L’ANCIEN CIMETIÈRE ISRAÉLITE DE TUNIS ET L’ANTHROPONYMIE DES JUIFS DE LA CITÉ, par Jacques Taïeb
Telle était la dénomination courante de cette nécropole sous le Protectorat français (1881-1956). Située hors des murs de la médina et de ses faubourgs, elle s’étendait au nord de la cité. Elle paraît bien avoir été fonctionnelle quatre siècles durant avec, de siècle en siècle, l’abandon de certains espaces et l’occupation de terrains vierges.
Notre propos dans cette note est d’abord de conter la longue histoire de ce cimetière, largement corrélée à l’histoire de la communauté juive de la ville. Il s’agira ensuite de cerner la physionomie et le caractère de ce champ du repos et de les recadrer dans la psychologie collective et les rites mortuaires des Juifs de la cité. En troisième lieu, enfin, on tentera quelque échappée anthroponymique à partir des épitaphes des terres tombales ou en dehors d’elles.
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I - HISTORIQUE D’UNE NÉCROPOLE
Dans son ouvrage sur la ville de Tunisi, Paul Sebag présentait quatre plans de la cité et de ses abords aux XVIème, XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles avec, à quatre reprises, le cimetière israélite placé au même endroit ou, plus probablement, compte tenu de ce que nous écrivons dans l’introduction de ce texte, à des emplacements voisins. Cette ancienneté de la nécropole est attestée par d’autres sources. Dans son livre « Les Juifs à Bible vécue », Charles Haddad de Paz, président du Conseil de la communauté israélite de Tunis de 1951 à 1958, signale que la communauté disposait d’un acte d’achat, en bonne et due forme, vieux de plusieurs siècles. Acte d’achat effectué par sept notables juifs, puisque la notion de personne morale n’existait pas alors. Ces sept notables agissaient, bien entendu, au nom de la communauté ; l’acte de propriété enroulé était placé dans un cylindre métallique. Il n’y a donc, en la matière, aucune hésitation ; cet ossuaire était bien pluriséculaire et il était la propriété de la communauté.
Mais au cours des siècles les parties fonctionnelles du cimetière avaient migré au fur et à mesure que se remplissaient certains espaces. À la fin du XIXème siècle le cimetière israélite, limité par l’avenue de Londres au nord, la rue des Salines à l’ouest, la rue Navarin et d’autres petites artères au sud, l’avenue Roustan à l’Est – devenue l’avenue Habib Thameur après l’indépendance de la Tunisie – formait un grossier quadrilatère.
Cet espace n’abritait que les tombes allant grossièrement de 1800-1805 à 1890-1891, date à laquelle, faute de place, on créa, hors la ville, un nouveau cimetière dit de Borgel ou, de manière incorrecte, du Borgel.
La carte annotée par Paul Sebagiii dans son livre sur la Ḥâra de Tunis, montre bien que des tombes (essentiellement celles de docteurs de la loi) se trouvaient en dehors de la nécropole du XIXème siècle. On y trouvait les pierres tombales datant du XVIIIème siècle comme celles d’Abraham Cohen, mort en 1715, d’Abraham Benmoussa, Moïse Darmon et Abraham Taïeb, tous décédés en 1741, de Joseph Bismuth mort en 1775, comme Messaoud Raphaël El Fassi, d’Isaac Lumbroso morts en 1752, et enfin d’Elie Gabison mort en 1795.
Pierres tombales enchâssées dans les nouveaux immeubles construits, autour de ou après 1900, abritées par des chambrettes, après accord avec les propriétaires et la municipalité de Tunis. Accord peut-être facilité par le fait que la grande majorité des habitants de ces immeubles étaient juifs. Une seule tombe bénéficiait d’un modeste mausolée, celle d’Abraham Cohen dit Bâbâ er-rebbi ou Bâbâ Rebbi (« notre père le rabbin », en arabe vernaculaire). Pas de doute, là aussi, l’espace comprenant les avenues de Londres, de Madrid, de Lyon et des rues transversales correspondait à l’évidence à la nécropole du XVIIIème siècle, voire à celle du second XVIIème siècle. Nous garderons, d’ailleurs, sur ce thème l’ancienne terminologie coloniale pour éviter tout anachronisme, beaucoup de rues et d’avenues ayant changé de noms depuis l’indépendance de la Tunisie.
