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SALLE CAMUS *****EN DIRECT CHEZ CAMUS *****.

Envoyé par albert 
Re: *****EN DIRECT CHEZ CAMUS*****.
06 décembre 2007, 02:10

Les souveganiot de Hannouka


Qui se rappelle des boules russes qui nous etaient proposees a l'entree de l'ecole pour cinq francs anciens ? Elles rappellent les souvganiot de Hannouka. Voulez vous la recette ? La voici ?

Composants :

6 cuillerees de sucre

2 sachets de vanille

6 cuillerees d'huile vegetale

2 cuillerees de levure seche

2 oeufs

1 kilo de farine (type 55)

1/3 de cuilleree de sel

4 cuillerees de brandy ou de cognac

1 verre et demi d'eau environ, selon le besoin

Rapures de zeste de citron

1 carotte pour la friture.

Preparation :

Melanger la farine, le sucre, la levure, la vanille, lesœoeufs, les rapures de zeste de citron et l'eau. Preparer la pate dans votre malaxeur, ajouter le sel et l'huile, melanger, ajouter le brandy ou le cognac. Laisser lever, petrir a plusieurs reprises. Couvrir. Former des petites boules. Couvrir.

Friture :

Couper la carotte en trois. Mettre un bout dans l'huile, il empechera la pate de s'imbiber. Grignoter le restant de la carotte pendant que les souvganiot se laissent frire sur feu moyen. Couvrir la poele afin de creer cette trace claire entre les deux faces de la souvgania .




Souveganiot


Garder le feu moyen, une huile trop chaude donnera une souvgania pateuse, une huile pas assez chaude donnera un produit huileux. Le brandy dans la pate a pour effet de préserver la souvganïa d'etre imbibee d'huile.
Gouter, afin d'avoir la maitrise de la temperature de l'huile.

Service :


Il est possible d'introduire dans la souvganïa une cuilleree a cafe de confiture, soupoudrer de sucre fin.


En mangeant une de ces boules vous augmenterez de quelques calories, mais les compliments que vous recevrez de vos invites en valent la peine. Vous pourrez aussi faire une demi-heure de sport. Allez y, montez sur vos bicyclettes, tout de suite apres !


Bonne fete de Hannouka. Bon appetit !



Re: *****EN DIRECT CHEZ CAMUS*****.
10 février 2008, 05:59
Harisset louz


Harisset louz, l’harissa aux amendes, une paisserie que les Tunisiens aiment. Duree de preparation 30 minutes. Une recette de mon epouse Gisele.


Composants :

3 verres d’amendes, nature, moulues

1 verre de sucre

1 sachet de levure

1 orange rapee et ensuite pressee dans un recipient

Rapures de l’orange

2 verres de farine

1 verre de semoule fine rechauffee au four

1 verre d’huile

6 oeufs



L'Harissa aux amendes


Preparation :

Separer le blanc et le jaune d’oeufs, mousser les blancs. Meler les ingredients et le verre de sucre, et y ajouter les jaunes d’oeufs. Ajouter le tout dans la mousse et bien melanger avec les mains ou dans un robot, sur une toute petite vitesse. Placer dans un plateau, et mettre au four rechauffe a un une temperature moyenne 160 - 180 degres Celsius. Lorsque la patisserie commence a prendre une couleur, sortir le plateau et a l’aide d’un couteau tracer des coupures en long, en large ou en diagonales selon les formes desirees.

Composants pour le miel :

2 verres de sucre

1 verre d’eau

Une tranche de citron

3 gouttes de sirop d’amendes (pas pour le miel, a egoutter sur le gateau)



Harissa aux amendes, photos Nathan



Preparation du miel :

Mettre sur le feu l’eau, le sucre et le citron, jusqu’au moment ou le sucre se dissolve. Eteindre le gaz. EÉgoutter sur le gâteau 2 a 3 gouttes de sirop d’amendes, verser le miel sur la patisserie, sur toutes les coupures. La remettre au four et eteindre. Laisser le four entrouvert et le gateau s’y attiedir.

Bon appetit.

Re*****EN DIRECT CHEZ CAMUS*****.
10 février 2008, 10:23
ALBERT, TU SAIS QUE POUR MOI ET NATHAN, TU ES UN FRERE, NOTRE FRERE. POUR TON ANNIVERSAIRE, J'AI DECIDE D'ETRE AVEC TOI. DANS LE MEME FORUM. UNE GRANDE ACCOLLADE. LES FRERES DOIVENT ETRE ENSEMBLE ! NOUS T'EMBRASSONS.


Camus et frères.

Ici c est votre maison.
Et je ne gagouilles pas.
Merci je vous aime et D ieu le sait.
Qadech akabrien.


Re: *****EN DIRECT CHEZ CAMUS*****.
12 février 2008, 01:25
Joseph Bouhnik, dit Soussou Enamsa.


Je viens d'apprendre que le corps de feu Joseph Bouhnik, plus connu sous son pseudonyme, Soussou Enamsa vient d'etre exhumé à Sfax et sera enseveli de nouveau au cimetiere d'Ashdod , le jeudi 14 février à 9 heures 30, près de ses proches. Les personnes habitant les environs et ayant connu le défunt sont priées de venir lui rendre un dernier honneur.

Quelques details sur Soussou : a la Synagogue.

Soussou etait pendant les annees de notre enfance, le mythologique bedeau de la Synagogue de Moulinville, Slat Shoushane et plus tard dans la Synagogue de Sfax, Beith - El.

Soussou (Joseph) Bouhnik etait le responsable de la maintenance et de la bonne marche de la synagogue, Slat Shoushane. Sa voix de basse et ses yeux ronds nous tenaient en silence. La discipline regnait quand Soussou etait la. Il exigeait le silence, durant la priere. Au moindre chuchotement, il dressait son oreille fine, et demandait au bavard de se taire, et il l'identifiait meme s'il etait eloigne. C'etait encore lui qui menait de main de maitre la vente aux encheres. Ses paroles sonnent encore à mes oreilles. Je ne les oublierai jamais.

Il nous reveillait le matin, quand on s'attardait au lit. Il tapait à la porte, et me demandait de me lever.

Soussou etait aussi mon cordonnier, et chaque fois que je passai devant lui, il me semblait qu'il regardait si mes chaussures etaient bien cirees, en bon état et si je ne les avais pas abimees. (Amit 16 juin 2006).

Sur la route des ecoliers.

Zut ! Je suis encore en retard, et en route je rencontre Gaston qui a deja sorti sa toupie, sachant qu’il ne pourrait pas faire 200 metres en deux minutes. Il m’interpelle comme le petit diablotin qui nous dicte la mauvaise conduite, m’invitant à jouer avec lui.

Manque de chance, juste à ce moment passe, roulant sur sa bicyclette Soussou Bouhnik, le Shamash de la synagogue. Il nous apercoit, fait demi tour, nous regarde de ses grands yeux ronds et crie en direction de Gaston :

— Tu ne peux pas te presser un peu ? Soussou est l’oncle de Gaston, il me regarde aussi, avec un air de reproche. Une minute plus tard, nous sommes assis sur notre banc. Si Gaston n’aime pas l’ecole, il aime encore moins être apprehende par le severe Soussou. Il a la trouille quand il le voit ! Et presque toujours il est pris en flagrant delit de sottises. (Tunecity, 1er avril 2005).

Adieu Soussou, repose en paix.

Pièces jointes:
KANDIL.gif
Re: *****EN DIRECT CHEZ CAMUS *****.
12 février 2008, 05:45
Le Shabbat du navet.



Le vendredi 21 decembre 2007, me rappelle un autre vendredi il y a quelques dizaines d'annees, cinq ou six, je ne sais plus .

A cette epoque vivait a Sfax une femme connue sous son pseudonyme Fritna, qui signifie petite Fortunee, vu sa taille.

Fritna ne prenait jamais rien a coeur, ne se depechait jamais au travail domestique. De plus elle etait toujours de bonne humeur, le genre cigale. Le matin, elle bavardait assez longtemps avec une voisine, pendant que celle-ci s'occupait a laver son linge, ou a epousseter la poussiere des meubles. Fritna faisait les frais de la conversation tandis que son amie repondait par oui ou non, certaines fois d'un hochement de tete. Le lendemain elle trouvait une autre auditrice. Le menage, les repas ? Rien ne pressait. Seulement en fin de matinee, elle retournait chez elle d'un pas alerte, afin de rattraper le temps perdu.

Son caractere de paresseuse lui apprit bien de tours, pour preparer son repas a temps : elle empruntait un legume de ci, un œoeuf de la, voir un verre d'huile, ce qui lui economisait le temps d'aller faire des achats a l'epicerie du quartier. Quant a sa lessive elle attendra encore un jour. Le nettoyage ? Un coup de balai et le tour etait joue. Le desordre ? Tout se ramasse et mis de dans un coin.

Le vendredi 21 decembre 19.. , Fritna decida enfin de faire sa cuisine pour le Shabbat au debut de l'apres midi. Il lui manquait un navet pour la marka* du couscous et pour la salade msiyer*. Elle fit le tour des voisines, demandant si par hasard il leur restait un navet. Cette racine ayant ete utilisee dans la plupart des maisons, elle continua sa recherche, ne pensant meme pas qu'elle pourrait se procurer un navet chez le legumier du coin.





Enfin au dernier domicile, la menagere lui donna un navet en lui demandant si c'etait pour les salades ?
-- Oui, mais aussi pour cuisiner la marka, repondit-elle.
-- Trop tard, ma cherie. Il est l'heure d'allumer les bougies*, si tu te presses. Nous sommes vendredi 21 decembre, le jour le plus court de l'annee. 21 decembre un vendredi ? Il faut mettre du coeur a l'ouvrage, sinon…

Les voisins ayant connu cette anecdote donnerent un nom a ce jour : Shabbat El Lefta, Le Shabbat du Navet.

