juive (SPCJ) montrait qu’ils étaient aussi nombreux que pour les trois années précédentes. L’année 2024 a hélas démontré que, en France comme dans le monde, il ne s’agissait pas d’un incendie maîtrisé : 1 570 actes antisémites recensés l’an dernier, la majorité concernant une atteinte aux personnes dont 106 agressions physiques, deux incendies de synagogues et le viol d’une fillette. L’an dernier, le SPCJ a recensé 192 actes antisémites en milieu scolaire, alors même que dans beaucoup d’établissements il s’agit d’un « antisémitisme sans Juifs ». Ce chiffre est aussi bien inférieur à celui publié par le ministère de l'Éducation nationale et celui de l'Enseignement supérieur (1 670) ; en effet, la majorité des actes à caractère antisémite signalés par les établissements à leurs ministères ne font pas l’objet de plaintes. La période post-7-Octobre a vu aussi un développement très inquiétant de l’antisémitisme en milieu universitaire (240 actes enregistrés par la ministre de l’enseignement supérieur pour l’année scolaire 2023-2024).

 
Deux études récentes dévoilent un antisémitisme plus important chez les moins de 35 ans

La radiographie publiée par la Fondapol et l’AJC établit un « indice de pénétration » à partir de l’adhésion à des opinions, tels que : « il est acceptable de faire une blague sur la Shoah » ; ou le pire « il est acceptable de bousculer ou avoir un comportement physique agressif envers un individu en raison de son soutien à Israël ». Plus de 23 % des jeunes se retrouvent dans ces affirmations (17 % pour l’ensemble des Français). Chiffres troublants : 14 % des moins de 35 ans disent éprouver de la sympathie pour le Hamas ; et 6 % disent que la Shoah est une invention.

Autre étude, publiée par l’Institut Ipsos. À partir d’une palette de seize préjugés antisémites, il est relevé que 46 % des Français adhèrent à six opinions antisémites ou plus, en hausse par rapport à 2020. Mais cette hausse est la plus forte chez les sympathisants de La France insoumise (LFI) (55 % dans cette tranche, dépassant ceux du Rassemblement National). À rebours du reste des Français, ils sont les moins nombreux à comprendre les craintes des Juifs ; les moins nombreux à voir l’impact de la guerre au Proche-Orient sur l’antisémitisme ; ceux qui éprouvent le moins de sympathie pour le peuple israélien ; et si 12 % des Français jugent que ce serait une bonne chose si les Français juifs quittaient leur pays, ce pourcentage monte à 20 % chez les soutiens de LFI. Ipsos ne donne pas une ventilation par âge, mais le recoupement est simple à faire avec les chiffres de l’élection présidentielle de 2022 : 34 % des Français de 25 à 34 ans avaient voté Jean-Luc Mélenchon, le plus populaire chez les jeunes avant Marine Le Pen (25 %).

 
Alors, pourquoi ?

Les explications simplistes ne suffisent pas : la réception positive aux pires messages de LFI pourrait être la même pour d’autres tranches d’âges, d’autant qu’on évoque souvent une jeunesse dépolitisée ; le fait que l’on ait plutôt une sensibilité de gauche quand on est jeune a toujours existé ; enfin, ceux qui ont de la mémoire savent que l’antisionisme était déjà porté par beaucoup de leaders étudiants de mai 1968, souvent trotskistes : mais ils ne se singularisaient pas par une outrance antisémite.

Une fois identifiés les nouveaux vecteurs de l’antisémitisme – pour le dire vite, l’islamisme militant pour les uns et la gauche radicale pour les autres – il faut décoder le ressort principal de leurs discours : il exprime une révolte vécue comme légitime. Or il est facile d’accepter des discours simplistes quand on n’a pas encore intégré la complexité du monde, par son expérience propre et par un minimum de culture ; soutenir, par exemple, l’affirmation « La création d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste » incite à croire qu’il serait simple d’y mettre fin, en reprenant le slogan du Hamas « From the river to the sea », entendu sur les campus aux États-Unis et ailleurs.

 
Une haine grandie dans un terreau fertile

L’effondrement scolaire dans trop d’établissements n’a certes pas aidé à appréhender l’histoire lointaine ou récente du Proche-Orient. Mais il y a pire. Toutes les études nous disent que la manière de s’informer n’est plus la même : les « millénium » sont passés directement à l’ère des smartphones, où le temps et l’espace sont condensés simultanément ; le numérique a permis des espaces de non droit et où les pires outrances peuvent se déchaîner ; et sans surprise, l’étude de Fondapol indique que ce sont ceux qui ont comme principale source d’information Youtube et les réseaux sociaux, qui sont les plus perméables à l’antisémitisme.

Utilisant un public a priori plus réceptif, des militants en nombre réduit mais très bien organisés sont parvenus à diffuser en milieu universitaire une rhétorique antisioniste radicale. Comme le mentionne le dernier rapport du SPCJ, « le martèlement de l'accusation mensongère de génocide, ainsi que son corollaire consistant à accuser les soutiens d'Israël d'être "pro-génocide", ont contribué à diaboliser l'image des Juifs en France et à justifier un comportement hostile ou insultant à leur égard ».

 
Autres motifs d’inquiétude

Sans négliger la réalité des préjugés antisémites chez une partie des électeurs des partis d’extrême droite, les Français juifs voient logiquement dans la mouvance des Insoumis la pire menace sur leur avenir. Or Jean-Luc Mélenchon et ses lieutenants ont développés un appareil militant et des discours taillés sur mesure pour les moins de 35 ans : députés jeunes, très présents et agressifs sur les réseaux sociaux ; jonction réussie avec les plus activistes de la mouvance islamiste ; et programme, certes démagogique mais « qui parle » à une jeunesse s’estimant – souvent à raison – déclassée par rapport aux générations précédentes.
Pour finir, une autre explication rarement évoquée : en raison à la fois d’une pression hostile et d’un retour familial à la religion, beaucoup d’enfants juifs ne fréquentent plus les écoles du public. Et ainsi, « le Juif », sa sensibilité, sa mémoire, ont presque disparu du paysage pour la jeunesse française d’aujourd’hui.

 

Jean Corcos

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