Mais où étaient donc les sépultures des premières décennies du XVIIème et celles du XVIème siècles ? Peut-être, au-delà de l’avenue de Lyon, plus au nord donc et pas trop loin de la porte du faubourg Bâb El khaḍra (« la porte de la verdure » en arabe). Une information communiquée par notre ami Itshaq Avrahami paraît aller dans ce sens. Il nous signalait chez de veilles personnes, autour de 1900, le souvenir d’un cimetière dit de Bâb El khaḍra. Il ne s’agissait sans doute pas d’un autre cimetière, mais de la partie la plus ancienne et la plus septentrionale de la grande nécropole. Grande nécropole dont la partie réservée aux sépultures du XIXème siècle faisait 6,5 hectares, et celles abritant les tombes des siècles antérieurs bien davantage, 15 hectares, voire plus ? Remonter aux époques antérieures au XVIème siècle pour déterminer l’emplacement du ou des cimetières juifs s’avère délicat faute de documents.
Il y a toutefois une certitude, la présence des Juifs dans la cité est antérieure, très antérieure au XVIème siècle. Une consultation rabbinique autour de 1465iv, adressée par les rabbins de Tunis à ceux d’Alger, montre bien l’existence d’une communauté. D’autre part, la grande synagogue de la Ḥâra de Tunis, le vieux quartier juif de la médina, aurait été fonctionnelle dès 1365, selon des sources autoriséesv.
Ce cimetière multiséculaire fut aussi par bien d’autres aspects lié à la vie de la collectivité. Retenons l’un d’entre eux, celui du schisme des Livournais. Ces derniers, d’anciens marranes portugais établis à Livourne à la fin du XVIème siècle, commencèrent à affluer à Tunis au début du siècle suivant. En 1710, ils se séparèrent des indigènes, lesquels finirent par reconnaître, en 1741, la séparation. Il y eut désormais dans la capitale deux communautés, celle des Twânsa (Tunisiens), et celle des Grâna (Livournais). Encore que ces derniers utilisassent dans leurs actes officiels le terme de communauté portugaise, ce qui n’était rien qu’une erreur.
Cette séparation, selon certains, aurait entraîné l’existence de deux cimetières. Affirmation erronée. Dans la carte présentée par Paul Sebag dans son étude sur la Ḥâra de Tunis, Abraham Benmoussa (Tunisien) et Moïse Darmon (Livournais) sont enterrés côte à côte. On retrouve aussi, au milieu des sépultures, des lettrés indigènes, comme celle d’Isaac Lumbroso, également Livournais. Il n’y avait donc, au XVIIIème siècle, qu’un seul cimetière.
Il faudra attendre 1851 pour voir se créer un second cimetière. Débordés par le nombre de décès, lors de l’épidémie de choléra de 1850-1851, les Livournais demandent au caïd des Juifs, Joseph Bellaïche, l’autorisation d’acheter un terrain pour y ensevelir leurs morts. Ils se heurtèrent à un refus. Le caïd, toujours choisi chez les Twânsa, craignant peut-être la mise en place d’un cimetière séparé. C’est ce qui se produisit. Les Livournais, disposant sans doute d’appuis à la cour, passèrent outre et firent l’acquisition d’une pièce de terre située au sud-est de la nécropole, adjacente à ce qui deviendra sous le Protectorat la rue Navarin (voir carte de P. Sebag, p. 79). Cet épisode aggravait donc la séparation des deux communautésvi, bien qu’il n’y eût aucune clôture entre les deux espaces.
