MAGMA ET CONFUSION AU MOYEN ORIENT
Au Moyen Orient, pour se perpétuer, les régimes autoritaires favorisent le courant islamique, voire même islamiste, car
- il est anti-libéral, anti-réformateur, anti-moderniste, il est donc un allié contre les partis d'opposition qui risquent d'emporter l'adhésion d'un peuple recherchant la liberté
- il sert aussi d'épouvantail vis-à-vis de la population et des bailleurs de fonds étrangers, pour lesquels le pouvoir en place apparaît alors comme un rempart contre le risque d'une république islamiste, plus coercitive que le régime en place.
Mais les Occidentaux se demandent toujours pourquoi ces régimes autoritaires pourchassent les partis libéraux et réformistes. La réponse est qu'aux yeux des régimes dictatoriaux, ils constituent une menace crédible pour leur pouvoir absolu, beaucoup plus que les partis islamistes qui sont supposés contrôlés ou contrôlables. Les partis "modernes", proches de l'Occident sont ainsi étouffés dans l'œuf, sous un prétexte ou un autre.
Parfois dans certains pays arabes, on crée une opposition factice qui est contrôlée par l'appareil d'état. Cette opposition permet de canaliser toutes les frustrations et revendications du peuple, en formulant des critiques acceptables.
Mais souvent ce n'est pas nécessaire, car Israël et l'Amérique restent les exutoires de choix des haines rentrées et là toutes les critiques sont autorisées et même encouragées
(séries télévisées, livres, caricatures…)
Dans certains cas, les partis libéraux d'opposition se prêtent à ce jeu, adoptant même les arguments de leurs rivaux islamistes, espérant perdurer et l'emporter un jour (Egypte). Mais en général, ils prennent le chemin de l'exil ou se taisent.
Pourvu qu'ils n'attaquent pas trop fort le pouvoir en place, ce sont les religieux et les "forces obscures" qui forgent en fait l'opinion publique. Ainsi les sociétés arabes sont aujourd'hui prisonnières de 2 autorités qui se tiennent par la barbichette:
- la dictature en place
- la caste religieuse des imams, sheikhs, mollahs…
La monarchie parlementaire reste le régime le moins mauvais parmi les régimes autoritaires du Moyen Orient (Maroc, Jordanie, certains émirats) et le plus ouvert à la démocratie. Mais la démocratie, les urnes libres ou la rue dans la confusion peuvent amener au pouvoir un régime islamiste, comme en Iran en 1979, en Afghanistan ou récemment à Gaza. C'est ce que craint le roi Abdallah II
Albert Soued pour www.nuitdorient.com le 20 novembre 2007.
5 - CRAIGNANT LES ISLAMISTES, LA JORDANIE AJUSTE SON SYSTEME ELECTORAL
Par THANASSIS CAMBANIS
Paru dans le New York Times du 11 novembre 2007
Article traduit par Fred Rothenberg pour www.nuitdorient.com
Amman, Jordanie – Les élections législatives de ce mois étaient supposées constituer un gué dans la marche lente mais définitivement engagée de ce royaume pro-américain vers un changement démocratique.
Mais l’accession au pouvoir du Hamas dans l’Autorité Palestinienne et sa prise de contrôle violente à Gaza en juin dernier ont jeté une ombre considérable sur la politique jordanienne, où un monarque Hachémite maintient une autorité ferme sur une majorité Palestinienne rétive et une opposition islamique activiste.
Le gouvernement a donc abandonné ses plans visant à modifier une loi électorale byzantine, a interdit à certains opposants de se présenter et a menacé d’interdire les bureaux de vote à certains observateurs indépendants. Et moins de 2 semaines avant le vote du 20 novembre, les candidats de l’opposition ont accusé le gouvernement de fraude électorale rampante.
Les craintes du gouvernement se sont fait entendre dans certains milieux de l’élite libérale qui il y a juste deux ans poussaient pour une révision du système politique qui aurait autorisé les partis nationaux et des élections équitables. En fait le système jordanien restreint non seulement les islamistes, mais aussi les partis libéraux laïques et ceux qui défendent les droits des palestiniens.
Nombreux sont dans l’opposition ceux qui accusent le gouvernement d’agiter le spectre du développement de l’islamisme pour justifier un pouvoir autocratique. "Nous avons la démocratie, mais nous ne voulons pas qu’elle dégénère au point où les extrémistes dirigeraient le pays" a déclaré Hakem Habahbeh, un pilote qui s’exprimait au QG de campagne d’Ahmed Saffadi, dans un quartier libéral et aisé d’Amman. M. Saffadi, un ancien officier de l’armée reconverti dans le secteur des téléphones cellulaires est candidat au Parlement dans la 3ème circonscription de la capitale.
