ADIEU CLAUDIA !!! Par Alain Chouffan

ADIEU CLAUDIA !!! Par Alain Chouffan
 
 
 
 
 
A Tunis, tu nous as fait rêver !! Nous t attendions à la sortie du Lycée Cambon. Ta beauté nous fascinait. Tu t en foutais. Tu sortais en courant du lycée ! Tu nous échappais !!!
Je me souviens de cette formidable soirée où tu as été élue la plus belle italienne de Tunisie. Tu nous a fait rêver !! On ne t oubliera JAMAIS !!
 
Ses yeux de braise se sont éteints et sa voix rauque s’est tue. La comédienne franco-italienne Claudia Cardinale, icône du cinéma des années 1960, est morte à l'âge de 87 ans"auprès de ses enfants" à Nemours (Seine-et-Marne) où elle habitait, a annoncé son agent, mardi 23 septembre.
"Elle nous laisse l'héritage d'une femme libre et inspirée tant dans son parcours de femme que d'artiste", a déclaré son agent Laurent Savry dans un message transmis à l'AFP.
 
BB la blonde et CC la brune
Dans les années 1960, il y avait BB la blonde et CC la brune. Comme Brigitte Bardot, avec qui elle joua dans Les pétroleuses, Claudia Cardinale alliait beauté, talent et tempérament. Claude, son vrai prénom, passe pour la plus française des actrices italiennes. Pourtant, à ses débuts au cinéma, elle ne parlait pas un mot d’italien et devait être doublée.
 
Née le 15 avril 1938 à La Goulette, près de Tunis (Tunisie), elle grandit dans une famille d’origine sicilienne installée en Tunisie. Le pays est alors sous protectorat français. La petite Claude parle sicilien en famille et français à l’école. Son père est ingénieur technique à la compagnie des trains à Tunis, sa mère élève ses quatre enfants : Blanche, Bruno, Adrien et Claude. Elle racontait que ses parents formaient un couple modèle, particulièrement fusionnel. Sa sœur rêvait de faire du cinéma. Claude se voyait, elle, plutôt institutrice ou exploratrice.
 
Garçon manqué et reine de beauté
Dans une interview accordée au journal Le Monde en 2017, elle racontait : "J’étais ce qu’on appelait un garçon manqué, toujours prête à me bagarrer pour démontrer que les fillesétaient au moins aussi fortes que les garçons. Une vraie casse-cou qui sautait toujours dans le train en marche pour se rendre à l’école à Carthage. Les conducteurs ont d’ailleurs fini par le dire à mon père, car c’était très dangereux. Mais rien ne me faisait peur."
 
A 17 ans, celle que l’on surnomme "la berbère" remporte un concours de beauté organisé par l’Office du cinéma italien. Elle est élue "plus belle Italienne de la ville de Tunis" et gagne un billet pour la Mostra de Venise. Il va la propulser malgré elle dans le monde du cinéma. Elle est si belle que les propositions de rôles affluent. En 2018, elle racontait cet épisode à l'AFP : "Tous les journalistes, les producteurs, me photographiaient et me demandaient de faire du cinéma. Et moi, je disais : non, je suis avec maman, je ne veux pas." Un journal fera même son portrait en titrant : "La fille qui ne veut pas faire de cinéma". La farouche Claude n’acceptera qu’une brève apparition dans Anneaux d’or, un court-métrage de René Vautier (le futur réalisateur du film Avoir 20 ans dans les Aurès). Ce tout premier film remporte en 1956 l'Ours d'argent au festival de Berlin-Ouest. Mais la jeune fille rêve toujours de devenir institutrice. C'est un drame qui va bousculer son destin.
 
L’enfant secret
Victime d’un viol en Tunisie, Claude tombe enceinte. Elle décide alors de regagner l’Italie pour fuir cet homme et choisit de faire du cinéma pour gagner sa vie et celle de son enfant. Elle se prénomme désormais Claudia et voit Rome comme une chance de pouvoir élever son fils en secret. Il est mal vu d’être fille-mère dans les années 1950. Le cinéma sera son refuge. Le producteur Franco Cristaldi, qui est aussi réalisateur, lui fait signer un contrat d’exclusivité et l’incite à prendre des cours de diction en italien. Parvenant à dissimuler sa grossesse, elle tourne trois films en sept mois. Le puissant producteur l’envoie ensuite à Londres où elle donne naissance à son fils en octobre 1958. Elle le prénomme Patrick "parce qu'on l'a baptisé à la Saint Patrick's Catholic Church",expliquait-elle.
 