L’instauration du Protectorat français, le 12 mai 1881, allait ouvrir un nouvel et long épisode de nature différente de tout ce qui précède. La municipalité de Tunis, probablement après 1884, clôtura la nécropole du XIXème siècle encore fonctionnelle, expropriant, de facto, la communauté de tout le reste, pour cause d’utilité publique. Là s’élevèrent, par la suite, les immeubles dont nous avons parlé (Avenue de Londres, de Madrid, etc).
Pendant toute la durée du Protectorat (1881-1956), la municipalité tenta, sans succès, d’acheter le cimetière du XIXème siècle à la communauté qui s’y refusa, ne voulant aliéner le lieu de crainte (crainte fondée) que les cadavres ne fussent exhumés, acte interdit par la loi juive. En fait, la nécropole ne pouvait qu’attirer les convoitises, car située entre la médina et le lac de Tunis dans l’espace qui, dès 1884-1885, deviendra la ville européenne, de part et d’autre des avenues de France et Jules Ferry, la partie sud étant le domaine des Européens, la partie nord celui des Juifs évadés de la Ḥâra et de ses dépendances.
L’article de Rodolphe Arditti sur les épitaphes rabbiniquesvii apporte encore quelques lumières. Rodolphe Arditti ou Raphaël de son nom hébraïque, d’origine bulgare, était un rabbin issu du Séminaire israélite de Paris. Il s’installa en Tunisie fin 1898 et sans doute commença-t-il ses recherches autour de 1900-1910, ne retenant, bien sûr, que les tombes des docteurs de la loi. Toutes ces tombes visitées dataient des XVIIIème et XIXème siècles. Il y avait donc un énorme trou pour les périodes antérieures. À cela plusieurs raisons, pas nécessairement opposées ; les lettrés étaient rares à Tunis avant la renaissance des études hébraïques au XVIIIème siècle. Dans ces espaces mal clôturés où plus personne ne venait visiter les tombes depuis des générations, des vandales ou des voyous s’étaient sans doute approprié les pierres tombales comme matériaux de construction. On dit enfin que le Bey Hamouda Pacha, qui régna de 1782 à 1814, aurait confisqué des pierres tombales. Peut-être eut-il l’élégance de ne pas toucher à celles du XVIIIème siècle, encore visitées, et se contenta-t-il des sépultures du XVIIème siècle, voire du XVIème siècle, depuis longtemps à l’abandon. Episode qui, a priori, ne paraît pas irrecevable dans l’exacte mesure où, au delà des pillages privés, des confiscations publiques eurent probablement lieu.
Ce cimetière eut une fin assez triste. Deux ans après l’indépendance, le 26 février 1958, la municipalité de Tunis expropria la communauté sans indemnité aucune, et dans les mois qui suivirent le cimetière devint un jardin public. De toute manière, pour les raisons signalées plus haut, la communauté ne pouvait accepter aucune indemnité. On parvint, après de longues négociations, à inhumer, dans le nouveau cimetière, les dépouilles de plusieurs lettrés, exhumés de cet espace. Autoritaire, ô combien, cet épisode laissa chez les Juifs de la ville des traces évidentes.
II – LE SITE MORTUAIRE. DÉPOUILLEMENT ET EXTRAVAGANCES
Comment se présentait la nécropole, forte de près de 22 hectares, située extramuros et inaugurée de longs siècles plus tôt, vers 1881-1890, au début du Protectorat français ? Il s’agissait de terrains humides et salés à cause de la proximité du lac de Tunis. Terrains médiocres et gorgés d’eau en hiver, à l’herbe desséchée et squelettique en saison chaude. Cet espace, d’une grande platitude, n’était égayé par aucun arbre, aucune fleur. Seuls couraient les rongeurs dont de nombreux lièvres. Il en restait quelques-uns encore, en 1945, dans le cimetière-croupion du XIXème siècle. Désaffecté vers 1890-1891, ce cimetière du XIXème siècle n’en devint pas pour autant un lieu désert, contrairement à ce qui s’était passé aux siècles précédents. Clôturé, encore que de manière rudimentaire, le cimetière fut bien moins qu’auparavant la proie des pillards. Surtout, il conserva quelques activités bien précises. Il connut quelques épisodes folkloriques ou tristes, resta fréquenté par les visites aux tombes antérieures à 1890-1891, et ce jusqu’aux années 1920, et plus encore par les pèlerinages sur les sépultures de deux rabbins fameux.