La discussion politique s’est prolongée tard dans la nuit et a porté sur différents sujets: la hausse des prix, le chômage et la crainte que les islamistes jordaniens puissent suivre l’exemple du Hamas et s’emparer du pouvoir. "Nous ne pouvons avoir plus de libertés immédiatement, les conditions ne le permettent pas" a expliqué Ahmed Salim, un autre collaborateur de Saffadi. "Avec les exemples de désordres dans les régions voisines, Cisjordanie, Gaza et Irak", expliquait-il "les libéraux jordaniens ont mis de côté leurs demandes de libertés politiques". "La Jordanie a besoin de stabilité" insistait M. Salim qui est un fonctionnaire à la Mairie, "nous ne voulons pas de troubles".
Le ralentissement de la démocratisation a aliéné le seul parti significatif de l’opposition en Jordanie, le Front d’action islamique des Frères Musulmans qui recueille un soutien notable dans les zones urbaines, en particulier auprès des jordaniens d’origine palestinienne. Le parti n’aligne que 22 candidats, moins qu’en 2003, disant qu’il n’avait aucune chance contre la large fraude gouvernementale qu’il pressentait.
Le Front d’action islamique a boycotté les élections municipales en juillet arguant que le gouvernement envoyait des soldats dans différents districts en leur ordonnant de voter pour les candidats pro-gouvernementaux.
Bien que certains dans ce Parti soutiennent qu’il vaudrait mieux participer aux prochaines élections, même si le vote est manipulé, Zaki Bani Rsheid, le Secrétaire-Général, a tranché pour un autre boycott. M. Bani Rsheid soutient que dans une élection totalement ouverte les islamistes auraient gagné de nombreux votes et le droit de former le gouvernement. (Au cours de la dernière élection parlementaire en 2003,
le Front d’action islamique a gagné 17 des 110 sièges)."Nous avons fourni au gouvernement une légitimité et nous n’avons rien reçu en retour" vitupérait-il cette semaine. "Cette élection ne sera pas loyale".
Les islamistes jordaniens ont la plus grande liberté dans la vie politique de tous les pays arabes, mais M. Bani Rsheid maintient que le gouvernement insiste pour n’avoir "ni réforme, ni changement politique, ni démocratie" car dit-il "ils comparent avec ce qui est arrivé avec le Hamas".
Le parlement élu n’a en Jordanie que des pouvoirs limités face à la monarchie lourdement centralisée, mais peut néanmoins introduire une législation, ce qu’il fait rarement, et censurer le cabinet, ce qu’il a fait parfois. Les 110 sièges seront pourvus aux élections.
Les organismes jordaniens indépendants ont formé des milliers de contrôleurs et ont vérifié la campagne pour y relever les irrégularités et ils sont surtout opiniâtrement en désaccord avec le gouvernement sur l’accès aux bureaux de vote. Déjà des candidats ont affirmé que le gouvernement a déplacé illégalement des listes de dizaines de milliers de votants vers des endroits où les candidats gouvernementaux ont besoin de voix. Le gouvernement a nié ces accusations, mais a refusé d’ouvrir les registres électoraux pour vérification.
Deux personnes ont été arrêtées, soupçonnées d’achat de votes. Des analystes comme Nahed N. Hattar, un chrétien qui écrit pour journal Arab al Youm, déclare que de tels achats de vote sont occultes. M. Hattar met en cause un afflux de fonds de riches candidats et de divers groupes de pression au sein même du gouvernement qui offriraient de l’argent pour améliorer les positions de leurs blocs parlementaires.
Au-delà des allégations de fraude, le système électoral est élaboré pour rendre difficile la participation des islamistes et des autres candidats d’opposition.
La loi électorale réserve des sièges parlementaires pour les femmes, et les minorités chrétienne et circassienne. Certains districts surreprésentent les zones rurales où les tribus jordaniennes sont importantes et sous-représentent les zones urbaines dominées par des jordaniens d'origine palestinienne.
Ici, dans la capitale où plus d’un tiers de la population jordanienne réside, chaque député représente environ 95.000 électeurs. Dans les provinces rurales d’Al Karak et d’At Tafilah, au contraire, chaque député ne représente que 2.000 électeurs.