Glossaire :
Marka*: Soupe de legumes et de viande accompagnant le couscous.
Msiyer*: Salade de navet, carottes, poivrons, citron et sel.
Il est l'heure d'allumer les bougies*: Un quart d'heure avant le crepuscule, on allume les bougies et on ne touche plus le feu et on ne fait aucun travail, jusqu'a la sortie du samedi, 25 heures plus tard.
Re: *****EN DIRECT CHEZ CAMUS *****.
14 février 2008, 01:49
Extrait de "L’apre gout de la madeleine" (Roman sur le souvenir) Par Reuven (Roger) Cohen 1er edpisode.

Le texte de Claude.

"Nous etions vers la fin de l’annee 1956, six mois environ apres l’accession de la Tunisie a l’Independance, ecrivait Claude. C’est alors que nous commencions a avoir peur des arabes qui ne faisaient pas partie de nos connaissances.
Le depart des colons et la fermeture des raffineries europeennes et de nombreux commerces avaient pousse des centaines d’ouvriers arabes vers la ville. Les extremistes du Neo-destour, scories du ‘youssefisme’ pan-arabiste, les noyautaient et jetaient dans la rue des centaines de “gros bras”, qui s’appuyaient sur la campagne du Sinai entre Israel et l’Egypte, et sur la defaite de Nasser, pour menacer les juifs et les Europeens. Aux yeux des Tunisiens arabes extremistes et antibourguibistes declares, la defaite de Nasser etait la preuve de la perfidie inherente a la nature des Juifs qui avaient su entrainer la France et la Grande Bretagne dans une guerre injuste contre Nasser, comme ils avaient su les entrainer dans la seconde guerre mondiale. Plus de dix ans apres la chute du regime nazi, ils s’appuyaient encore sur la propagande hitlerienne.

Extrait de "L’apre gout de la madeleine" (Roman sur le souvenir) Par Reuven (Roger) Cohen. 1er episode a voir ce soir...

... EN DiRECT CHEZ CAMUS !
Re: *****EN DIRECT CHEZ CAMUS *****.
14 février 2008, 08:58
Reuven Cohen qui est historien et Docteur en philosophie, connait le francais sur le bout des doigts, sur le bout de la langue, ainsi que l'anglais et l'hebreu et encore... Ce qui'il nous rapporte ici, n'a pas comme base la memoire, mais est le fruit de longues recherches.

Extrait de "L’apre gout de la madeleine" (Roman sur le souvenir) Par Reuven (Roger) Cohen, 1er episode.

Le texte de Claude.

"Nous etions vers la fin de l’annee 1956, six mois environ apres l’accession de la Tunisie a l’Independance, ecrivait Claude. C’est alors que nous commencions a avoir peur des arabes qui ne faisaient pas partie de nos connaissances.

Le depart des colons et la fermeture des raffineries europeennes et de nombreux commerces avaient pousse des centaines d’ouvriers arabes vers la ville. Les extremistes du Neo-destour, scories du ‘youssefisme’ pan-arabiste, les noyautaient et jetaient dans la rue des centaines de “gros bras”, qui s’appuyaient sur la campagne du Sinai entre Israel et l’Egypte, et sur la defaite de Nasser, pour menacer les juifs et les Europeens. Aux yeux des Tunisiens arabes extremistes et antibourguibistes declares, la defaite de Nasser etait la preuve de la perfidie inherente a la nature des Juifs qui avaient su entrainer la France et la Grande Bretagne dans une guerre injuste contre Nasser, comme ils avaient su les entrainer dans la seconde guerre mondiale. Plus de dix ans apres la chute du regime nazi, ils s’appuyaient encore sur la propagande hitlerienne.

Les Juifs et les Français de Tunisie étaient donc, à leurs yeux, coupables de complicité, et ils soutenaient que l’heure de payer - et le prix de la colonisation en Tunisie, et l’humiliation de Nasser, héros du pan-arabisme - avait sonné. Bourguiba avait vu venir et réagit sans faiblesse, comme il avait essayé de le faire en 1967, insistant lors de son allocution à la radio que les Juifs, résidant en Tunisie, étaient des citoyens à part entière. Oui, mais dorénavant, la peur et la suspicion etaient-la. Rien n’y fit. La rue continua à gronder, les Juifs à organiser leur départ, surveillés de prés par les Douanes et le Trésor tunisien. Bourguiba était conscient du danger que représentait le mouvement pan-arabiste pour son régime.



Nous voici arrives a Marseille



Il le considérait comme ce bouillon de culture où baignait et se développait ce mouvement plus dangereux encore que le panarabisme qu’était le pan-islamisme. Aussi, ce qui le fit réagir avec tant de détermination en 1967 après l’incendie criminel de la Grande Synagogue de Tunis, ce ne fut pas tant l’amitié qu’il portait aux Juifs qui résidaient encore en Tunisie, après que les nantis et les hommes d’affaires juifs l’eurent quittée, mais la crainte que lui inspirait l’islamisme. On se souvient, qu’à cette date, lors de la victoire israélienne, en six jours, sur les armées de la coalition arabe, la passion vengeresse arabe s’empara de nouveau de certains groupes ‘de gros bras ‘ qui menacèrent les quelques milliers de Juifs qui n’avaient pas encore quitté la Tunisie. Bourguiba avait vu juste, et dans les années 80, il dut lutter ouvertement contre cet islamisme qui baignait le monde arabe, menaçant de balayer tous les gouvernements en place. Cette lutte à outrance lui valut sa destitution en 1987.

Au début de l’année 1957, les vagues de départ des Européens et des Juifs s’accéléraient ; les commerces juifs fermaient ; l’administration n’arrivait pas à suppléer au départ des fonctionnaires européens, les banques commençaient à fonctionner au ralenti et des milliers de chômeurs et de fellahs, mus par un exode rural jamais vue auparavant, remplissaient les villes, augmentant la peur et les rumeurs. Le départ des Français menaçait de mettre fin à prés de cent ans de vie juive, libre et respectable en Tunisie. Les Juifs liquidaient leurs affaires et vendaient leurs biens au dixième de leur valeur, pressés par les riches Arabes tunisiens qui leur donnaient quelques jours à peine pour décider, et craignant que le gouvernement ne s’avise à interdire aux Arabes tunisiens l’achat de biens juifs. La rumeur circulait que le trésor tunisien allait interdire aux émigrés de quitter le pays en possession d’un somme d’argent supérieure à un seuil défini par un certain barème. Le silence du gouvernement français en la matière était inadmissible. A part les biens des colons, sur lesquels s’étaient engagés des pourparlers afin d’arriver à un accord dûment signé avec le gouvernement tunisien, le gouvernement français s’était contenté de vagues promesses de la part des autorités tunisiennes au sujet des biens des particuliers. Très vite, même cet accord, qui stipulait le rachat par le gouvernement tunisien des terres appartenant aux colons, d’après le protocole franco-tunisien du 8 mai 1957, ne fut pas respecté. L’affaire de Sakiet Sidi Youssef, le 8 février 1958, fut brandie par le gouvernement tunisien comme la raison à tous ses manquements et à son rejet des protocoles signés. Une loi du 7 mai 1959, permit au Secrétariat d’Etat à l’Agriculture de confisquer le terres des colons, sous prétexte qu’elles n’étaient pas exploitées, dépossédant ainsi 101 propriétaires français de prés de 45.000 hectares.

Ceux qui soutenaient que les choses ne feraient qu’empirer ne s’étaient pas trompés. Après Bizerte, et dans le sillage des pays décolonisés, l’article 6 de la loi du 12 mai 1964, qui posait le principe du versement d’une indemnité aux colons, fut bafoué par le gouvernement tunisien, qui entreprit un processus de nationalisation, sans verser les indemnités promises à « ceux qui sont venus et ont reçu de la France et du gouvernement français la terre et les capitaux en vue d’une politique que tout le monde connaît », déclaraient les discours officiels, qui comme on le sait, même s’ils n’étaient pas prononcés par Bourguiba lui-même, ne pouvaient l’être qu’avec son accord préalable. On était loin de sa déclaration à la jeunesse tunisienne, telle que la rapporte le journal Le Petit Matin du 23 mars 1956 : " Il nous reste maintenant à donner au monde la preuve de notre maturité.

Fanatisme sous toutes ses formes, racisme tels qu’ils soient doivent être bannis de notre pays. Fraternellement nous nous devons de prêter assistance à nos hôtes français et étrangers. Car les Français sont nos hôtes et tels quels, tant qu’ils voudront l’être, tant qu’ils respecteront les lois de notre pays, ils n’auront pas à se plaindre de notre hospitalité traditionnelle". Le malaise que l’arbitraire d’Etat remplacera la Loi, comme ce fut le cas pour les pays décolonisés d’Afrique, et le sentiment de peur qu’après les ‘gros bras’, viendrait la terreur d’Etat, s’étaient déjà installés dans le climat de la rue européenne après l’incident de Sakiet, quand la Tunisie exigea de La France l’évacuation totale et immédiate de toutes les troupes françaises de son territoire - un délai plus long ayant été accordé pour Bizerte.