À partir de 1887, la communauté érigea avenue de Londres le dépositoire des Twânsa où les corps des défunts étaient déposés au moment des prières d’usage, avant d’être transportés par voiture hippomobile au nouveau cimetière. Rue Navarin on construisit celui des Livournais. Innovation que ces voitures tirées par des chevaux robustes à la belle prestance, esthétiquement harnachés, tranchant sur les humbles cortèges du temps jadis où les cercueils étaient portés par des hommes. Se répandit aussi à cette époque, ou un peu plus tôt, l’usage, très italien, des avis mortuaires placardés sur les murs de la ville, et surtout sur ceux du cimetière.
Les pèlerinages animèrent surtout la nécropole jusque vers 1958, pèlerinages presque strictement locaux, quasiment limités aux habitants de Tunis et un peu plus tard de ses banlieues, lorsque, après 1914-1918, des Juifs commencèrent à y habiter. Pèlerinages sur les tombes de deux rabbins : Josué Bessis, lettré connu et cabaliste, perçu par le petit peuple comme intercesseur auprès de Dieu et occultiste, voire thaumaturge ; et surtout Ḥay Taïeb, personnage étrange, très porté sur l’eau de vie de figue (la bûkha en arabe), tenu en piètre estime par les clercs de son temps dont la production littéraire nous est globalement inconnue. Il paraît avoir écrit un traité dit Ḥelev ḥi Ḥiṭṭâm (« suc de froment » en hébreu) mais la sottise d’une servante en fit disparaître la plus grande partie.
Sa tombe, surélevée de 15 ou 20 cm au-dessus du sol, surélévation pompeusement appelée, en arabe, El jbel, la montagne, était entourée d’une petite foule, canalisée par le dénommé ‘Anîba (« petit raisin » en arabe), personnage atypique, sombre comme Othello, sec et noueux comme un sarment de vigne, descendant d’un collatéral du rabbin et qui réclamait quelque argent à l’issue de la cérémonie. Il est à noter que le cimetière du XIXème siècle abritait les sépultures, jamais visitées, de bien d’autres savants, car trop intellectualisés, trop distants, incapables de faire des miracles ou de jouer le rôle d’intercesseur, ils étaient boudés, donc, par le petit peuple. Notons enfin que les tombes des rabbins du XVIIIème siècle, hors cimetière, étaient aussi visitées mais de manière moins fournie et plus discrète.
Deux épisodes très dissemblables émaillèrent la vie du cimetière après sa désaffection. Celui courant de novembre 1942 à mai 1943, lors de l’occupation allemande, où l’on creusa des tranchées pour permettre à la population des immeubles voisins de se mettre à l’abri lors des bombardements alliés. Celui, plus haut en couleurs, dit de la « guerre du cimetière », opposant, au cours de l’année scolaire 1943-1944, des enfants juifs à des enfants musulmans, à coups de pierres, qui dura de longs mois, jusqu’à ce que le Conseil de la communauté israélite de Tunis qui n’avait aucun goût pour le folklore, ne mette fin à cette guerre « picrocholine », selon l’expression de François Rabelais, en colmatant les brèches des murs. Le combat cessa alors, faute de combattants.
L’aspect de la grande nécropole (le cimetière du XIXème siècle mais aussi ceux des siècles passés) au niveau des pierres tombales était, encore que de manière complexe et contradictoire, intriqué avec les rites mortuaires de la population juive de la cité. Ces pierres tombales du XVIème au XIXème siècles étaient de simples dalles, posées à même le sol, sans aucune ostentation et dépourvues de surcharges ornementales. Or ce dépouillement, cette simplicité, contrastait violemment avec l’exubérance des cérémonies mortuaires dont il faudrait maintenant parler.
