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Judaisme et Bouddhisme

 

Judaisme et Bouddhisme

 

 

Les JUBUs

Pour Leo Baeck le bouddhisme se trouverait aux antipodes absolues du judaïsme. Celui-ci préconiserait l’action éthique, alors que celui-là se caractériserait par « le retrait par rapport à l’homme et l’univers. »[1] Cet avis est loin d’être universellement partagé dans les milieux juifs.  30% des Américains ayant un rapport étroit avec le  bouddhisme sont juifs alors que la yichouv américaine ne représente que 2,5% de la population nationale.[2] La même proportion vaut pour les professeurs et chercheurs poursuivant des études sur le bouddhisme en USA.

On les appelle JUBUs (Buddhist Jews). Parmi leurs représentants illustres figurent le poète Allan Ginsberg et le poète-chanteur Leonard Cohen, devenu prêtre dans une communauté Zen. Que cherchent-ils, par quoi sont-ils attirés ? Est-ce que judaïsme et bouddhisme sontcompatibles ?

Le Dalaï Lama et les Juifs

En 1994 parut  « The Jew in the Lotus » (Le Juif dans le lotus), un livre qui fit date. L’auteur, le poète Rodger Kamenetz, y fait le rapport de lapremière rencontre interreligieuse entre le Dalaï Lama et une équipe constituée par des rabbins et intellectuels Juifs à Dharamsala en 1990.[3]Elle se fit à la demande du Dalaï Lama. Les participants ne furent pas des inconnus. Parmi eux se trouvaient Paul Mendes-Flohr (Université de Chicago), auteur de nombreux ouvrages sur le judaïsme moderne, les rabbins Irving (« Yitz ») Greenberg, Jonathan Omer-Man et ZalmanSchachter. La presse juive dénonça leur démarche comme apostasie et idolâtrie, même si la plupart des membres de l’équipe étaientpratiquants (allant de l’orthodoxie au judaïsme reform), certains même scrupuleusement. Il ne se rendirent d’ailleurs pas à Dharamsala le cœurléger. Plusieurs questions les préoccupaient.

D’une part leur participation à la rencontre interreligieuse fut motivée par un constat d’échec. « En matière de spiritualité, l’orthodoxie juivereprésente le troisième monde,»[4] estima le rabbin (orthodoxe) Yitz Greenberg. « Que pouvons nous apprendre aux bouddhistes ? » sedemanda le rabbin Joy Levitt, « Mangez de la soupe de poulet, envoyez vos enfants au Talmud Tora et tout sera en ordre ! »[5] Le rabbin Zalmancompara la rencontre avec le Dalaï Lama avec l’enseignement qu’Abraham reçut de Melchisédec : « Comme Abraham nous voyageons loin dechez nous pour apprendre la sagesse auprès d’un maître non-juif. »[6] D’autre part les membres de l’équipe avaient une appréhension grave. Asupposer que le séjour à Dharamsala leur apporte vraiment la spiritualité recherchée et soi-disant absente dans le judaïsme, pourquoi, dèslors, rester encore Juifs ?[7]

Kabbale et bouddhisme

On pouvait s’y attendre. Pendant la rencontre un rapprochement entre la Kabbale et la théologie bouddhiste se produisit. Le point commun futfacilement trouvé. Selon la Kabbale la nature de Dieu est indicible, ineffable. Dieu c’est l’en sof, le « sans-limites, » et cette notion se rapprochedu néant ou vide vers lequel tend la méditation bouddhiste.

Dans ce contexte le Dalaï Lama dit : « Nous n’acceptons pas la notion d’un dieu créateur ou omnipuissant. Cependant, si Dieu signifie vérité ouréalité ultime alors nous avons un point de similarité avec la notion bouddhiste du shunyata, c’est-à-dire avec celle de la vacuité. »[8] Vacuïté est un terme qui désigne l’idée qu’aucune chose n’a d’existence réelle et que derrière les phénomènes que nous percevons il n’y a rien.

Un autre point de discussion furent les stratégies de survie adoptées respectivement par le peuple juif et le peuple tibétain. L’occupation du Tibet par la Chine et l’exil du Dalaï Lama fait notamment écho à ce que le peuple juif avait vécu sous l’occupation romaine et l’exil qui s’ensuivit. Selon Kamenetz le secret de la survie du peuple juif consisterait dans le fait que « les Juifs préservent en vie non seulement les joies mais également les hostilités du passé (comme cela se voit dans les fêtes de Pesach et Pourim).»[9] En effet, dans l’imaginaire juif, les ennemis pullulent (Amalek, Pharaon, Hamann et consorts). Le Dalaï Lama se dit réservé par rapport à la notion d’ennemi : « Le bouddhisme adopte une autre attitude par rapport à l’ennemi. (…) Le soi-disant ennemi, ou le facteur extérieur, c’est quelque chose de secondaire. La force principale est la nôtre, parce que des choses négatives se produisent à cause de nos propres actions (dans cette vie-ci ou dans une vie antérieure). Pour cette raison nous avons le potentiel de changer cela. Pourquoi ne pas créer une action qui apporte des résultats positifs ? »[10]  Ces mot eurent un impact très fort sur l’auditoire juif. Paul Mendès-Flohr rentra chez lui avec une conscience accrue des effets du grief collectif sur la conscience individuelle[11] et Jonathan Omer-Man fonda un école de méditation à Los Angeles. Rabbi Zalman Schachter résuma ce qu’il avait retenu des mots du Dalaï Lama comme suit : « Si tu veux rester en prison toute ta vie, alors deviens geôlier. Sois vindicatif, sois fâché, dis que tu ne pardonneras jamais à telle ou telle personne. Ceux qui disent qu’ils ne pardonneront jamais aux Allemands sont toujours dans un camp nazi. »[12] Le professeur Nathan Katz y ajouta : « Si nous ne transmettons pas aux Juifs la joie et la transcendance que notre tradition offre, si nous leur apprenons seulement qu’il faut être sur ses gardes, nous allons les perdre. »