Déjà, en fin 1956, la plupart des postes de gendarmerie et des casernes de l’armée avaient été vidées des unités françaises et transmises aux Forces de défense et de sécurité tunisiennes, comme il avait été stipulé dans le protocole du 20 mars 1956. La plupart des Français et des Juifs se sentirent alors, après Sakiet, démunis de toute défense et livrés au bon vouloir de l’Etat tunisien. La plupart avaient perdu confiance en sa sincérité, d’autres en son efficacité. Comme pris de panique, ils hâtèrent leur départ. C’est à cette époque, que nous avions commencé à organiser, dans nos Mouvements de jeunesse sioniste et estudiantine, des groupes d’autodéfense, et que nous avions quadrillé le ghetto de la khara de Tunis, afin de prévenir les exactions des ‘extrémistes ’ et les pogromes. » Je notais en marge du texte la question qui me travaillait depuis le début de sa lecture, surtout après que Claude eut commencé à y mentionner les statistiques et les évènements historiques précis qui appuyaient ces dires : combien de Juifs de Tunisie, combien de Français de souche, combien d’allogènes, combien d’indigènes, parmi ceux qui ont vécu ces événements, et qui plus est, parmi ceux qui en ont été les victimes, seraient à même de les raconter ? Combien d’entre eux en ont été conscients, combien s’en souvient, combien seraient capables d’y apporter une explication autre que métaphysique, dans le genre ‘Dieu l’a voulu’ ?

Le texte de Claude répondait, à mon sens, à un manque qu’aucun papier connu en France n’avait essayé de combler. Je me dis qu’en fait, même les habitants des petits villages de France ignorent en général comment leur village entre dans la trame de l’histoire de France ; les seuls éléments de son histoire auxquels ils sont à même de répondre, lorsque vous leur posez une question à ce sujet, ce sont les éléments reliés aux souvenirs de leur famille ou de leurs connaissances. Je ne me souviens pas, que mon père ne m’ait jamais parlé du village où il avait grandi, ni de son histoire. La mémoire collective et historique ne jouait pas un grand rôle dans sa vie, ni dans celle de ma mère ! Tout au plus étaient-ils conscients de celle de leur propre famille.

La rupture de l’exode.

« Je me souviens d’avoir accompagné au port de Tunis ma tante, mon oncle et mon jeune cousin, qui avaient décidé de se joindre à cet exode forcé, continuait Claude. J’avais le sentiment qu’un grand malheur les frappait, nous frappait tous, quand je vis en les quittant leur visage défait et les sanglots qui les secouaient. Ils savaient que plus jamais ils ne reverraient les paysages qui avaient bercé leur jeunesse. Le paquebot s’éloigna lentement du quai après avoir largué les amarres, relever symboliquement l’ancre, rompant à tout jamais les liens qui reliaient à leur matrice ces ‘voyageurs forcés’. C’est à ce moment que je compris vraiment l’ampleur de la tragédie historique que je vivais. Je vis les mouchoirs qu’ils agitaient en signe d’adieu, comme autant de petits drapeaux blancs qui demandaient en vain un cessez-le-feu, non entre gouvernements, mais entre ‘voisins de palier’, une trêve afin de discuter d’un accord à l’amiable qui soit à même d’annuler cette ’expulsion’. Une trêve qui entraînât la fin des hostilités, entre indigènes et allogènes certes, mais appartenant tous de longue date à la même ville, à la même société. Cette trêve avait été cruellement repoussée, dans un aveuglement incompréhensible. Jeune étudiant en philosophie, je me dis alors que je vivais ce qu’en sémantique - cette étude du langage essentielle et aujourd’hui délaissée, celle qui forge le premier pas de tout dialogue socratique - on définissait comme un ‘événement historique’. Je vivais la fin d’une période historique.

Les Français s’étaient appuyés sur les juifs, comme sur des “intermédiaires naturels” entre eux et les Arabes tunisiens, en 1881 et dans les décennies suivantes. Les Juifs, encouragés par l’Alliance Israélite, se mirent à remplir le rôle qui leur fut dévolu dans la société civile du Protectorat avec dynamisme et assiduité. Un grand nombre de Juifs s’éloignèrent ainsi des mœurs judéo arabes, qu’ils avaient forgées pendant de longs centenaires au sein de la société arabe tunisienne, et adoptèrent les mœurs et les manières que les Français apportaient avec eux. Ce changement fut très mal pris par les Arabes tunisiens. Ils y virent une trahison culturelle et une ingratitude de leur part, vis à vis de la société tunisienne qui les ‘avait nourris’. Le changement s’exprima aussi par un glissement qui s’opéra dans leurs activités professionnelles imitant en cela la population française. Le cas de Sfax à ce sujet est éloquent et, dans une certaine mesure, témoigne de cette tendance à l’égard des Juifs des autres villes de Tunisie : en 1931, 12 Juifs travaillaient dans l’agriculture, 151 dans l’artisanat et l’industrie, 469 dans le commerce et 34 faisaient partie des professions libérales ; cinq ans plus tard, en 1936, on ne retrouve plus qu’un seul Juif dans l’agriculture et le nombre des commerçants chute à 269, alors que dans l’artisanat et l’industrie leur nombre passe à 269, et que dans les professions libérales à 45.

Cette nouvelle attitude chez un grand nombre de Juifs, explique la double identité qui caractérisait une partie de ma famille proche. Alors que mon père avait opté sans hésitation pour les mœurs françaises, rejetant tout ce qui pouvait rappeler la vie du ghetto juif de la ‘khara’ de Tunis, en particuliers les superstitions, la prédominance des rabbins et le dialecte judéo-arabe, les hommes qui s’unirent à mes tantes du coté de ma mère, et qui venaient de familles proches de la vie juive tunisienne, ne rejetèrent pas systématiquement les mœurs judeo-arabes. J’eus l’avantage ainsi de connaître, par le biais de mes tantes, l’autre face du Judaïsme tunisien. J’y découvris une vie juive foisonnante, colorée et pleine de gaieté et de joie de vivre, tolérante et souple dans l’application de la religion juive, y voyant une manière de vivre plus qu’une foi rigide et rationnelle. J’y vis une société dynamique, fière et confiante en elle-même, une société au cœur de laquelle se développait un folklore spécifique, un folklore ne ressemblant à aucun autre, avec ses chants, ses mets, la décoration de ses maisons, ses plaisanteries et ses proverbes. Je découvris donc tout ce que je ne connaissais pas et que je n’avais jamais vu à la Villa. Cependant, malgré son coté attachant, je préférais à ce Judaïsme, le Judaïsme épuré et rationnel de mon père ou, comme certains le caractérisent aujourd’hui encore ‘Le Judaïsme du Livre’. Je préférais déjà sa dimension d’Eternité et d’Universalité au ‘Judaïsme de la Tradition’, passager et versatile, livré à l’interprétation suspecte des rabbins policés par les nantis de leur société.

Il me faut souligner, qu’à mon avis, ce qui ‘fâcha’ particulièrement les Arabes tunisiens, ce fut l’éloignement des Juifs de leur soumission aux autorités tunisiennes - bien plus encore que leur abandon des manières de vivre arabes et tunisiennes. Cela provoqua au sein du semi-pouvoir tunisien - et chez l’homme de la rue - ce ‘grand mécontentement’ que les hauts fonctionnaires du Bey évoquèrent avec les représentants du Protectorat et qui était plus qu’une flacherie. Cet éloignement fut considéré par eux comme une vexation comparable à un ‘soufflet’ qui leur avait été appliqué en public. Cela entraîna chez eux une certaine rancune à l’égard des Juifs, qui dégénéra en accusation de trahison et de perfidie. Nous avions subi les effets de ces sentiments à chaque crise sociale ou politique en Tunisie.
La chose prit encore de l’ampleur, lorsqu’un grand nombre de Juifs profitèrent des bénéfices que leur apporta l’application de la Loi Crémieux en Tunisie, qui vint les récompenser de leurs bons services, en tant que ‘intermédiaires naturels’, et assura leur promotion sociale dans la société tunisienne. Tous mes oncles en profitèrent, voyant dans l’acquisition de la nationalité française un moyen de se joindre à l’aristocratie juive.

Lors de la visite du député français à Sfax, Emile Morinaux, venu vérifier l’application de la loi de naturalisation française des Juifs tunisiens, le représentant du Caïdat de Sfax, le Cheikh Sandli, exprima "Le vif mécontentement des musulmans de Sfax" à l’égard de l’application de cette loi, en soutenant que par ce pas, la France changeait le statut des Juifs au détriment des musulmans, puisque celui-ci serait dorénavant supérieur à celui des musulmans, chose qui leur était insupportable. Il faut dire que la communauté des Juifs Livournais ou, comme les nommaient les Juifs tunisiens, ‘les Guernyimes’, avaient tracé la voie à cette double identité. Ils avaient conservé la nationalité italienne et les mœurs livournaises en émigrant en Tunisie, veillant à ne pas se rapprocher des Juifs tunisiens dont ils méprisaient les manières. Ils avaient fondé, à Tunis, une communauté à part, avec ses synagogues, et une grande partie de leurs enfants étudiaient à l’Ecole Italienne, que finançaient les autorités italiennes qui les chérissaient, voyant en eux les représentants fidèles des intérêts italiens en Tunisie.

Il était clair que dans cet état de choses, suite à l’Indépendance et à la suppression du tribunal rabbinique en 1957, mais surtout comme effet direct de l’application aux Juifs, comme aux musulmans, du nouveau Code de Statut personnel, la rupture devait s’opérer. Cette bonne volonté, à priori, de la part du gouvernement tunisien d’intégrer les citoyens juifs à la société tunisienne, ne fit qu’empirer les choses et hâter la rupture définitive entre les Juifs et la Tunisie. L’Histoire avance à coups de ruptures et d’effets pervers. La plupart des Juifs de Sfax avaient rapidement pris leur décision. Au café, à la synagogue, chez le coiffeur, partout on ne parlait que de départ. Ceux qui ne pouvaient pas partir de suite, envoyaient leurs jeunes enfants en Israël par la Alyat Ha Noar (l’Emigration des Jeunes vers Israël), surtout les filles, qu’ils considéraient en danger plus encore que les garçons. Les plus grands, filles et garçons, organisaient leur départ dans le cadre des Mouvements de Jeunesse Sionistes, qui avaient depuis modifié leurs statuts et leur profil, afin de ne pas trop se faire remarquer.