Avant les funérailles, les cris et les pleurs des femmes, accompagnés des hurlements des pleureuses qui souvent se laceraient les joues, composaient un étrange tableau contrastant avec les visages fermés des hommes et leur pesant silenceviii. Les cortèges funèbres se composaient la plupart du temps d’hommes. Les femmes apparaissaient, en force, lors des visites au cimetière, en règle générale, les vendredis matins. Là, assises près des sépulcres ou couchées sur eux, elles reprochaient amèrement au défunt, ou à la défunte, leur absence, les tenaient au courant des menus événements de la chronique, réclamaient leur retour. Ces manifestations, le plus souvent, duraient quelques mois ou un peu plus. Puis s’installait le silence et l’opacité. Ainsi au dépouillement, à l’humilité des lieux, à la modestie des pierres tombales, s’opposaient la violence de la gestuelle, l’extravagance, et l’excentricité du discours. Mort baroque, dirions-nous, selon l’expression de l’historien français Michel Vovelle, mais à la différence que le baroque d’Occident comportait une surcharge ornementale des monuments funéraires, ici absente.
III – EPITAPHES, ANTHROPONYMIE
Les sources concernant les épitaphes et leurs retombées anthroponymiques se trouvent, bien sûr, dans l’article de Rodolphe Arditti déjà cité. Cependant, la liste des patronymes que nous pourrions y découvrir est loin d’être exhaustive. Il faut donc recourir à deux ouvrages récents. Celui de Paul Sebag sur les noms des Juifs de Tunisie, paru en 2002, et celui que nous avons nous-mêmes commis en 2004 sous l’égide du Cercle de généalogie juive concernant tout le Maghrebix.
Nous nous bornerons dans cette étude anthroponymique à la communauté des Twânsa, celle des Grâna ayant déjà été traitée dans les pages de la Revue du Cercle de généalogie juivex. Le livre de Paul Sebag et le nôtre ayant déjà, dans une large mesure, élucidé le sens des patronymes et leur date d’apparition, il ne sera pas question d’y revenir. On recensera donc simplement les noms de famille, on cherchera à déterminer leur fréquencexi ou leur rareté. On se livrera, enfin, à quelques considérations sur les caractéristiques anthroponymiques de la population juive de la cité.
L’article de Rodolphe Arditti recense, pour les XVIIIème et XIXème siècles, plusieurs dizaines de patronymes appartenant surtout à la communauté des Twânsa. Il s’agit le plus souvent de familles patriciennes, de lignées rabbiniques. Nous en citons ici simplement quelques-uns comme les Borgel, les Cohen-Tanugi, les Cohen-Solal, mais également les Scemama, les Nataf, les Bessis qui, elles, avaient des homonymes, en revanche, dont il fallait se distinguer.
Au-delà, vient la masse des noms de famille. Mais là encore il ne saurait être question de recenser tous les noms de famille de la capitale tunisienne au temps du Protectorat. On se contentera des Tunisois de souche, c’est-à-dire de ceux qui y vivaient avant le Protectorat. Car eux, et eux seuls, s’inscrivaient dans la longue durée. Quant un nom, selon la mémoire collective, provenait d’une autre ville ou d’une autre région, nous en avons mentionné l’origine entre parenthèse et parfois, approximativement, la date d’installation à Tunis.
Nous commencerons, dans le tableau ci-après, par présenter les noms de famille les plus courants. Comme pour le second tableau qui suivra, nous retiendrons les orthographes les plus fréquentes.
NOMS DE FAMILLE FRÉQUENTS
Abitbol ou Boutboul
Gozlan
Nadjar ou Nizard
Ankri
Guetta (Libye ?)
Nahum ou Nahoum
Assous
Guez ou Ghez
Nataf
Attal
Haddad (Djerba)
Pariente
Azoulay
Haouzi
Perez
Barouch
Hayoun
Saada
Bellaïche
Jami
Samama ou Scemama
Berrebi
Jaoui
Sarfati
Bessis
Journo (Sicile ou Italie du Sud ?)