Le gouvernement ne s’est pas privé d’intervenir directement. En octobre les autorités ont empêché Toujan-al-Faisal, ancienne député et critique virulente de la corruption gouvernementale, de se présenter en raison d’une inculpation datant de 2002 "d’atteintes à la dignité de l’Etat". Mme Faisal a passé 100 jours en prison pour offense au gouvernement dans une affaire d’assurance voiture.
"Ici le chef d’un gouvernement corrompu décide qui peut ou ne peut pas être candidat" a souligné Mme Faisal à son domicile. "Ils veulent un gouvernement qui ne demandera pas de comptes au gouvernement pour sa corruption"
Pour la plupart, les candidats se sont focalisés sur des sujets comme la lutte contre l'inflation ou la promotion des jeunes. Cependant certains slogans et discours ont exploré des points délicats, comme le lien entre les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, avec ceux de Jordanie, où la population est palestinienne à 30/60%, selon les estimations, la fourchette crédible étant 50/60%.
La campagne de Najati al Shakhshir, un homme d'affaires palestinien qui a fait le plus clair de sa fortune dans la location de voitures en Jordanie/Irak, est essentiellement centrée sur la revendication de plus de droits pour les Palestiniens qui, par exemple, ne peuvent prétendre à avoir des postes importants dans l'armée. "Quel que soit leur lieu de naissance, tous les Jordaniens devraient avoir les mêmes droits et les mêmes obligations", dit Najati al Shakhshir, dont la famille est originaire de Naplouse.
Ces propos alarment les analystes qui y voient une source de tensions entre Jordaniens de différentes origines.
Et le parti des Frères Musulmans n'a rien fait pour atténuer les craintes suscitées par la prise de pouvoir du Hamas à Gaza. Hamza Mansour est un ancien Secrétaire Général du Front d'Action Islamique et il mène une campagne avec un langage identique à celui du Hamas, semant la zizanie. "Nous ne devons pas abandonner la résistance, ni le droit au retour des réfugiés et nous devons condamner le bouclage de Gaza…!", dit cet homme originaire de Haifa. Lors d'un rassemblement électoral dans un quartier déshérité d'Amman, Mr Mansour – en costume/cravate, mais portant l'écharpe tribale sur la tête – a projeté des images des combattants du Hamas, masqués et armés, à environ 75 hommes. Ses affiches montrent 2 épées croisées autour du livre du Coran, avec la mention "Choisis l'Islam comme arme!" Et il hurlait d'une voix rauque "le système politique a défiguré la démocratie…Ne les laissez pas nous ramener en arrière!..."
Jordan, Fearing Islamists, Tightens Grip on Elections
By THANASSIS CAMBANIS - NYTimes
November 11, 2007
AMMAN, Jordan, Nov. 9 — This month’s legislative elections were supposed to be a watershed in this pro-American kingdom’s slow but committed march to democratic change.
But Hamas’s rise to power in the Palestinian Authority and its violent takeover of Gaza in June have cast a heavy shadow over politics in Jordan, where a Hashemite monarch maintains a tight, authoritarian grip on a restive Palestinian majority and an activist Islamic opposition.
As a result, the government has dropped plans to change its byzantine electoral law, prohibited some critics from seeking office and threatened to bar independent observers from the polls. And, with less than two weeks before the Nov. 20 vote, opposition candidates are accusing the government of rampant voter fraud.
The government’s fears have resonated in some quarters of the liberal elite that just two years ago was pushing for a political overhaul that would allow national parties and free, fair elections. But Jordan’s system restrains not only Islamists but also secular liberal parties and advocates of Palestinian rights. Many in the opposition accuse the government of using the specter of rising Islamism to justify autocratic rule.
“We have democracy, but we don’t want it to go to an extent where the radical people could rule the country,” said Hakem Habahbeh, a pilot who was spending a recent evening at the campaign tent of Ahmed Saffadi, in a wealthy, liberal enclave. Mr. Saffadi, a former military officer and now a cellphone company executive, is running for Parliament from the third district of Amman, the capital. Political discussion in the tent ran late into the evening. Most of the talk involved rising prices and unemployment, and fear that Jordan’s Islamists could follow the example of Hamas and rise to power.
“We can’t have more freedom right now, conditions don’t allow it,” said Ahmed Saleem, another Saffadi backer at the tent. With the examples of disorder nearby in the West Bank, Gaza and Iraq, he said, liberals in Jordan have set aside demands for political freedom.
“Jordan needs stability,” said Mr. Saleem, a bureaucrat in the mayor’s office. “We don’t like to make trouble.”
The slowdown in democratization has further alienated Jordan’s only significant opposition party, the Muslim Brotherhood’s Islamic Action Front, which commands deep support in urban areas, especially among Jordanians of Palestinian origin. The party has put forward 22 candidates, even fewer than it did in 2003, saying they would not stand a chance against the widespread government fraud it expects.