On n’avait pas oublié, à Sfax, l’affaire d’Esther Cohen, la fille du grand rabbin de Sfax, qui en 1928 se convertit à l’Islam pour pouvoir épouser un musulman. La cérémonie de la conversion se fit en présence du Cadi de Sfax, le juge musulman de la ville qui exerça les fonctions civiles et religieuses, jusqu’à ce que la Constitution tunisienne accomplît la séparation de la Mosquée et de l’Etat (il faudrait dire la soumission de la Mosquée à l’Etat.) Le fait que le Cadi de Sfax ‘sanctifiât’ selon les lois musulmanes cette union, sans en appeler aux institutions juives, comme il était de coutume de le faire, causa des remous dans la communauté juive. La disparition des deux amants servit de prétexte à l’intervention de la police française, qui demanda au Cadi d’annuler la cérémonie, vu que la jeune fille n’avait pas 16 ans. La situation s’envenima entre les deux communautés religieuses, quand le Cadi refusa d’exécuter l’ordre reçu. La presse, enfin, s’empara de l’évènement et la pression qui montait de jour en jour menaçait de mettre en marche un processus de violences entre les deux communautés, violence que semblaient rechercher les musulmans comme réaction au changement qui s’opérait alors dans le statut des Juifs. A la fin, tout rentra dans l’ordre, et la conversion à l’Islam de la jeune juive fut annulée par le Cadi. Mais cet évènement fonctionna dans la mémoire communautaire des Juifs de Sfax comme un épouvantail, dont la laide grimace réapparut 30 ans plus tard.

Après 1957, et à plus forte raison après Sakiet, les Juifs de Tunisie se sentaient gagnés par la crainte qu’ils reviendraient à la “case départ” - mais sans les attributs communautaires que le régime beylical leur avait accordés et que le Protectorat avait maintenu avec respect. Ils avaient l’impression de revivre, en fait, les heures de l’occupation allemande de 1942, démunis de tous leurs droits, sans défense aucune. Ils sentaient que la situation présente ressemblait à celle d’alors, lorsque malgré la vigilance et le refus de Bourguiba de collaborer avec les Allemands et les Italiens contre les Juifs et les alliés (agissant ainsi comme Franco en 1940), l’Arabe tunisien de la rue, lui, l’avait fait avec joie et enthousiasme. Ce ne fut pas l’œuvre d’un petit nombre, mais un phénomène social et nationaliste, qui avait étonné le parti du Néo-déstour lui-même. Bourguiba y voyait déjà l’action d’éléments et d’activistes panarabes étrangers à notre région, dont le fameux Mufti de Jérusalem, le Sheikh Amine El Husseini. Entouré de ses pairs et des bourgeois tunisiens qui le soutenaient, Bourguiba représentait, pour les Juifs, la Raison. Ils voyaient en lui le type même du politicien indigène éduqué à l’école de l’occident. Tandis que l’homme de la rue représentait, pour eux, la Passion aveugle : le modèle était le fellah à la vengeance exacerbée, humilié par des années de soumission à l’étranger et à l’éfendi, éduqué à l’école de l’Orient arabe. Le fait, que sa condition d’humilié ne fût pas due uniquement aux colons et aux Juifs, mais aussi aux propriétaires Tunisiens des terres qu’ils travaillaient et aux agioteurs arabes, ne changeait rien à sa haine du Juif. Pendant l’occupation nazie de la Tunisie, en 1942, le colon français lui, était protégé par les représentants du gouvernement de Vichy. Le Sicilien, le Maltais, l’Italien l’étaient par la présence de l’armée italienne sur le sol tunisien. Le Juif, lui, ne bénéficiait plus d’aucun bouclier politique. Le fellah déversa donc sa haine sur le Juif. En 1958, le Juif avait soudain le sentiment qu’il revenait à l’année 1942. Il eut vite fait de décoder la société arabe tunisienne de la fin des années cinquante. Il en possédait la clé depuis des décennies. Il y reconnut de suite, qui faisait partie de ses amis, qui de ses ennemis. Il ne fut pas étonné que le fellah, en général, fût au nombre de ces derniers. Or la classe des fellahs constituait la majorité du peuple, et le régime, malgré sa police et son armée, malgré l’encadrement néo-destourien, se disait républicain et démocrate, à la manière de l’occident qui prônait le principe du ‘Vox populi, Vox dei’. Le fellah haïssant le Juif, que la France du protectorat avait libéré de son statut de “dhimi”, l’avenir tunisien du Juif n’avait plus aucun espoir. Le statut de ‘dhimi’ définissait le Juif comme inférieur à l’Arabe tunisien et soumis à ses brimades, comme celle de la “chteika”, cette claque sur la nuque, qu’il était permis à l’Arabe de donner au Juif, comme un signe de sa supériorité. Il était évident que le Juif ne pouvait pas envisager son retour à ce statut.
Le fellah se réjouit, en 1942 du fait que grâce à l’occupation allemande, le Juif revenait à son ‘état naturel’, celui qu’Allah avait fixé : il dépendait de nouveau du bon vouloir de l’Arabe. Jubilant donc à la vue des mesures allemandes prises contre les Juifs, il se hâta d’applaudir à la vue des convois de travailleurs juifs qui partaient pour ‘les camps de travail’, de conspuer les Juifs qui étaient à la merci des Allemands et de se féliciter du fait que ceux-ci les plaçaient sur des sites stratégiques soumis aux bombardements alliés. Il se fit un devoir religieux et politique d’indiquer à la police allemande les domiciles juifs d’où ils pouvaient déloger les rares ‘planqués’ qui tentaient d’échapper aux camps de travail et que les milices du judenrath local n’avaient pu trouver. La police allemande profitait alors de ses visites, pour piller sans retenue les rares effets que possédaient encore les Juifs, vidant les armoires et les tiroirs. Pour le fellah toutes ces exactions exprimaient le retour à la justice de Dieu. Allah remettait les choses en ordre, renouvelant la supériorité de l’Arabe sur le Juif, et la dépendance de celui-ci à son bon vouloir. C’était cette mentalité qui inquiétait Bourguiba et ses pairs. Il avait compris qu’elle inscrivait le peuple tunisien sur le registre du pan-arabisme et du pan-islamisme, ce même espace mental dont il voulait se séparer. Il faudra attendre Ben-Salah, le leader de l’U.G.T.T., l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens à tendance socialisante et dans un certain sens marxiste, pour dessiner au “fellah colonisé” par la société tunisienne en général, une autre image, plus sociale celle-la, de la réalité qui correspondait, en un certain sens, au vœu de Bourguiba ; celui d’opérer une rupture définitive entre le peuple tunisien, le pan-arabisme et le pan-islamisme. Malheureusement, Ben Salah avait négligé de prendre en ligne de compte les rythmes qu’une société retardée imposait aux contenus et aux formes que devaient prendre les changements économiques et sociaux, qu’il projetait d’effectuer. La réaction sévère de Bourguiba, face à la ruine de l’économie semi-socialiste en Tunisie, dont était responsable Ben-Salah ne se fit pas attendre. Il mit ce dernier au pas - à sa manière - en l’éliminant de toute influence sur l’économie et la politique tunisienne, et finit par l’incarcérer, au grand soulagement de la classe nantie. L’habileté politique des successeurs de Bourguiba se devra de parvenir par tous les moyens possibles à ‘libérer’ la Tunisie et les Tunisiens de ce ‘Socialisme Vert’, dont parlait Kadhafi de Libye, comme elle est se devra d’étouffer le fanatisme arabe et islamiste alimenté, à sa source, par les émissaires du Mufti de Jérusalem, dans les années trente et quarante de ce siècle, et plus tard par leurs héritiers, qu’ils se nommassent Rachid Ganouchi ou Abd al-Fattah Mourou. »

A suivre...
Re: *****EN DIRECT CHEZ CAMUS *****.
17 février 2008, 06:15

Reuven (Roger) Cohen
Une page d'Histoire : La campagne de Tunisie


Extrait de "L'apre gout de la madeleine", Roman sur le Souvenir
Suite du recit de Claude


« Comme sur toute la planète, c’est la guerre qui a été la véritable rupture pour les Juifs de Tunisie, poursuivait Claude. C’est elle qui a changé la donne. L’Indépendance de la Tunisie, n’a été à leur égard qu’un effet, effet pervers pour les uns, vu la rapidité de sa réalisation, effet lié au déterminisme historique pour les autres, vu sa position dans la longue durée. La décennie, entre 1945 et 1955, pendant laquelle les Juifs pensaient avoir remis les ‘choses en place’, n'a été qu'une décennie d’illusions entretenue par les autorités du Protectorat.

Après Dien-Bien-Fu, ces autorités avaient été gagnées par la superbe revancharde de l’armée qui soutenait que la théorie des dominos n’était valable qu’en Asie, vu que l’Union Soviétique n’avait que faire de l’Afrique du Nord. Comme d’habitude, l’armée s’etait trompée et avait entraîné les politiques et les populations civiles dans le sillage sectoriel de son exposition sur les ‘données et faits objectifs’.
Cela a toujours été, depuis Athènes, la grande faiblesse des démocraties occidentales.

Afin de suppléer au vide qu’a laissé le Suzerain tout puissant après Dieu, le
Roi, le Roi-sauveur ou le Dictateur, qu’avait supprimé la Démocratie, les peuples de l’occident se sont toujours livrés, ‘poings et cœurs liés’, à l’armée, sur laquelle ils ont opéré un ‘transfert de sacralité’.

Or partout et toujours, celle-ci a engendré un nouveau César.
Depuis le ‘Jules romain’, l’armée a toujours servi de palliatif, de faux-fuyant, de subterfuge utilisé par les profondeurs de l’inconscient collectif afin de satisfaire son besoin du Suzerain ; toutes les démocraties républicaines sont passées par-là.

