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En Tunisie, la vraie crise est civique et culturelle

En Tunisie, la vraie crise est civique et culturelle

 

 

Une deuxième révolution est nécessaire pour remettre la Tunisie sur les rails de la modernité et combler le fossé qui la sépare de plus en plus des pays développés.

Par Tarak Arfaoui - Kapitalis.com

 

La crise économique qui secoue la Tunisie n’est pas une exception et n’importe quel expert économique vous dira qu’elle pourrait être gérée moyennant une bonne gouvernance et un plan de sauvetage économique adéquat comme cela a été fait dans d’autres pays partout dans le monde.

Cependant, pour appliquer n’importe quel plan de redressement économique, il faudrait que la population soit au diapason des réformes exigées et prête à faire les sacrifices nécessaires pour sortir le pays de l’ornière, ce qui est loin d’être le cas en Tunisie.

La vraie crise profonde et insidieuse que traverse le pays est plutôt celle de la société, crise civique et culturelle qui, tant qu’elle n’est pas résolue, ne permettra jamais au pays de relever la tête.

Le vrai visage du Tunisien

La soi-disant révolution, qui a décapé la chape de plomb étouffant le pays, en changeant radicalement son paysage politique, a révélé la vraie nature du citoyen lambda tunisien. La liberté retrouvée, les instincts primitifs ont resurgi. Faute de données antérieures objectives, le Tunisien était affublé à tort et depuis longtemps de bien de qualificatifs élogieux qui ont flatté son ego et se sont révélés malheureusement largement injustifiés.

Cette révolution a fait éclater au grand jour telle une boîte de Pandore les travers d’un peuple longtemps opprimé et brimé, un peuple délaissé et étouffé par plusieurs dictatures.

La liberté soudaine acquise a révélé le Tunisien «moderne» sous son vrai visage, celui d’une créature foncièrement indisciplinée et incivique, avant tout égoïste, fainéante dans l’âme, réclamant à tout bout de champs ses droits en oubliant ses devoirs, en se drapant dans une bigoterie moyenâgeuse et hypocrite indigne d’un peuple à l’histoire millénaire qui a été des siècles durant à l’avant-garde de l’histoire.

L’incivisme est devenu une marque de fabrique tunisienne. Il fait partie de notre vie quotidienne et a transformé nos villes en de grands villages insalubres. Tunis est assurément la capitale la plus sale du bassin méditerranéen. Les quartiers, anciens et emblématiques du centre-ville (Belvédère, Lafayette, Bab El-Khadhra, le Passage, Bab Jedid…) sont désormais squattés par des gargotes insalubres, des cafés-chichas lugubres, et des «nassabas» (vendeurs à l’étalage) anarchiques qui envahissent les rues. Les belles bâtisses de l’époque coloniale, dont certaines sont des joyaux architecturaux, sont tombées en ruines, les trottoirs sont défoncés, les arbres centenaires abattus.

Il suffit simplement de voir l’état des bennes à ordures dans les rues pour mesurer le degré de civilité de nos«concitoyens». Il suffit de jeter un coup d’oeil à l’entrée de toutes les villes où les «boulevards de l’environnement» sont jonchés de broussailles, de détritus et de gravats, où chaque rond point est un véritable dépotoir.

Il suffit de constater l’envahissement des sacs en plastique, devant les magasins et les gargotes, amoncelés dans tous les recoins des artères, pour mesurer le désastre écologique qui gangrène nos cités.

Ce désastre est très perceptible sur nos plages, parsemées par les estivants, comme un champ de mine de canettes de bière, de boîtes à sardines, de couches de bébé et de résidus de pastèques.

Le DMP (domaine public maritime) et tout le littoral sont envahis par des constructions anarchiques en béton les pieds dans l’eau, défigurant totalement nos rivages.