Sebag
Bijaoui ou Bigiaoui
Junès ou Younès
Sfez
Bocobza ou Bokobza
Kalfon ou Halfon
Sitbon ou Setbon
Boubli ou Boublil
Kayat ou Hayat
Sitruk
Bramli ou Brami*
Koskas ou Coscas
Slama
Chikly ou Chikli
Krief
Smadja ou Smaja
Chemla ou Chmila
Ktorza ou Ctorza
Taïeb
Cohen (Djerba pour partie)
Lellouche
(Testour S.O de Tunis pour partie)
Uzan
Cohen-Tanugi (Sicile, 1493 ?)
Lévi ou Lévy
Zarka
Dana
Maarek
Zerah
Fellous
Madar (Djerba)
Zeitoun ou Zitoun
Fitoussi
Marouani
Zuili (Mahdia, centre est
de la Tunisie ?)
Gabison
Meimoun et Meïmouni**
Gablula (Libye ?)
Moati
Ganem ou Ghanem
Naccache
*Les deux patronymes Brami et Bramli n’appartiennent pas à la même souche. Le premier signifie en hébreu « appartenant à la famille » d’un certain Abrahami ou Brahami. Le second signifie en arabe « tonnelier ». Il était plus fréquent que l’autre vers 1880. Pour des raisons qui nous échappent, la municipalité de Tunis transforma, pour l’état-civil, beaucoup de Bramli en Brami, créant une certaine confusion.
**Le second patronyme, assez rare, appartient à la même souche que le premier et serait originaire de Testour, S.O. de Tunis.
Nous chercherons donc d’abord à déterminer la fréquence de ces patronymes et à nous livrer à quelques exercices statistiques. La mémoire collective, souvent fidèle dans ces sociétés traditionnelles, retient aisément l’origine géographique des porteurs de patronymes, connaît les noms les plus fréquents mais sans fournir, bien entendu, la moindre donnée statistique. Essayer de démêler quelque chose dans le précédent tableau commanderait de connaître, même approximativement, le nombre des Juifs de la capitale à différentes époques. En nous basant sur les premiers recensements effectués la Tunisie, après la Grande Guerre et plus encore sur des estimations communautaires sérieuses datant de 1895, on peut raisonnablement penser que vers 1880 il y avait à Tunis 14 000 Juifs dont quelque 2 000 Livournais. La population à cerner s’élèverait donc à quelque 12 000. Pour la plupart des patronymes du tableau il y avait une grosse centaine de porteurs, mais certains en comptaient davantage.
Ces patronymes plus fréquents étaient les suivants : Assous, Attal, Bellaïche, Bismuth, Brami et Bramli, Chemla et son diminutif Chmila, Cohen, Fellous, Guez, Haddad, Maarek, Najjar ou Nizard, Saada, Samama ou Scemama, Serfati, Sitbon, Sitruk, Slama, Smadja, Taïeb, Uzan, Zeïtoun.
Le tableau ci-après comptait donc probablement plus de 10 000 porteurs, c’est-à-dire près de 85 % de la population. L’anthroponymie était donc relativement resserrée et également probablement ancienne. Une partie de la population descendait de gens vivant dans la ville avant la présence ottomane (fin du XVIème siècle). Une partie s’y était installée après cette date, tout au long des XVIIème et XVIIIème siècles, avec le développement économique dont bénéficiaient la cité et son avant-port de la Goulette.
Tous ces noms, sauf Cohen-Tanugi, correspondaient à plusieurs familles homonymes. Ces familles appartenaient à des strates sociales différentes, séparées qu’elles étaient par le revenu et le niveau de dignité urbaine. Quelques-uns étaient, en ce temps, considérés comme plébéiens : Haouzi, Journo, Krief.
NOMS DE FAMILLES RARES*
Adda
Cohen-Boulakia
(Levant ottoman)
Raccah (Libye)
Addaoui
Cohen-Hadria**
Riahi ou Yarhi*** (Languedoc,
Provence ?)