La Troisième République, cette ‘République absolue’ dans son républicanisme, telle que la définit Odile Rudelle, cette ‘République des Jules’ (Jules Simon, Jules Ferry, Jules Grévy), fut si jalouse de son armée, qu’elle chérissait particulièrement, que celle-ci la remercia en engendrant Boulanger. Celui-ci exigea la dissolution du parlementarisme démocratique, cette pierre de voûte de la République. Et "Son Armée" tant chérie par elle faillit mettre à bas cette République, lors de l’affaire Dreyfus, et y réussit, avec Pétain.
L’Histoire avance à coup d’effets pervers et de ruptures.
C’est par crainte qu’elle engendrât un dictateur, que Robespierre, contre les Brissotins, s’opposa à la guerre en 1792, et que celle-ci, pour lui donner raison, le porta à la dictature en 1793.

Les Allemands avaient vu dans le débarquement allié en Algérie et au Maroc, le 8 novembre 1942, lors de la fameuse opération ‘Torch’ orchestrée à Alger par la Résistance Juive, une trahison de Pétain.
Aussi avaient-ils décidé, de suite après l’atterrissage de l’escadrille allemande commandée par le colonel Harlinghausen sur l’aéroport de El Aouina à Tunis et sur l’aéroport de Bizerte, suivi de l’accoste de leurs vedettes rapides a Bizerte et à La Goulette, de démettre de leurs pouvoirs autonomes les fonctionnaires vichystes, les soumettant à une collaboration, telle qu’ils la définissaient et la pratiquaient dans les pays de l’Europe Centrale et de l’Europe de l’Est.
A l’annonce du débarquement allié à Alger, les Sfaxiens attendaient l’arrivée des Américains, certains qu’il s’agissait d’une question de jours.

Dans certaines familles juives sfaxiennes on avait fêté la victoire à Alger comme les prémices de la victoire alliée. Or, le lendemain matin, quelle ne fut leur surprise d’être réveillés aux sons de ‘Lili Marlène’.

‘Nous avons couru aux fenêtres, raconte Mathilda Guez un des piliers du Mouvement Sioniste en Tunisie, et notre rue, qui se trouvait au centre ville, était couverte de soldats allemands martelant le pavé de leurs bottes noires en chantant d’une voix puissante le chant ‘Lili Marlène’.

Pour moi, continue Claude, la guerre a commencé, le 9 novembre, vers trois heures et demie de l’après midi, après la récréation et un peu avant la fin de la classe, au bruit d’une pétarade de motocyclettes sous les fenêtres de notre classe qui donnaient sur la grande rue, à l’école Massicot.

Je me souviens que nous nous sommes rués vers les fenêtres, et avons aperçu des motards italiens coiffés d’un casque à grandes plumes, qui roulaient vers la Municipalité. Ils étaient nombreux, leurs engins étaient flanqués de side-cars, et étaient suivis par des voitures militaires. Alors que notre institutrice s’efforçait de mettre de l’ordre dans la classe, nous ordonnait de retourner à nos places et calmait notre enthousiasme à la vue de ces motards emplumés, la directrice de l’école fit son entrée qui d’un coup nous glaça tous. Je me souviens qu’elle avait attiré notre institutrice vers la porte de notre classe et s’était entretenue avec elle pendant quelques minutes.

Je me souviens, que notre institutrice après son départ, respira profondément, et se figea dans un silence que nous ne connaissions pas. Nous avions compris dans nos têtes d’enfants de cinq ans, que quelque chose d’inhabituel et de grave était arrivé. Elle nous dit alors que nous n’aurions pas classe le lendemain et les jours suivants et qu’elle allait nous remettre un petit mot que nous devrons transmettre, sans faute, à nos parents.

Puis toujours dans ce silence inhabituel, elle s’installa à son bureau et se mit à écrire les mots. Elle en distribua ensuite un à chacun, en nous recommandant bien de ne pas oublier. Puis rien d’autre. La sonnerie de l’école retentit, et alors que nous étions habitués à nous ruer vers le portail de notre école, où devaient-nous attendre nos parents ou un grand frère de l’école Alexandre Dumas, dont la cour était séparée de la notre par une grille mitoyenne, nous sommes sortis cette fois là en silence et en ordre.

Mon frère et mon cousin, nous attendaient, ma cousine et moi, devant le portail et nous donnèrent la main, nous entraînant vers la maison de ma tante, située à cinq minutes de marche de nos écoles. Ils avaient vu eux aussi les “bersaglieri” motorisés, et leur instituteur leur avait expliqué que la guerre avait commencé chez nous aussi, et qu’ils n’auraient pas classe dans les jours à venir, et jusqu’à ce que la situation s’éclaircisse. Je ne comprenais pas bien de quoi il s’agissait vraiment, mais je me souviens qu’ils avaient dit avoir eu peur, ce qui me glaça les sangs.

Ce dont je me souviens, c’est qu’alors commencèrent les bombardements.
Ceux de la nuit étaient les plus pénibles. Les hommes et les grands garçons des différentes familles, que mon père avait recueillies à la villa après les lourds bombardements sur la ville, pratiquaient un tour de garde la nuit, afin de réveiller les habitants de la villa pour courir aux abris. Je me souviens, qu’une nuit tranquille, un des veilleurs avait pris une chute de météores pour des avions et avait réveillé à grands cris toute la villa. Sa “prouesse” avait fait le tour du quartier et de la ville européenne.


Nous étions alors en fin 42, début 43, et les bombardements nous frappaient deux à trois fois dans la journée. Nous étions donc sur le qui-vive et ne me souviens pas d’un repas pris normalement.
C’etait la guerre.

Pendant les derniers mois, le centre-ville de Sfax, où se trouvait le cinéma Rex, avait été fortement endommagé par les bombardements américains. Il fut reconstruit plus tard, d’après son architecture originale. Je dis ‘américains’, car leurs avions opéraient à haute altitude afin d’éviter la D.C.A allemande, semant leurs bombes et les dispersant tout autour de la cible, causant ainsi un véritable désastre parmi la population civile.
Les appareils anglais eux opéraient à basse altitude, se mettant beaucoup plus en danger, mais gagnant en précision et ménageant ainsi la population civile.

Nous-mêmes, qui habitions hors de la ville, regardions de notre véranda, comme au cinéma, piquer sur le port, à basse altitude, les avions anglais et distinguions nettement les grappes de bombes tomber sur les hangars du port. Alors que lorsque nous entendions le bruit des avions sans les apercevoir, nous savions qu’il s’agissait d’avions américains qui opéraient à haute altitude, et nous nous ruions dans les tranchées que nous avions fait creuser dans notre jardin, fuyant les bombes américaines qui avaient une fâcheuse tendance à s’égarer dans le paysage. C’est ainsi que la fille de nos voisins, âgée de vingt ans, en courant vers l’abri, s’était fait faucher la jambe par un éclat de bombe américaine, qui normalement devait atteindre le port afin de détruire la logistique allemande.

Les quartiers proches du port et des hangars de phosphates avaient été détruits, jetant hors de la ville des centaines de familles qui cherchaient refuge un peu partout, chez des proches ou dans la campagne sfaxienne, louant en commun des “bordj”, ces fermes arabes.

“La campagne de Tunisie ‘’ arrivait à un tournant décisif. Rommel avait pris les choses en main et armé de ses panzers “Tigre” avait décidé de faire liaison au Nord de la Tunisie avec Von Arnim qui avait maintenu en fin décembre les troupes alliées à l’Ouest de la Dorsale tunisienne et leur avait livré de rudes batailles, notamment à Medjez-El-Bab, afin de stabiliser le front dans cette région.

Afin de couper l’approvisionnement de l’armée allemande par mer, les avions alliés opéraient sans cesse sur le port de Sfax. Von Arnim s’efforçant de bloquer tout mouvement allié vers la mer, lança une attaque, le 30 janvier 1943, pour s’emparer du col de Faïdh qui livrait le passage vers le port de Sfax. Les bombardements alliés autour de la ville, ne s’arrêtaient pratiquement pas. Je ne sais pas si les bombardiers avaient réussi dans leur mission, mais ce que je sais c’est que les adultes disaient que c’était surtout nous qui en faisions les frais, et que l’armée allemande se portait à merveille.

Nous aussi, au moment où notre Villa passa aux mains des Vichystes, nous avions loué, avec nos proches, un bordj à Sakiet Dayer, à quelques kilomètres au nord de notre villa, sur la route de Mahdia.
Loin du port, dans ce bordj en pleine campagne, nos parents pensaient que nous serions mieux protégés des bombardements que nous l’étions à la villa.

Ils s’étaient trompés : les aléas de la guerre firent que les combats changèrent de région et notre nouvel abri se trouva soudain sur une des lignes les plus bombardées de la région de Sfax. La raison de ce changement dans l’intensité des bombardements et dans celui des régions bombardées, était liée au mouvement de Rommel vers le Nord.

Retranché derrière ce que l’on nommait ‘la Ligne Maginot du Désert’, la Ligne de Mareth, au sud de la Tunisie’, que la France avait construite en 1938, pour prévoir toute attaque émanant des forces de l’Axe venant de Libye, Rommel bloquait donc l’entrée de la fameuse Huitième Armée britannique en Tunisie, et avait élaboré un plan qui consistait à préparer une ligne de défense au nord de Gabès sur l’Oued Akarit, pour s’élancer avec une partie de la 21ème Panzer Division, vers Tébessa et au-delà, contourner le dispositif des alliés sur la Dorsale, les chasser de Tunisie et faire face ensuite à Montgomery. Il avait fait sa liaison avec Von Arnim et avait pu ainsi prendre part aux combats autour du col de Faidh, défendu par les Magrébins enrôlés dans l’armée française, mal armés et mal commandés, et autour de Sidi-Bouzid, entre le 18 janvier et le 15 février 1943.