Commentaire  

La recontre de Dharamsala donna lieu à une interrogation nouvelle des participants juifs par rapport à leur tradition. En ceci, elle fut un enrichissement. Une chose cependant me dérange, c’est la quête de spiritualité à l’œuvre dans l’esprit des Juifs qui se rendirent chez le Dalaï Lama. Que veut dire ‘spiritualité’ ? C’est un terme vague, désignant un désir dont l’objectif plane au-dessus des nuages. De surcroît le rapprochement établi pendant le colloque entre l’indicible (« le vide ») des kabbalistes (‘ein sof ‘) et celui des bouddhistes ne tient aucunement.  L’en sof se réfère à la nature ultime : Dieu. Selon le bouddhisme, par contre, les dieux sont mortels et la conscience humaine peut dépasser la leur. Dans le monothéisme telle affirmation serait inconcevable.

Pour cette raison je voudrais poser la question autrement : Est-ce vraiment une spiritualité éthérée que le bouddhisme a à nous offrir ? Comme le judaïsme, le bouddhisme est une pensée qui se construit à travers l’étude méticuleuse des textes fondateurs (les sermons du Bouddha) et leur commentaire infini. Le judaïsme n’est pas plus ou moins ‘spirituel’ que le bouddhisme ; c’est une spiritualité différente émergeant de prémisses différentes.

Quelles sont les principes de base du bouddhisme ? En quoi diffèrent-ils du judaïsme et pouvons nous en tirer quelque chose ?

Bonheur versus souffrance

Dans le judaïsme le bonheur est l’état initial de l’homme car la création est parfaite, ou presque. La souffrance est causée pas la transgression. L’obéissance aux commandements amène le bonheur et la prospérité, elle augmente le nombre de nos jours. Cette notion métaphysique est omniprésente dans la Bible (exception faite pour le livre de Job) et encore plus dans le Talmud, malgré les souffrances subies par l’occupation romaine et la destruction du Temple.

Déjà le mythe d’Adam et Eve, créés dans le bonheur le plus absolu et chassés du Gan Eden par leur désobéissance, illustre cette prémisse d’une manière frappante. La notion de « justice immanente » (si tu fais le bien, tu seras heureux ; si tu agis mal, tu souffriras) est également le fil conducteur manifeste du livre des Chroniques : tel roi d’Israël fit ce qui « plut à Dieu » et il vit longtemps, tel autre fit ce qui « déplut à Dieu » et mourut jeune.

La notion de « justice immanente » est également centrale dans le bouddhisme mais elle y reçoit une articulation différente. Tous, nous payons les factures de nos fautes et recueillons la récompense de nos actes positifs. Le mot « karma » qui dénote cette justice implacable ne signifie d’ailleurs rien d’autre que « acte ». Nos vies sont le produit de nos actes. Contrairement au judaïsme il ne s’agit pas seulement des actes posés dans cette vie-ci, mais également dans nos vies antérieures. Or, dans l’immense cycle de nos vies il y a eu inévitablement un grand nombre d’actes négatifs. Ainsi nous souffrons tous dans cette vie-ci. Que nous soyons nés pauvres, que nous ayons une santé faible ou que nous soyons riches mais dépressifs, tous nous souffrons d’une manière ou d’une autre. Pour cette raison la souffrance est la donnée de base du bouddhisme.

La pratique bouddhiste

Le bouddhisme part donc d’une expérience très concrète : la souffrance. Il procède également par un questionnement très simple : comment en sortir ? La méthode préconisée est la méditation qui consiste avant tout à identifier la nature de notre souffrance et à en examiner les causes.[1]La soi-disant ‘spiritualité’ du bouddhisme émane d’un objectif très clair et éminemment concret : éliminer progressivement les origines de notre souffrance. Si elle est d’ordre physique, nous devons faire attention à notre nourriture ; si elle est d’ordre moral, nous devons maîtriser les émotions qui l’engendrent : tout d’abord l’égo, ses soifs et ses attachements, ensuite les sentiments négatifs comme l’aversion, l’angoisse, la convoitise, la haine, l’irascibilité etc. Ce parcours nous permettrait d’accéder au bonheur. La béatitude absolue consiste à avoir éliminé toutes les causes de notre malheur, ce qui, à coup sûr, transforme notre conscience.

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