Allal
Cohen-Jonathan
(Alger ?)
Ruben, Rubens
Allouche (Sud tunisien)
Cohen-Solal
(Baléares, Alger ?)
Saadoun (Sud tunisien)
Assal
Cohen-Zardi
Saal
Baranès
Constantini
Sabban (Djerba ?)
Belhassen (Maroc)
Diens ou Dian
Sberro ou Zbirou
(Libye ?)
Benaïnous (Alger 1800 ?)
Douieb (Djerba)
Secnazi
Benmoussa
El Malih (Maroc)
Senouf
Benattar
(Gibraltar fin XVIIIème)
Fargeon (Djerba)
Slakmon (Djerba)
Benisti
Farhi (Levant ottoman)
Stioui (Libye ?)
Bennéro
Fassi, Elfassi (Maroc)
Taji et Bismuth-Taji
Berda (Lybie)
Hababou (Sousse, Tunisie ?)
Tartour
Besnaïnou
Haccoun (Alger)
Temam
Bijaoui-Bellham
Hassan
Temim
Bissor
Hassid
Tibi
Bittan
Houbani
Touitou (Tozeur S.O Tunisie)
Borgel
Jarmon (Tripoli de
Barbarie, Libye)
Tubiana (Alger ?)
Cacoub
Jerusalmi (Levant ottoman)
Tuil
Caroubi
Krissi
Tuil-Tartour
Castro (Espagne)
Nataf-Tartour
Wakil ou Ouakil ou Ouaki
Cattan (Levant ottoman)
Lahmi
Zakine
Chaltiel
(Testour S.O de Tunis)
Marzouk
Zarhi
Chaouat
Melloul
Zouari
Chiche (Alger 1800 ?)
Messas ou Mechach
Messica (nord de la
Tunisie)
*On pourrait y rajouter le patronyme de Freva. Mais sa naissance serait récente (à quelle date ?). Il semble en tout cas extérieur à notre horizon temporel à long terme.
**Les Cohen-Hadria ne seraient qu’une branche des Cohen-Tanugi.
***Riahi peut bien être la metathèse (inversion de lettres) de Yarhi. Ou encore il pourrait s’agir de deux noms différents :
Riahi, en arabe, désigne un membre d’une tribu bédouine, celle des Riyâh, du nord de la Tunisie. Yarèaḥ, qui signifie “lune” en araméen. Les Riahi ou Yarhi se disent originaires de la cité de Lunel en Languedoc qui, avant l’expulsion des Juifs de France au XIVème siècle, abritait une importante communauté
Le nombre de porteurs par patronymes (un peu plus de vingt ?) est ici sensiblement plus bas que précédemment, mais certains noms comme Assal, Baranès, Chaouat, Hababou, Raccah, Temam, Tuil, Zakine, Zouari étaient sans doute un peu moins rares. Peut-être avons-nous affaire à l’existence de deux familles homonymes dans ces cas précis ?
La faible fréquence correspondait à l’existence de surnoms, par essence, typiques et limités. Un cas paradigmatique nous est donné par l’existence du patronyme Tartour (un couvre-chef turc) donné (vers 1800 ?) à une famille Nataf et à une famille Tuil avec création de deux noms composés ou à une véritable substitution, Tartour tout court.
Une autre cause de ces faibles moyennes de fréquence est, peut-être, à chercher dans l’arrivée au cours des siècles de familles nucléaires, par essence, peu nombreuses, surtout avec les ravages de la mortalité d’alors. Le phénomène paraît moins se retrouver dans le précédent tableau. En particulier, les immigrés venus nombreux de Djerba, surpeuplée et pauvre, appartenaient souvent à des familles homonymes installées dans la capitale à différentes époques (Cohen, Haddad, Madar). Conséquence de cette faiblesse statistique, le fait probable que les patronymes du second tableau, globalement, étaient des familles uniques sans homonymes.