Le combat de Sidi-Bouzid avait stoppé les alliés dans leur volonté d’envahir la plaine du Sahel et de couper l’armée allemande du Nord de la Tunisie, qui combattait contre Eisenhower, de celle du sud qui se battait contre Montgomery.

Rommel souligne dans ses Mémoires l’importance de cette Ligne Maginot du Désert, et, en bon stratège, avait élaboré un nouveau plan adapté aux nouvelles conditions : « Le repli sur la ligne de Mareth nous permettait à nouveau de modifier la stratégie, écrit-il. Il nous devenait possible en utilisant nos lignes de communications intérieures, de rassembler nos forces motorisées pour attaquer les forces britanniques et américaines en Tunisie occidentale, et peut-être même les obliger à se retirer […] Ce que nous voulions éviter avant tout, c’était de voir nos deux armées coupées l’une de l’autre par une avance alliée menée de Gafsa vers la mer. Pour parer, il nous fallait d’abord écraser les zones de concentration ennemies en bordure de la frontière algérienne. »

Le combat de Sidi-Bouzid se termina au soir du 15 février 1943 par une véritable défaite des alliés. Les Américains perdirent, selon Rommel, 150 chars et 1600 prisonniers, sans compter les morts et les blessés. A Washington, au Pentagone on ne comprenait pas. Roosevelt, abasourdi par la gravité de la défaite aurait demandé à ses experts « Nos boys sont donc incapables de combattre ? »

Au cours de sa tournée d’inspection, le 13 février, Eisenhower avait discerné la faiblesse des troupes américaines et leur mauvaise préparation. A son arrivée au P.C. de Tébessa le lendemain à l’aube, il apprit que les Allemand avaient attaqué Sidi-Bouzid deux heures après son départ, et qu'il avait ainsi échappé, soutiennent les historiens « de justesse à une captivité certaine et lourde de conséquences sur sa carrière et sur le moral de son armée. »

Le fait d’avoir décidé de quitter la Villa pour nous éloigner des bombardements ne fit donc que nous rapprocher de la nouvelle arène des combats. Mon père avait prévenu les réfugiés de la Villa que rien ne pouvait être certain en temps de guerre. Lui, avait agi sous un tout autre motif, car jamais il n’aurait quitté ‘sa Villa’, même si ma mère avait décidé de partir avec ses sœurs et les enfants. Il avait appris que la Kommandantur s’apprêtait à réquisitionner les villas du groupe Morinaux appartenant aux Juifs pour y loger ses officiers supérieurs, et avait cru qu’en tant que Français, la sienne serait épargnée.

Or, il s’avéra que les Vichystes se préparaient à réquisitionner les villas des Juifs français pour les femmes et les enfants des soldats et des officiers de l’armée française de Tunisie qui s’etait retirée, avec l’occupation allemande, dans l’arrière pays montagneux, abandonnant à leur sort l’administration française, la population civile et les Juifs aux mains de Rauf. Plus tard, dans les années cinquante, l’armée française construisit pour ses officiers et leurs familles, la fameuse “Cite Velvert”, non loin de la plage de La Poudrière.

Mon père s’etait donc trompé. Il faudrait dire plutôt qu’on l’avait trompé.

Français, il avait été trompé par les autorités françaises, alors qu’il se considérait comme un de leurs protégés. Mais à tout prendre, il avait préféré remettre sa villa ‘à des Français comme lui, disait-il, plutôt qu’à des Allemands’. Sa confiance en la France, et dans les hauts fonctionnaires qui assuraient son administration, n’avait pas de borne. Mais en fait, ceux-ci eurent vite fait de se transformer en Vichystes collaborateurs, fidèles au Maréchal, et de ne voir en lui que le Juif, se hâtant d’ignorer sa ‘qualité’ de citoyen français. Pour eux le Juif était Juif, était Juif, était Juif - et non Français « et par-dessus le marché juif », comme écrira plus tard Sartre : « Le Juif a comme nous un caractère, et par-dessus le marché il est juif. »

Apres la libération de la Tunisie, les alliés, comme partout en Afrique du Nord, évitèrent d’intervenir dans les décisions qu’avait prises l’administration vichyste, particulièrement quant au “Statut des Juifs”, tel que Xavier-Vallat l’avait défini depuis Paris pour les Juifs d’Afrique du Nord aussi.

Il s’ensuivit que les habitations réquisitionnées par les Allemands furent réoccupées par leurs propriétaires, de suite après la fuite des officiers allemands vers le Cap Bon et leur embarquement vers la Sicile puis l’Italie. Tandis que les villas occupées par les Vichystes continuèrent à l’être longtemps après l’entrée des alliés à Sfax. Alors que les Allemands dans leur fuite avaient abandonné dans les garages des villas qu’ils avaient occupées de nombreux biens qu’ils avaient “volés” aux Juifs, notre villa fut vidée de ses meubles. Pendant de longs mois, mon père s’etait usé en démarches sisyfiennes pour récupérer son bien.. Son chagrin et sa déception, s’ajoutant à sa fatigue et aux mauvaises conditions de vie auxquelles il n’était pas habitué, eurent raison de sa santé.

En fin 43, il en est mort.
Jamais auparavant et jusqu’à l’occupation nazie, les Juifs n’avaient autant souffert en Tunisie depuis que le Protectorat s’était mis en place. Les statistiques montreront, que la courbe des décès des juifs mâles pendant les années 1942-1943, mis à part les juifs mâles victimes de déportation et autres actions violentes, grimpa d’une manière drastique. En 1943, parmi les Juifs, le nombre de naissances à Sfax est de 120, alors que le nombre de décès est de 175. En 1941, alors que la guerre fait rage en Europe la proportion est inverse : 146 naissances contre 87 décès ; de même en 1945, le nombre de naissances est de 162, alors que celle des décès est de 74. On retrouve ce rapport entre les naissances et les décès qui fut celui de 1941 et de 1945, en 1939, où il est de 152 naissances, pour 70 décès.
Le bilan démographique des Juifs de Sfax a donc été positif (en 1926, 117 pour 77) depuis le début du siècle, sauf pendant l’occupation nazie et les sévices que les nazis firent subir aux Juifs.


En fin 42, début 43, quelques jours après que les adultes avaient décidé de quitter la villa et de s’éloigner des bombardements, on chargea sur un grand chariot tiré par deux chevaux les affaires nécessaires à cet exode.

Nous, les enfants, avions grimpé tout en haut des ballots, sous l’œil inquiet de nos mères, et le chariot se mit en route vers Sakiet Dayere. Une première équipe d’installation composée de deux ou trois males adultes nous accompagnait, tandis que les autres continuaient les préparatifs à la villa pour un deuxième voyage.

A l’aise avec mes cousins sur les ballots, après avoir bien compris et répété à ma mère la consigne qu’en cas de bombardements il nous fallait rapidement nous abriter dans le fossé sur le bord de la route, je voyais défiler devant moi sur un fond de gourbis et de basses maisons de terre battue, une étrange procession d’Arabes se rendant vers la ville, un grand panier chargé de légumes ou d’œufs en équilibre sur la tête, accompagnés de jeunes enfants de notre âge, déguenillés, qui les suivaient tenant des poulets vivants et de nombreux cyclistes qui transportaient sur le porte-bagages de leur bicyclette des paniers de victuailles.

Mais ce qui me parut plus étrange encore, et que je compris beaucoup plus tard, c’était la conduite de ces petits Arabes qui couraient après notre chariot en scandant “el yaoud, el yaoud” (les Juifs les Juifs) et nous faisaient des gestes obscènes. Ce qui me frappa particulièrement, c’était qu’alors que le cocher du chariot s’efforçait de les disperser en faisant claquer son fouet, les adultes qui nous accompagnaient, assis à l’avant du chariot ne réagissaient pas, feignant d’ignorer la scène.

A cette époque je ne comprenais pas que leurs cris étaient hostiles et qu’ils conspuaient les Juifs. C’etait la première fois que je les voyais se conduire ainsi. Les Nazis, comme les Vichystes avaient beaucoup fait pour enraciner la haine des Arabes tunisiens envers les Juifs, à moins que celle-ci n’avait fait que de trouver en eux un catalyseur.

Cependant, il faut souligner que les nazis évitèrent de provoquer des pogromes de la part des Arabes tunisiens contre les Juifs ; non pas qu’ils n’auraient pas aimé le faire, mais parce qu’ils craignaient que ceux-ci ne dégénèrent en attaques nationalistes contre les colons français.

C’est ce qu’il ressort de la note “Top secret” que le ministre plénipotentiaire Rudolf Rahn fit parvenir au Bureau responsable de la propagande dans les territoires conquis, au Haut Commandement de la Wehrmacht, document enregistré le 24 décembre 1942, un peu plus d’un mois après le débarquement allemand à Tunis. Il y soulignait que “L’encouragement au pillage des commerces juifs qui se transformerait en pogromes etc., est impraticable tant que nos troupes ne parviennent pas au moins à la frontière algérienne”.

Ce fut donc le fait que les forces d’occupation allemandes ne se sentaient pas assez puissantes en Tunisie pour assurer le contrôle de pogromes qu’ils auraient suscités contre les Juifs, qui a sauvé ceux-ci de la haine déferlante de certains éléments arabes, et non la mansuétude de ceux-ci, tel que certains le prétendent aujourd’hui encore.

Rahn, dans cette même note, nous donne, en quelques lignes, une description claire et précise de la position des troupes d’occupation allemandes en Tunisie, à la fin du mois de décembre, à l’époque où les Juifs furent contraints aux travaux forcés et pillés de leurs biens par les Forces de l’Axe, et cela avec l’aide forcée du Judenrath, sous la direction de Paul Guez, installé à Tunis: “L’activité de propagande à Tunis, est déterminée par le fait que les forces de l’Axe sont concentrées sur un petit espace, comme s’il s’agissait d’une forteresse, précise Rahn, et sont obstruées par une population mitigée de 400.000 personnes, paniquée par des bombardements continus, et difficile donc à contrôler”.