The Islamic Action Front boycotted municipal elections in July amid charges that the government was busing soldiers to districts and ordering them to vote for pro-government candidates.
Though some in the party say it would be better to participate in the coming elections, even if the voting is compromised, Zaki Bani Rsheid, the secretary general, argued for another boycott.
Mr. Bani Rsheid contends that in a completely open election, Islamists would win a plurality of votes and the right to form a government. (In the last parliamentary election in 2003, the Islamic Action Front won 17 of 110 seats.)
“We gave the government legitimacy and got nothing in return,” he fumed this week. “The election will not be fair.”
Islamists in Jordan have been given greater latitude to take part in political life than in most Arab countries, but Mr. Bani Rsheid says the government insists on “no reform, no political change, no democracy,” because “they are looking at what happened to Hamas.”
The elected legislature has limited powers in Jordan’s heavily centralized monarchy, but the body has the authority to introduce legislation, which it rarely does, and to censure the cabinet, which it has done on occasion. All 110 legislative seats will be decided in the election.
Independent Jordanian groups have trained thousands of monitors and have been tracking the campaign for illegalities, but they have been in a protracted fight with the government over access to polling stations.
Already, candidates have charged that the government has illegally shifted the registrations of tens of thousands of voters to provinces where pro-government candidates need more votes. The government has denied the accusations but has refused to open the registration rolls to scrutiny.
Two people have been arrested on suspicion of offering money for votes. Analysts like Nahed N. Hattar, a Christian who writes for the Arab al Youm newspaper, said such vote buying is rampant. Mr. Hattar blames an influx of money from rich candidates, and from competing power centers in the government, which he says offer money for votes to maximize their parliamentary blocs.
Beyond allegations of cheating, the election system is set up in a way that makes it hard for Islamists and other opposition candidates to compete.
The election law reserves seats in Parliament for women, and Christian and Circassian minorities. Gerrymandered districts overrepresent rural areas where Jordanian tribes are strong, and underrepresent urban areas dominated by Jordanians of Palestinian origin.
Here in the capital, where more than a third of Jordan’s population lives, every legislator represents about 95,000 people. In the rural provinces of Al Karak and At Tafilah, by contrast, each legislator represents about 2,000.
The government has not shied away from direct interference. In October, authorities banned Toujan al-Faisal, a former lawmaker and an outspoken critic of government corruption, from running for Parliament because of her 2002 conviction for “harming the state’s dignity.” Ms. Faisal served 100 days in prison for the offense, which stemmed from her criticism of the government’s approach to car insurance.
“Here the head of a corrupt government decides who can and cannot run for office,” Ms. Faisal said in an interview in her home here. “They want a Parliament that won’t hold the government accountable for corruption.”
For the most part, candidates have focused on issues like fighting inflation and promoting youth. Still, some slogans and speeches explore delicate topics, like the links between Palestinians in Gaza and the West Bank and those in Jordan, where the population is 30 percent to 60 percent Palestinian, depending on who is estimating. Credible estimates put the figure at 50 percent to 60 percent.
The campaign of Najati al Shakhshir, a Palestinian businessman who made much of his fortune renting cars in Jordan and Iraq, is based largely on demanding more rights for Palestinians. Palestinians, for example, are not allowed to hold senior jobs in the military.
“All Jordanians have equal rights and obligations, no matter where they were born,” said Mr. Shakhshir, whose family is from Nablus, in the West Bank.
Such talk alarms some Jordanian analysts, who say it will only raise tensions between Jordanians of Palestinian origin and those East Bank Jordanians who lived here before the first influx of Palestinian refugees in 1948.
And the Muslim Brotherhood’s party has done little to temper fears spurred by the Gaza takeover. A former secretary general of the Islamic Action Front, Hamza Mansour, is running a firebrand campaign with language almost identical to that of Hamas.
“We must not give up the resistance,” Mr. Mansour, a Palestinian whose family came to Jordan from Haifa, said Tuesday. “We must never give up the right of return. We must condemn the embargo of Gaza!”
At a voter rally in Amman’s poor, hilly second district, Mr. Mansour — wearing a traditional white tribal scarf on his head and a suit and tie — showed a slide show featuring armed and masked Hamas fighters to about 75 men. His posters show two crossed swords supporting a Koran beneath the slogan, “Choose Islam as your weapon.”
“The system has disfigured democracy,” he shouted hoarsely. “Don’t let them hold us back.”