Incivisme, indiscipline égoïsme

L’incivisme du Tunisien ne s’arrête pas là, car sur la route, son indiscipline est légendaire. Notre pays est classé dans le top 10 mondial pour le nombre d’accidents routiers mortels. Le Tunisien est un as du volant, spécialiste des têtes à queue, klaxonnant au moindre ralentissement, stationnant en triple file ou sur la voie du métro sans aucune vergogne, n’hésitant pas à rouler en contresens au moindre bouchon; il a la spécificité de conduire avec sa progéniture chérie installée sur les genoux, sans ceinture de sécurité, n’ayant aucun scrupule à jeter par-dessus la fenêtre dans la rue son paquet de cigarette ou sa canette de bière. Quant il est pressé, la notion de file d’attente ne compte plus pour lui et il fera tout pour passer avant tout le monde en jouant des coudes et en utilisant tous les subterfuges. Fêtard dans l’âme, il est capable à la moindre cérémonie de faire veiller tout le quartier jusqu’à l’aube à coups de décibels.

Le nombre ahurissant des cafés-chichas, qui a explosé à chaque coin de rue depuis la révolution et qui ne désemplissent pas tout le long de la journée, traduit indirectement le manque d’assiduité des citoyens au travail.

Le Tunisien adore se prélasser sur la «terrasse» d’un café dont les chaises ont envahi, dans l’impunité la plus totale, la chaussée roulante, en humectant l’air vivifiant des échappements des voitures et en fumant une chicha qui passe de bouche en bouche, hygiène oblige. C’est avec une grande réticence qu’il va au boulot car le travail est perçu comme une véritable corvée. Il faut «marquer la journée» («ymarki ejournata») en étant physiquement présent mais ayant la tête ailleurs, tout en étant aux aguets pour faire du chantage à la moindre occasion, si bien que pour des futilités, il est capable mettre à genou toute une entreprise par des revendications fantaisistes sous une couverture syndicaliste opportuniste.

En été, la séance unique aidant (une autre tare tunisienne héritée du colonialisme), le Tunisien déserte son entreprise le vendredi à midi officiellement pour la prière mais pratiquement pour une bonne bouffe et une bonne sieste, et à partir du vendredi, après 4 jours de labeur harassant, on ne le verra plus au travail jusqu’au lundi d’après. Tandis que l’Occident passe à l’heure d’été pour gagner en productivité et réduire la consommation, en Tunisie on ne «travaille» que 4 jours et demi par semaine, c’est-à-dire rien que 20 jours par mois !

En évoquant les tares sociales qui mettent le pays à genoux, on n’oubliera pas la grande mascarade du bigotisme qui s’est abattue ces dernières années sur notre pays. Perçue par beaucoup comme une piété salvatrice, l’islam retrouvé de la société tunisienne au 21e siècle pratiqué à la manière moyenâgeuse et selon des rites archaïques, qui n’ont rien à voir avec la religion, est devenu un véritable fléau national.

Un islam du moyen-âge

Je ne parle pas de l’obscurantisme et de l’extrémisme religieux qui ont enfanté le terrorisme, dont la Tunisie a été frappée de plein fouet pour la première fois de son histoire au cours des dernières années. Je parle du fait religieux tel qu’il est conçu et pratiqué par une large frange des Tunisiens, qui s’est propagé par un mimétisme social primitif, transformé en folklore national perceptible tous les jours avec toutes ses incohérences.

L’exemple le plus caricatural de ce folklore est la cérémonie de l’observation du croissant de l’Aid, qui fait retourner chaque année la Tunisie au moyen-âge avec tout le cirque médiatique qui l’accompagne et paradoxalement avec la bénédiction des hautes autorités de l’Etat. Trois jours durant, le pays est bloqué, paralysé, tenu en otage par la grâce d’un imam probablement presbyte scrutant l’horizon (à travers un téléscope numérique high-tech made in Japan) pour savoir si le pays va se mettre en congé ou continuer à travailler le lendemain.

Devant cette expectative, tous les rouages vitaux s’arrêtent une semaine durant en enfonçant un peu plus le pays dans l’agonie économique. A l’heure où des sondes interplanétaires arrivent à la seconde près à leur destination après un voyage de plusieurs années dans l’univers, nous sommes encore au stade de l’observation de l’horizon au sommet des montagnes pour déterminer les dates des fêtes religieuses!