Dans cet état de choses, il est étonnant que l’armée française n’ait rien trouvé de mieux à faire, que de fuir vers l’ouest du pays, afin de s’organiser sur les hauteurs de la Dorsale tunisienne et d’attendre voir venir, au lieu de repousser les envahisseurs qui n’avaient pas encore réuni les forces nécessaires pour maintenir leur tête de pont sur le sol du Protectorat.

Dans ses mémoires, Churchill explique cette attitude incompréhensible à priori de la part de l’armée française, en évoquant la haine que portaient les officiers français à De Gaule. Son explication, sur ce point, est plus psychologique que politique, ce qui détonne du reste de ses mémoires. A son avis, les officiers restés dans l’armée après la défaite de la France en 1940, avaient accepté la situation et exécuté sans état d’âme les ordres reçus de leur gouvernement de cesser de combattre. De leur point de vue, s’ils acceptaient que la ligne qu’avait adoptée De Gaule fût juste, il s’avérerait alors que tout officier français qui avait obéi aux ordres de son gouvernement n’était qu’un lâche.

Si De Gaule était considéré comme un bon Français, loyal à sa patrie, eux-mêmes n’étaient alors que des peureux. Il va de soit que les officiers n’aimaient pas se voir sous ce jour : ils préféraient se considérer comme de bons Français et de loyaux officiers remplissant les ordres de l’autorité civile légale. Ils considéraient donc De Gaule, et du point de vue officiel et du point de vue personnel, comme un déserteur. Toute velléité de repousser la prise de l’aéroport de Tunis par les Allemands, aurait été donc comprise comme un signe d’allégeance de leur part à De Gaule, et donc comme une trahison. Le fait de placer les troupes qu’ils commandaient sous le commandement de l’armée allemande, lui aussi aurait été considéré comme une trahison, puisque leur rôle était de veiller à la défense des colonies françaises d’outre-mer.

Mais entre ces deux alternatives, le fait de n’opposer aucune résistance en se gardant même de les gêner dans leur action, de leur causer quelque retard dans leur plan, semblait pour le moins bizarre.
Est-ce que les ordres à ce sujet venus de Vichy, dont la zone qui était sous son administration en France, dite sans humour aucun, ‘zone libre’, fut envahie de suite après, le 11 novembre, par les troupes allemandes, contredisaient les ‘instructions personnelles très secrètes’ du 30 janvier 1942, qu’avait émis le Général Juin, Commandant les Forces Françaises d’Afrique du Nord, au sujet de la défense de la Tunisie, et avaient semé le désordre dans les esprits ?
Or il s’avère, que ses ‘instructions’ se transformeront en ordres, avec le consentement de Darlan qui avait reçu les pleins pouvoirs du Maréchal Pétain, pour régler au mieux les évènements en Afrique du Nord, avec l’assentiment des Américains et au grand désappointement des partisans de Giraud et de ceux de De Gaule.

Ces ordres du 11 novembre 1942, prescrivent aux troupes françaises de repousser par la force les entreprises de l’Axe en Tunisie et dans le Constantinois. C’est ce que soutient dans ses Mémoires le Général Juin. Or dans la nuit du 11 au 12 novembre, les généraux Koeltz et Mendigal, raconte Juin, viennent le trouver et lui signifient qu’ils ne peuvent exécuter ses ordres puisque ‘Seul, le général Noguès est autorisé à prendre depuis le matin des décisions au nom du Maréchal. Ils ne voulurent rien entendre, conclut Juin dans ses Mémoires, et je n’étais, à ce moment nullement habilité à leur donner des ordres, ni armé pour les contraindre à l’obéissance.

Son témoignage corrobore assez fidèlement les observations de Churchill sur la conduite des officiers français déchirés entre le sens de la légalité et de leur loyauté envers le Maréchal, et celui de leur fidélité à la France, telle que l’avait définie De Gaule. Mais ce que le Général Juin ne dit pas - et qu’a constaté la commission Viard, cette commission instituée en 1943 par le gouvernement provisoire, pour enquêter sur les évènements de Tunisie, souligne le Général Schmitt, dans un article dument documenté, ‘c’est que ces ordres, après l’entrevue avec les généraux Koeltz et Mendigal, furent retirés’.
Ce qui est certain c’est que le Général Barré, le Commandant Supérieur des Troupes de Tunisie, donna l’ordre à ses troupes de se replier vers l’Ouest, afin ‘de former une ligne de défense basée sur la Dorsale Orientale’ en vue de défendre les passes vers l’Algérie. Le repli se fait donc, après une phase d’hésitation et une concentration des forces entre le 8 et le 11 novembre, sur la Dorsale Tunisienne.

Le 19 novembre, sous le haut commandement du général Giraud l’Armée d’Afrique combat aux cotés des alliés sur la Dorsale, à Medjez-El-Bab, abandonnant les villes et la cote tunisienne aux forces de l’Axe.
De leur coté, les troupes alliées en Algérie, elles, au lieu d’exploiter la faiblesse des unités allemandes dans les premières heures et semaines de leur occupation, alors que celles-ci étaient indécises et vulnérables, louvoyaient entre Vichy, Giraud et De Gaule. Leur attente, avant de se décider de déloger les forces de l’Axe de leur “forteresse” de Tunisie, est donc elle aussi, du point de vue stratégique, incompréhensible.

Elle a fait, depuis, couler beaucoup d’encre. Leur attente a en effet permis à Rommel de prendre les choses en main, et de mener une série de batailles, qui causèrent aux alliés des pertes d’hommes et de matériel qui auraient pu être évitées. Leurs pales tentatives du 25 novembre au 10 décembre de percer les lignes allemandes à partir de Tabarka et de Souk El Arba vers Tunis, furent caractérisées comme ‘trop tard et trop peu’ ; elles échouèrent donc piteusement.

Le voyage de notre chariot se fit sans autres encombres que les sifflets, les gestes obscènes et les insultes à notre égard des petits Arabes tunisiens.
J’ai compris depuis, que c’est à la conduite de ses enfants qu’on reconnaît un peuple et sa mentalité.
Deux heures plus tard, nous traversions le village arabe de Sakiet Dayère, entre les tabbias, et atteignions le bordj dans lequel nous allions passer plus de deux mois, deux mois qui furent pour moi, malgré les bombardements et les nuits de sommeil interrompu, les meilleures vacances dont je me souviens. »
Re: *****EN DIRECT CHEZ CAMUS *****.
18 février 2008, 09:26
L'harissa selon Vivi (Nathan)




Rincez lea piments, en changeant l'eau a plusieurs reprises, puis les laisser tremper dans l'eau entre 30 a 45 minutes




Epluchez 5 a 6 tetes d'ails, n'ayez crainte plus il y en a et plus c'est bon




Passez dans le hachoir electrique les piments et l'ail





Et voila ajoutez, sel, cumin et coriandre selon vos gouts (chez nous ne mettons que du sel)




Quand vous servez, arrosez d'huile d'olive


Bon appetit ! Nathan

Re: *****EN DIRECT CHEZ CAMUS *****.
27 février 2008, 11:38
Une page d'Histoire

Tunisie ou Ifriqiya ?

Les dedales de l'Independance de la Tunisie

1ere partie de la nouvelle ecrite par

Dr Reuven (Roger) Cohen.


« L’année 1956, nous dit Djellouli, fut l’année pendant laquelle le parti qu’animait Bourguiba, remporta aux élections un triomphe magistral. Il prit le nom de Destour, puisque le vieux Destour n’existait dorénavant plus, et qu'il n’y avait donc plus lieu de continuer à nommer le parti qu’avait créé Bourguiba lors de la scission au Congrès de Ksar Hellal, le 2 mars 1934, le Néo-Destour.
Lors de ces élections, le Destour triompha avec 95% des suffrages exprimés (598.000 voix allèrent au Front National qu’il avait formé alors, 7.350 voix allèrent aux indépendants et aux communistes.)
La politique que le Parti avait mené pendant les années de marche vers l’Indépendance et le programme qu’il proposait pour réaliser ce que l’Indépendance avait promis étaient donc soutenus par la majorité écrasante du peuple tunisien, ajouta Djellouli. L’élection de l’Assemblée Constituante, et le succès que le Destour et Bourguiba y avaient remporté prouvèrent aux opposants que le peuple ne voulait pas de l’opposition!
Mais il ne faut, en aucun cas, oublier qu’il y avait des opposants, et même si leur nombre était négligeable, dans notre système démocratique qui avait choisi de s’appuyer sur ‘la raison du plus grand nombre comme étant la meilleure’ et non sur ‘la raison des idées ou des croyances’, ces opposants avaient leur mot à dire. Et leurs options, même si elles ne devaient pas être adoptées, devaient être respectées ; à plus forte raison devaient l’être les politiciens qui les défendaient. Or, il faut avouer que ce ne fut pas toujours le cas ! »

