Cannabis : un comité d’experts français donne son feu vert pour l’usage thérapeutique
Les experts estiment que la plante peut être utilisée pour soulager, par exemple, les contractions musculaires affectant les personnes souffrant de sclérose en plaques.
Par François Béguin - Le Monde
La législation française prohibant indistinctement cannabis médical et cannabis « récréatif » pourrait bientôt évoluer. Le comité d’experts mis en place par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a jugé, jeudi 13 décembre, « pertinent d’autoriser l’usage du cannabis à visée thérapeutique dans certaines situations cliniques et en cas de soulagement insuffisant ou d’une mauvaise tolérance des traitements accessibles ».
Dans son avis, le comité dresse la liste des situations dans lesquelles la plante de cannabis pourrait être utilisée : douleurs réfractaires, certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, soins de support en oncologie, situations palliatives ou spasticité douloureuse de la sclérose en plaques. Soit au total, selon les chiffres généralement avancés par les associations de patients, entre 300 000 et un million de personnes en France.
Les treize membres du comité se prononcent pour une « évolution de la législation » tout en posant d’emblée d’importantes limitations. Le cannabis ne devrait par exemple pas être fumé, en raison des « risques pour la santé » liés à la combustion. Ils souhaitent aussi que les patients autorisés à faire usage de ce cannabis soient suivis via un « registre national », afin de permettre une évaluation du « bénéfice-risque » du produit.
S’il ouvre la voie à une légalisation encadrée du cannabis à usage médical, cet avis n’est qu’une première étape. L’ANSM devrait d’abord « dans les prochains jours » décider « des suites à donner à ces travaux » et annoncer sa position. Un avis similaire à celui du comité technique constituerait le véritable feu vert au cannabis thérapeutique.
« Conditions draconiennes » ?
« L’ANSM a choisi les membres du comité, a donné la feuille de route, difficile pour elle de faire marche arrière », estime Yann Bisiou, spécialiste du droit de la drogue à l’université Paul-Valéry-Montpellier-3, qui se demande toutefois si l’agence ne peut pas assortir son feu vert de « conditions draconiennes » qui aboutiraient à « un système tellement lourd (enregistrement des patients, délivrance en pharmacie hospitalière) qu’il soit inefficace ».
Il reviendra d’ailleurs au comité d’experts de détailler au cours des six prochains mois les conditions de mise en place de ce cannabis thérapeutique.
Que prescrira précisément le médecin ? Tous les médecins pourront-ils en prescrire ou seuls quelques spécialistes (neurologues, cancérologues) seront-ils autorisés à le faire ? Pourront-ils le faire en première intention ou uniquement en cas d’échec avéré d’un médicament ? Quel remboursement par la Sécurité sociale ? Comment les patients se procureront-ils du cannabis ? Sous quelle forme sera-t-il dispensé ? Si la voie fumée est exclue, resterait le vapotage, les suppositoires ou les infusions.
Parallèlement à cette longue liste de questions, les politiques devront également s’emparer de la question. La ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn a déjà dit être prête à avancer si elle avait le feu vert des scientifiques. « Je n’ai absolument pas de doctrine arrêtée sur le sujet. Soit c’est utile et nous le ferons, soit les médicaments sous forme de comprimés suffisent et on s’arrêtera là », avait-elle déclaré en juillet.
« Pas de raison que ça traîne »
Olivier Véran, le député (La République en marche) de l’Isère, neurologue de profession, se positionne en pointe sur ce sujet. « On peut avancer très vite, dans l’année, il n’y a pas de raison que ça traîne trop », a-t-il fait valoir lors d’un colloque sur les enjeux de la légalisation du cannabis thérapeutique, le 5 décembre, à l’Assemblée nationale. « Pas besoin de changer la loi, il faut changer un mot dans un décret », a-t-il lancé à la tribune, en proposant la mise en place d’un site de production, d’un circuit de distribution par les pharmacies hospitalières et d’un suivi de chaque patient.
En France, un seul médicament, le Sativex, a obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM) en 2014 pour les raideurs et contractions musculaires (« spasticité ») de la sclérose en plaques, mais il n’est pas commercialisé faute d’accord sur le prix entre le laboratoire et les autorités de santé. D’autres médicaments comme le Marinol sont accessibles uniquement avec une autorisation temporaire nominative, ce qui en restreint considérablement l’usage.
Les patients français qui sont soulagés par le cannabis thérapeutique sont jusqu’à présent contraints de se fournir sur le marché illégal, sans garantie sur la qualité des produits, ou d’aller dans des pays où le cannabis médical est autorisé, comme la Suisse. « Ils sont amenés à vivre un parcours du combattant pour se fournir », a souligné le docteur Pascal Douek, membre de Fondation ARSEP pour la recherche sur la sclérose en plaque, le 5 décembre, pointant également un aspect financier « important », réservant de fait cette plante à « une frange de la population qui en a les moyens ».
Une trentaine de pays dans le monde dont de nombreux Etats américains et le Canada autorisent le cannabis thérapeutique, dont vingt et un de l’Union européenne ainsi que la Suisse, la Norvège, Israël et la Turquie.