Années fascinantes (1954-1957), à Anières-Genève, à l'Institut ORT. (4ème partie/4)
LE STAGE
Passées les promotions qui clôturèrent la période de "coconnage", il fallait quitter ce "château", chercher un travail dans une usine et louer un appartement à Genève. Fini, plus de soutien, d'un coup on doit prendre toute les responsabilités. Comme j'étais rentré à Tunis pour quelques semaines, durant les vacances, je trouve tous les amis avec lesquels je pouvais partager un appartement, déjà "casés", associés à d'autres amis et il ne me restait plus qu'a louer une chambre dans une famille, loin des anciens copains.
Durant cette année nous devrions suivre au moins 2 cours professionnels du soir et préparer le Projet de fin d'Etudes sous la direction d'un cadre technique reconnu. En plus de cela, l'industrie suisse avait passé à 5 jours par semaine, tout en gardant les 48 heures de travail, qui furent réparties ainsi: de lundi à jeudi, 9 heures et demie et 10 heures le vendredi. Comme j'étais pratiquant, je sortais plus tôt ce jour là et mon salaire était réduit en conséquence.
J'ai trouvé une chambre dans l'appartement d'un couple de pécheurs, entre la gare de Genève et la rive du lac. Ils se levaient très tôt le matin pour aller pécher, ils passaient le reste de la journée à préparer de ces poissons, des filets qu'ils distribuaient dans les grands restaurants. J'ai souvent passé des heures à les regardes. Avec quel art ils arrivaient en quelques mouvements de couteau, à tirer deux filets de chair pure, sans défaut. Comme j'ai toujours aimé le poisson, l'odeur ne m'avait pas dérangé et j'achetais souvent des filets qu'ils avaient la gentillesse de les préparer eux-mêmes.
J'avais cloué une petite Mézouza dans un petit tube de verre, à l'entrée de ma chambre. Le lendemain la maitresse de l'appartement me demanda ce que c'était, j'avais répondu que c'était une sorte de thermomètre spécial et le sujet fut clos.
Dans la première usine où je fus engagé le travail était un peu routinier et je m'ennuyais un peu, ce qui n'a pas du échapper au contremaitre qui me fit comprendre que je devais regarder moins à ma montre. Il y avait, dans cette usine un ouvrier antisémite qui me taquinait en disant "pourquoi tu fais l'ouvrier, va chez tes frères les juifs, ils t'ouvriront un bureau de Change". Après moins de 2 mois je quittais cette boite (ce qui n'a pas plu à la Direction de l'ORT). Après quelques semaines, je trouvais une plus petite usine où chaque ouvrier était responsable de son "projet" et le réalisait sur différentes machines.
Il y avait une tradition chez les ouvriers suisses, le jour où ils recevaient leur salaire hebdomadaire (on était payé à la semaine), ils allaient tous l'arroser au bar du coin. Je ne buvais pas, mais leur compagnie me plaisait, alors j'allais avec eux et buvais autre chose.
Le salaire du travail durant le stage allait à ORT qui nous versait une somme fixe (si je m'en rappelle) de 850 frs par mois. Le reste nous sera versé à la fin du stage, pour nous faciliter les débuts d'une carrière dans le pays où nous irons enseigner.
Je dus changer d'adresse et louer une chambre plus proche de mon nouveau travail. La propriétaire était une jeune dame italienne qui louait 2 de ses 3 chambres. Je parlerai plus loin de mon voisin. Elle exigeait qu'on enlève nos chaussures à l'entrée et glisser sur des patins de feutre sur le parquet. Personnellement, je prenais cette glissade plutôt amusante.
Mon emploi du temps était très chargé, moi qui croyais qu'en habitant la ville j'allais pouvoir me divertir plus souvent.
La nourriture
Comme je l'ai dit, j'étais pratiquant et organiser mes repas quotidiens fut assez compliqué. Il y avait à peine un ou deux restaurants Casher dans toute la ville de Genève et ils étaient très chers pour notre budget. Je fréquentais beaucoup le restaurant végétarien où j'ai découvert le met national suisse "le rösti aux oignons" que j'ai adoré. J'y allais souvent, le personnel me connaissait et me permettaient de manger à crédit les jours de Shabbat, quand je n'avais pas d'autre solution, pour ce jour.
Je me permettais aussi d'aller, le vendredi, au restaurant universitaire de Genève, car ce jour là ils ne servaient pas du tout de viande, même si cela avait beaucoup déplu à mes amis religieux.
J'écrivais souvent à ma mère lui demandant la recette de tel ou tel repas Avec d'autres stagiaires religieux, on organisait un "diner de famille" avec le plus souvent, d'autres amis que nous invitions. Ainsi nous nous perfectionnions dans un autre métier, la cuisine, à la joie de notre future famille et de nos petits enfants.
Le scooter
Durant le stage il fallait un moyen de locomotion personnel pour arriver à l'usine. J'avais acheté, avec les premiers salaires, un scooter d'occasion, de marque RUMI qui me paraissait plus beau que la Vespa ou la Lambretta. Il avec de grandes roues et son siège double.
Je crois que ce siège fut inventé par cette compagnie et ensuite adopté par toutes les autres. C'était un scooter de 125 cc, répartis sur 2 petits cylindres, la transmission se faisait par chaine et pignons, plus tard cette chaine me laissera un souvenir désagréable.
Il fallait bien entendu passer le permis de conduire. Le procédé suisse était qu'à l'inscription, vous receviez un "permis d'élève" qui vous donnait le droit de conduire à la condition qu'une personne, avec permis de conduire, était près de vous. Ils vous délivrait aussi un livret de lois à apprendre par cœur. Au bout de quelques semaines vous fixez la date des examens théoriques et pratiques. Après la réussite, vous receviez un permis en sorte de 'toile-cirée'. La preuve de sa résistance est que j'ai pu le garder jusqu'aujourd'hui. Pour le moment ce scooter était moncheval blanc qui me prenait partout.
Comme j'étais plus sioniste que mes amis Israéliens, j'avais accroché sur mon Rumi, le drapeau d'Israël.
Les étudiants arabes de l'université de Genève qui m'avaient vu arriver un vendredi pours déjeuner, ont été pris d'une soudaine furie nationaliste. Deux semaines plus tard, je voyais que tous leurs scooters étaient décorés de leur drapeaux, surtout qu'à cette période, fin 1956, se déroulait la Guerre de Suez. Il y eut plusieurs discussions au restaurant, mais cela était resté dans les limites d'une certaine politesse. Le Rais de tous ces étudiants arabes, tout le monde le savait, était le neveu même du président égyptien Gamal Abdoul Nasser.
Durant cette période il y eut une grande pénurie d'essence en Europe. Si la France avait rationné le nombre de litres mensuels pour chaque cylindrée, les suisses avaient laissé la vente libre dans les stations, mais tous les moyens de locomotions privés étaient interdits de circuler le dimanche, de samedi soir minuit à dimanche minuit. Pour moi qui ne roulais pas le Shabbat, il me restait très peu de temps pour mes loisirs, le samedi soir.