Le professeur Djellouli était élancé et son visage fin aux traits réguliers contrastait d’une manière presque grotesque avec les grosses lunettes d’écailles qu’il portait. Son bureau était bien rangé, et aucun papier ni dossier ne traînaient sur la table, chose inhabituelle chez la plupart des chercheurs. Les livres rangés sur les petites étagères derrière le siège qu’il occupait, étaient reliés de la même couverture, et achevaient de donner à cette petite pièce une atmosphère de grand ennui. Je cherchai quelque décoration sur les murs, quelques bibelots sur les étagères, quelque photographie personnelle sur son bureau, mais en vain. Tout était terne et monotone. La pièce était propre, bien rangée, comme s’il ne s’agissait pas d’une pièce de travail où il devait certainement recevoir ses élèves et ses visiteurs.
Mais par contre sa voix était intéressante, basse, châtiée et attachante. Dès les premières phrases qu’il prononça, nous nous regardâmes, Annie et moi, et je compris de suite que nous avions à faire à un homme intelligent, qui paraissait agréable, et qui ne devait avoir aucun problème à répondre à nos questions, s’il en connaissait la réponse. Je reçus de suite l'impression qu'il possédait son sujet et qu'il répondrait sans censure. Son assurance personnelle m'annonçait qu'il ne verra dans nos questions aucune malveillance de notre part.
"Cette impression pénible que donnent certains chercheurs des pays arabes décolonisés, lorsqu'ils engagent des joutes intellectuelles avec des chercheurs des pays qui furent colonisateurs, est insupportable, affirmait Annie, dans l'avion, comme pour me mettre en garde".
Je fus agréablement surpris. Tout dans la conduite de Djellouli et dans son verbe indiquait qu'il était habitué aux défis intellectuels auxquels nous nous étions préparés à le soumettre.
Des trois entrevues à l’Université de Tunis, je prévoyais que l’entrevue avec lui serait assurément la plus intéressante. Djellouli était le dernier des professeurs que nous devions interviewer. Il surpassa les deux premiers par la clarté et la solidité de son exposé.
Annie, cependant, semblait moins enthousiaste que moi. Son appartenance à la communauté juive de Tunisie qui avait quitté, dans sa majorité, la Tunisie après l'Indépendance, la laissait sur ses gardes. Elle était décidée à ne pas lui faire de concessions.
Je lui reprochais son manque d'objectivité et sa tendance - "pathologique" lui disais-je - à soupçonner les chercheurs Tunisiens d'être plus "politiques que scientifiques". "Moi aussi comme vous, après Bizerte, j'ai quitté la Tunisie avec mes parents, lui répétais-je. Nous aussi nous avons bradé nos biens et notre domaine agricole ! Et cependant, je ne suis pas dévoré, comme toi, par une suspicion maladive, par une défiance, une méfiance insupportable ! Faut pas exagérer ! "

Nous étions tous deux journalistes dans un grand journal parisien.
Nous nous étions connus à l'Université de Nanterre, où je terminais d'écrire ma thèse de doctorat alors qu'elle venait de commencer de rédiger la sienne, et en tant que compatriotes pieds noirs, nous avons de suite sympathisés.
Elle me surnomma Hugues, parce que je lui avais raconté que mes parents étaient protestants "Des Huguenots, quoi, m'avait-elle dit !".
Je l'avais surnommée Yde, par rapprochement avec le terme "ydish" qui désignait la langue des Juifs polonais et allemands, langue que les vieux Juifs pratiquent encore entre eux en France. Elle avait beau me rappeler que sa communauté parlait le Judéo Arabe en Tunisie et que les vieux le parlent encore, le surnom dont je l'avais affublé lui colla tellement bien, que, sans malice, certains de nos collègues la saluaient le matin par un
" Bonjour mademoiselle Yde".
Au journal nous écrivions ensemble sous le pseudonyme "Hugues et Yide", pseudonyme qu'avait adopté avec un large sourire notre rédacteur Jacquet "A la seule condition que vous me présentiez trois fois par mois un article de valeur sur le climat intellectuel des différents groupes ethniques en France, nous avait-il dit."

Il me faut rappeler que nous étions en 1985, l'année qui suivit la Révolte de la faim qui avait éclaté en Tunisie, nommée à Tunis "La révolte du pain". Cette révolte émut fortement la communauté tunisienne à Paris; elle prit ouvertement partie pour Bourguiba, qui y vit une malveillance de ses ministres que son épouse "noyautait", disait-on. La suite est connue. Bourguiba démit ministres et collaborateurs de leur fonction et alla jusqu'à disgracier son épouse. "On affame mon peuple bien aimé", soutenait-on qu'il explosa lors de la réunion du Conseil.
Cette année là, Gorbatchev affirmait sa volonté de réformer l'U.R.S.S en profondeur et faisait la glasnost (la transparence) et la perestroïka (la restructuration) qui fut suivie d'un rapprochement entre l'Est et l'Ouest, et du début des rencontres entre Reagan et lui. Le climat était à la détente entre les deux Puissances, et en France, malgré la montée du Front National l'année précédente, le climat entre les différentes communautés sous le pouvoir des Socialistes était au beau fixe. Cependant les allégations de Le Pen inquiétaient les maires socialistes, et notre Journal avait décidé de vérifier les changements qui s'opéraient dans les mentalités des différentes ethnies sous les coups de buttoir malveillants du Front National.
Jacquet, accepta que nous vérifiions notre hypothèse que la plupart des réactions ethniques aux accusations de Le Pen, trouvaient leurs sources profondes et lointaines dans les pays jadis colonisés de ces communautés. "En un mot, concluais-je le long exposé que je lui tenais, ces ethnies refusent d'être colonisées de nouveau à la culture française et à ses institutions, et ce refus les traverse toutes, y compris la communauté juive, qui elle a trouvé une solution originale à ce sujet. C'est par là qu'il faut chercher, lui ai-je dit. Et nous pensons commencer par la Tunisie, que nous connaissons bien, puisque nous en sommes originaires."

Le journal régla toutes les démarches de notre "invitation" à l'Université de Tunis. Notre but était d'interviewer quelques uns des chercheurs de cette université sur les différentes formations politiques actives à la veille de l'Indépendance de la Tunisie, et leur impact sur l'Université. Nous y vîmes, Annie et moi, un excellent article à écrire sur les courants de fond en activité dans l'institution responsable de la formation idéologique des étudiants tunisiens.
Au Journal nous étions connus comme "L'équipe de 68". Nous nous entendions comme deux larrons, toujours portés à la plaisanterie et à la blague, sympas et bons camarades avec tout le monde. Notre condition "d'étudiants éternels" avait modelé notre esprit et notre conduite selon les normes des "adultes" de 68. Nous étions donc restés jeunes et rieurs, mais conscients de l'importance de la réussite et de notre carrière. Nous étions les deux meilleurs amis du monde et les auteurs d'articles que nous écrivions en commun et qui avaient conquis les lecteurs.
"Cela se terminera par un mariage, nous plaisantait Jacquet."
"Très certainement, lui répondait invariablement Annie, mais entre vous et moi !"

Arrivés à Tunis, nous étions descendus dans un excellent Hôtel du centre ville et depuis deux jours nous profitions de nos après midi et nos soirées pour visiter les alentours de Tunis et pour coordonner nos idées sur l'article que nous nous proposions d'écrire. Nous fûmes de nouveau amoureux de Tunis et de ses environs, comme pendant notre jeunesse Tunisoise. Nous appréciâmes de nouveau le Saf-Saf et les bombolonis, Gammarth et sa plage splendide, les petites ruelles pittoresques de Sidi Bou Saïd, la Médina et ses souks aux épices odorants et aux tissages chatoyants.
Assis devant un excellent café, que seuls les cafetiers tunisiens savent préparer, Annie me lisait à haute voix des pages sur Tunis, écrites par Alexandre Dumas qui fut chargé en 1846 par Louis-Philippe d'une mission coloniale. Elle me lut un extrait de François René de Chateaubriand de son livre "Itinéraire de Paris à Jérusalem", sur son étape à Tunis, le 18 janvier 1807, pour me faire découvrir, me dit-elle, l'origine du terme "Tune", ce péjoratif qui désigne à Paris les Juifs tunisiens : "Cette ville conserve à peu près son nom antique. Les Grecs et les Latins l'appelaient 'Tunes', et Diodore lui donne l'épithète de 'Blanche'."
D'un petit livre à la couverture dorée qu'elle avait découvert chez un bouquiniste des quais, elle me lut des extraits de "La vie errante" de Guy de Maupassant, qui relatait son passage à Tunis en novembre 1887. Un de ces extraits me toucha particulièrement car il décrivait admirablement "ma ville", telle que je l'avais connue près de 70 ans plus tard : "Descendons de notre colline et pénétrons dans la cité, écrit Maupassant. Elle a trois parties bien distinctes : la partie française, la partie arabe et la partie juive. En vérité, Tunis n'est ni une ville arabe, ni une ville française, c'est une ville juive. Où sommes nous ? Sur une terre arabe ou dans la capitale éblouissante d'Arlequin, d'un Arlequin qui s'est amusé à costumer son peuple avec une fantaisie éblouissante …. Non seulement il a voulu donner à leurs vêtements des formes gracieuses, originales et gaies, mais il employa, pour les nuancer, toutes les teintes créées, composées, rêvées par les plus délicates aquarellistes".
" Elle fut peut-être ainsi jusqu'en 55, me fit remarquer Annie, mais depuis la vie juive qui la caractérisait a complètement disparu et plus rien n'est comme jadis !"
"Encore avec cette rancœur, la fustigeai-je, tu ne t'en libèreras donc jamais?" Elle haussa les épaules en signe de dépit et pour me signifier que je ne comprenais rien à la chose.
"Tes études d'histoire et de socio ne t'ont servi à rien, me rétorqua-t-elle." Annie ne pouvait accepter de n'avoir pas le dernier mot.
"C'est un trait de caractère bien juif, lui dis-je!
"Un peuple à la nuque roide, et sûr de lui-même", déclamâmes nous, les deux, en pouffant de rire. Deux véritables larrons !
"Non, mais c'est vrai ajouta-t-elle, pour toi et ta famille il ne s'agissait que de retourner dans votre pays où tout vous attendait ! Mais pour nous, il s'agissait de quitter la civilisation que nous y avons créée pendant des siècles et de tout recommencer ailleurs !"
"Mais vous aussi auriez pu retourner dans votre pays, Israël, comme l'ont fait des milliers de Juifs tunisiens !"
"Tu crois que c'est aussi simple que cela, me répondit-elle sans commenter !"

Lisez la suite lundi prochain.
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