Le bigotisme ambiant est devenu une banalité; le citoyen n’est plus offusqué en perdant son temps à faire la queue devant un guichet de l’administration fermé par la grâce divine, dans l’attente que le préposé veuille bien se remettre au travail parce qu’il a décidé de faire une pause pour aller faire sa prière. On n’est plus dérangé pour le même motif dans un service d’urgence de l’hôpital de ne trouver aucun infirmier à l’heure fatidique du «Asr» ou du «Moghreb». On n’est pas dérangé quant la circulation s’arrête totalement et d’une manière cyclique par un embouteillage monstre du au stationnement anarchique devant les mosquées aux heures de prières.

Le paysage social, surtout dans les cités populaires, a radicalement changé si bien que dans certains quartiers on se croirait à Kandahar occupé par les talibans. Les accoutrements de nos chères concitoyennes habillées à la mode chiite lugubre et étrangère à nos moeurs, ou à la mode afghane fleurissent partout comme fleurissent les écoles dites à tort«coraniques», véritables usines à terroristes, où la ségrégation des sexes dès la maternelle est de rigueur et où des chérubins sont «éduqués» par des zombies dont ils ne connaissent même pas le visage.

Le Tunisien a cette manie de ne regarder que vers le passé et ne se préoccupe pas du tout de son avenir. Les problèmes économiques ou culturels ne sont pas sa tasse de thé.

Le Tunisien ne lit que quelques pages d’un livre tous les cinq ans et après quatre années d’études supérieures, il est incapable d’écrire une lettre de motivation.

La question cruciale et d’actualité dans les longues veillées ramadanesques où la consommation atteint des records, c’est de savoir si le gouvernement va importer ou pas le mouton de l’Aid (quelques dizaines de milliers de moutons importés l’année dernière et en devises fortes s’il vous plait alors que les caisses de l’Etat sont presque vides).

Dans les cercles, les débats passionnés et hypocrites ne tournent qu’autour de minables misogynes, de polygamie, d’héritage de «hasanat», et j’en passe.

Ceci est un tableau de la réalité amère, quoique caricaturale, de la Tunisie post révolutionnaire. Beaucoup de mes concitoyens, j’en suis sûr, par hypocrisie, vont décrier ces propos en agitant le spectre de la sempiternelle «thaoura moudhada» (contre-révolution), d’autres trouveront ce décryptage trop pessimiste et lugubre, certains le trouveront peut être objectif.

Vers une deuxième révolution

Il est évident que le pays n’avancera jamais avec cette mentalité rétrograde d’éternels assistés, noceurs et consommateurs ne produisant rien tout en étant plongés dans un folklore religieux médiéval.

Une deuxième révolution est vitale pour remettre le pays sur les rails du modernisme et du progressisme en essayant de combler le fossé qui nous sépare de plus en plus des pays développés.

Cette révolution prendra peut-être quelques générations, et devra commencer dans le cercle familial dès le plus jeune âge où les parents ont la responsabilité la plus lourde en donnant le bon exemple à leurs enfants, puis à l’école qui doit revoir radicalement ses programmes en revalorisant l’éducation civique et l’étude des langues et en donnant la place qu’il faut à l’enseignement de l’histoire, des arts et des sciences exactes.

A l’âge adulte, la société civile doit être encouragée par l’Etat dans tous les tissus associatifs pour permettre au jeune Tunisien de s’exprimer, de s’investir et d’innover.

Les hommes politique enfin doivent cesser de faire du «boulitik» (hypocrisie) et doivent donner l’exemple en parlant au peuple le langage de la vérité et en s’abstenant de faire du populisme à deux balles (n’est ce pas M. Caid Essebsi?) en séparant la politique de la religion et en étant ferme dans l’application de la loi envers tout le monde sans laxisme ni calculs ni accointance.

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