Mentionnons, comme pour le premier tableau, que certains noms, à l’époque, étaient perçus comme plébéiens, tels Assal, Benisti, Bissor, El Malih, Haccoun, Hasson, Melloul, Tuil, Wakil, Zarhi, Zouari. Les Krissi, enfin, « petite chaise » en arabe, se seraient jadis appelés Bonan (une vieille famille de Tunis considérée comme livournaise), tout au moins à l’origine.
* *
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Situé en plein cœur de la ville coloniale, de 1900 à 1958, le vieux cimetière fut jadis en position périphérique, extramuros. En fait, au fil des siècles, il ne cessa de glisser du Septentrion vers le Midi au fur et à mesure des mises à sac ou des abandons des vieilles nécropoles, surtout celles du XVIème et du XVIIème siècles, plus jamais visitées, l’oubli des décès les plus anciens ayant fait son œuvre.
Au début du Protectorat, les autorités communautaires n’oseront s’opposer à ce qui ressemblait à une expropriation pour les parties les plus anciennes du cimetière (XVIème, XVIIème, XVIIIème siècles). Par la suite, la découverte de l’état de droit permit de sauvegarder l’espace du XIXème siècle avant l’éviction rapide de 1958. Demeuré plus ou moins un musée, cet espace frappait par sa pauvreté et son austérité, à l’image des usages du pays où les nécropoles musulmanes présentaient le même aspect. Le cimetière résiduel fut aussi un livre d’histoire. L’anthroponymie qu’il livra fut, durant quatre siècles, celle de la communauté des vivants, de leur foi et de leurs peines ; mais elle peupla massivement, aux mêmes époques, les stèles funéraires d’une cité qui, du début du XVIIIème siècle à la Grande Guerre, voire au-delà, abrita la plus grande collectivité juive du Maghreb, avant d’être devancée par l’agglomération de Casablanca, probablement dès avant 1940, puisque, en 1947, la cité marocaine et ses banlieues dépassaient vraisemblablement 86 000 Juifsxii au-delà de ce que disaient les annuaires statistiques.
La fin du cimetière inaugura la fin des lieux de mémoire. En 1958 on expropria les morts. En 1960-1961 fut détruit le vieux cimetière historique de la Ḥâra et de sa vénérable grande synagogue, le tout, quelques années avant que les vivants ne quittent à jamais les rives de Carthage. Demeuré en l’état, le nouveau cimetière de Borgel, inscrit dans la modernité, mais dépourvu de légitimité faute d’enracinement dans le temps long. Survivra-t-il d’ailleurs devant l’extension urbaine de la ville de Tunis ? Rien n’est moins sûr.
Commentaires
Je me demande s'il y a encore de la famille en Tunisie .
Vos parents étaient ils Camille et Albert ?
Merci pour ce document.
J'ai trouvé l'origine du nom de mes ancêtres paternels SBERRO. FELLOUS.
Je me demande s'il y a encore de la famille en Tunisie ?
A l'attention de Jacques Taïeb,
Tout d'abord félicitations les plus sincères pour cette longue étude, j'y ai appris beaucoup et notamment sur l'origine des noms.
Aussi je profite de votre article pour nous en dire plus sur "Raphaël Elfassi". Mon père (Léon Melki) né à Constantine (Algérie) porteur d'une transmission orale probablement de sa mère (Messaouda Elfassi mariée à mon grand'père Fredj Melki) se disais descendante de cet illustre aiëul,une légende un peu nébuleuse entourait sa mémoire. J'aimerais connaître sa descendance détaillée de façon à établir les liens entre Raphël et notre grand'mère, entre Tunis et Constantine.
En 2000 j'ai visité la tombe de Raphêl, située Av. de Londres, enterré au 1er étage d'un petit immeuble de 2 niveaux, en parfait état de conservation, marbre blanc avec indication en français et en hébreux de la date de sa mort 1775. Merci d'avance de votre réponse.
C. Melki (Marseille) charlymelki@orange.fr
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