Beer-Sheva : les coutumes des Juifs tunisiens dans une exposition intimiste
Caroline Haïat
Cette nouvelle exposition explore la richesse du patrimoine des Juifs tunisiens
Tableaux aux couleurs de la Tunisie, bijoux, orfèvrerie d’époque, animations vidéos, projection holographique, musique judéo-arabe ou encore tenues traditionnelles: la nouvelle exposition d’Eliahou Eric Bokobza, "Affaire de famille" présente de manière inédite et intimiste la culture et les coutumes des Juifs tunisiens des 19e et 20e siècles. Inaugurée le 20 septembre au Musée de la culture islamique et du Proche-Orient à Beer-Sheva dans le sud d'Israël en partenariat avec l’Institut français, cette exposition fascinante plonge le visiteur dans l’univers judéo-arabe et redonne au sépharade de Tunisie, la place qu’il mérite en Israël, dans une société où la réputation donnée au "mizrahi" est souvent faussée. Découverte.
Tout au long du parcours, le visiteur pénètre pièce par pièce dans la maison reconstituée des parents de l’artiste, qui ont quitté la Tunisie pour Paris avant d’immigrer en Israël en 1969, et explore le quotidien d’une famille juive typique de Tunis, ponctué de traditions. A travers le prisme de l’art, la Tunisie, la France et le sionisme s’entremêlent dans chacune des oeuvres de l’artiste israélien Eliahou Eric Bokobza.
A la recherche de l’identité
Eliahou Eric Bokobza est arrivé en Israël à l’âge de 6 ans et a hérité de la culture judéo-arabe de ses parents juifs tunisiens tout en s'intégrant parfaitement à la société israélienne. Il s’est inspiré de cette transmission pour réaliser, depuis deux ans, ses œuvres qui dépeignent l’appartenance multiple et le sentiment identitaire fort qu’il souhaite véhiculer.
"Cette exposition est en réalité une réflexion sur ma première exposition 'plaisir oriental' en l’an 2000. Mon art est une sorte d’inspection de toutes les facettes de mon identité. Je suis né à Paris mais je ne suis pas Français, je suis fils d’immigrés tunisiens qui se sont installés en Israël. Je me définis comme Israélien, juif, de culture française et de souche nord-africaine", a affirmé Eliahou Bokobza à i24NEWS.
"L’exposition est née d’un 'malaise' envers le terme de mizrahi. En hébreu, la définition est raciste et ne comprend aucune nuance entre les juifs sépharades, alors qu’en réalité nous sommes tout à fait différents. En outre, dans la société israélienne, il y a un refus d’admettre que la culture des Juifs qui vivaient dans les pays arabes est imbibée de la culture de l’islam et c’est ce que j’ai voulu montrer ici. Je souhaitais aussi faire apparaître une autre facette de la culture tunisienne qu’on ne met pas assez en avant dans la société israélienne et évoquer le fait que le racisme découle de l’ignorance, il faut donc commencer par apprendre l’histoire des Juifs de Tunisie", a-t-il poursuivi.
Certains objets, poteries, bijoux et vêtements ont été directement collectés auprès de la communauté juive tunisienne en Israël pour les besoins de l’exposition qui s’ouvre sur un passeport tunisien dans lequel on découvre une photo d’Eliahou et de sa maman. "Le métissage de la culture française, judéo-sioniste et arabo-musulmane, c’est un concept qui existait déjà chez mes grands-parents et je l’ai notamment matérialisé avec la représentation d’une pierre tombale d’une femme où français, hébreu et arabe cohabitent", raconte Eliahou.
Séder de fêtes avec chant de Pessah en animation, fête des garçons (Itro) ou encore repas traditionnels et relations amoureuses entre hommes et femmes d’autrefois sont représentés grâce au mobilier d’époque modernisé par Eliahou et au trousseau de sa maman, permettant au visiteur de ressentir pleinement l’atmosphère qui régnait dans leur demeure.
"Ma mère est décédée il y a plus de 17 ans et j’ai grandi en sachant qu’elle avait dans ses tiroirs son trousseau de jeune mariée, avec des nappes et des draps brodés d’un point musulman, ainsi que des bijoux. L’unique chose que j’ai fait pour préserver cette mémoire, c’est l’introduire par petite touche à l’intérieur de mon art", a affirmé Eliahou ajoutant que chez ses parents, ces objets rappelant la culture tunisienne faisaient partie intégrante de son éducation. "J’ai voulu perpétuer le lien que ma mère avait avec ses objets qu’elle a conservés toute sa vie, et d’une certaine manière les rendre atemporels".
La référence au mauvais oeil
Dans plusieurs tableaux d’Eliahou, l'œil, la khamsa ou encore les poissons sont présents en nombre. Dans la culture juive tunisienne, la peur du mauvais œil est très présente et importante. L’artiste lui a notamment donné une place prépondérante dans une pièce consacrée à la cuisine en multipliant les amulettes pour se prémunir de cette croyance selon laquelle un regard, un éloge ou un compliment d'une personne à une autre aurait le pouvoir de faire peser une malédiction sur cette dernière.
"Il y a des nuances dans les coutumes parmi les Juifs tunisiens, chez ceux originaires de Tunis, c’est très mal perçu de montrer des amulettes contre le mauvais oeil, tout le monde le craint mais c’est offensif de mettre une khamsa ou un oeil bleu chez soi. Je reprends donc ce motif là de manière ironique et j’aborde une notion qui est cachée en la mettant en lumière. Pour certains, ces amulettes fonctionnent et sont mal vues car elles ont une vraie force", explique Eliahou.
Cette exposition ludique offre une réelle immersion dans la culture judéo-arabe et éclaire son influence dans la société israélienne. "Le propre de la culture tunisienne est de préserver son identité tout en respectant les cultures environnantes et vivre à leurs côtés. L’art peut, je le crois, aider à changer la façon de penser des gens", a conclu Eliahou.
Le vernissage aura lieu le 20 septembre à 18h. Une rencontre avec l’artiste est organisée le 23 septembre à 10h30 modérée par le Dr Sharon Laor-Sirak, commissaire de l'exposition, suivie, d’une conférence avec Sonia Fellous, docteur à l’Institut de Recherche et d'Histoire des Textes, CNRS-Paris, sur le thème "Patrimoine culturel des Juifs de Tunisie : un héritage en péril". L’exposition est à découvrir jusqu’en mai 2024, 60 rue Hatsmaout à Beer-Sheva.
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