Cet enfant restera un secret. Pendant de longues années, elle devra cacher qu’il est son fils. Son producteur la poussera même à raconter que ce bébé est son frère. Elle le confie à sa famille désormais installée à Rome. Une douleur indicible. Dans le magazine Parents, elle racontait en 2017 que son agresseur, le père de l’enfant, avait cherché à reprendre contact et à reconnaître son fils mais que le jeune Patrick avait refusé. Quand son fils a eu six ou sept ans, Claudia Cardinale a appelé un journaliste pour révéler son secret au grand public et se libérer ainsi du poids du mensonge.
 
Dans son premier long-métrage, Goha de Jacques Baratier, elle joue le rôle d'une femme voilée aux côtés d'un autre débutant prometteur, l'égyptien Omar Sharif. Sa carrière au cinéma décolle véritablement avec le succès du film Le pigeon en 1958. Une comédie à l’italienne produite par son mentor, Franco Cristaldi, avec Vittorio Gassman et le beau Renato Salvatori, futur époux d’Annie Girardot.
 
Le premier grand rôle de Claudia Cardinale date, lui, de 1960 aux côtés de Marcello Mastroianni dans Le bel Antonio, l'histoire d'un homme impuissant, incapable d’honorer sa jeune épouse qu’il aime trop. Elle a vingt-deux ans lorsque Luchino Visconti la fait tourner dans Rocco et ses frères avec Alain Delon. Ils se retrouveront dans un autre chef d’œuvre du maestro italien, Le guépard, Palme d’Or du festival de Cannes en 1963. Elle est sublime dans le rôle d’Angelica Sedara et danse une inoubliable valse avec Burt Lancaster.
 
La protégée de Visconti
Dans La matinale du Monde, le 14 mai 2017, elle se souvenait : "Cette époque-là était folle. Car j’ai tourné deux films en même temps (Huit et demi et Le guépard). Visconti, précis, méticuleux comme au théâtre me parlait en français et me voulait brune aux cheveux longs. Fellini, bordélique et dépourvu de scénario, me parlait en italien et me voulait plutôt blonde aux cheveux courts. Ce sont les deux films les plus importants de ma vie".
 
Elle disait avoir un lien particulier avec Luchino Visconti, l’homme le plus élégant et le plus cultivé qu’elle ait jamais rencontré. Elle racontait qu’il l’invitait souvent à dîner et qu’il cachait toujours un petit cadeau sous sa serviette. Dans le film Sandra qu’il dirigea de sa chaise roulante, Visconti avait souhaité qu’elle porte la vraie robe de mariée de sa mère.
 
Plus d'une centaine de films
Dans la même interview de 2017, Claudia Cardinale avouait que le cinéma était "un métier cannibale et ingrat". "A Hollywood où j’ai refusé de rester", précisait-elle, "encore plus qu’en Italie. Et surtout quand elles passent les 60 ans". La belle Claudia aura pourtant une carrière remarquablement longue, tournant plus d'une centaine de films entre 1958 et 2020.
 
Pour ne citer que les plus connus : La fille à la valise de Valerio Zurlini, Cartouche de Philippe de Broca, La panthère rose de Blake Edwards, La Ragazza de Luigi Comencini, Les Centurions de Mark Robson, Les Professionnels de Richard Brooks, Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, Les Pétroleuses de Christian-Jaque, Bons baisers d’Athènes de George Cosmatos, Le ruffian de José Giovanni, Hiver 54, l’abbé Pierre de Denis Amar... Cet ancien garçon manqué aimait les films d’action et adorait réaliser elle-même les cascades. Dans Le plus grand cirque du monde, elle faisait sans doublure les numéros au trapèze.
 
La meilleure invention de l'Italie
Hors caméra, elle a mis sa notoriété au service de multiples causes : les droits des femmes, des homosexuels, le combat contre le SIDA, contre la peine de mort avec Amnesty International…
Elle racontait n’avoir eu dans sa vie qu’un seul homme : "un très beau mec, un tombeur", le réalisateur napolitain Pasquale Squitieri, père de sa fille Claudia. Ensemble, ils tourneront dix films. Leur liaison durera vingt-sept ans jusqu’à sa mort en 2017. Dans les années 2000, Claudia Cardinale a aussi fait du théâtre. Elle ne comptait plus les récompenses et les prix obtenus aux quatre coins du monde dont un Lion d’Or d’honneur à la Mostra de Venise en 1993, là où tout avait commencé pour elle. Quand on lui demandait le compliment qui l’avait la plus touchée dans sa vie, elle citait ce mot du comédien David Niven : "Après les spaghetti, c’est la meilleure invention de l’Italie".
 
 
 
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